Ses parents ont hébergé deux fillettes juives, pendant la guerre, à Châtenois-les-Forges
Du 03/12/2019
Née en 1919, Marie-Thérèse Roussel, surnommée Mithèze, est centenaire depuis le 1 er décembre : « Les deux petites étaient gentilles, agréables à vivre. Je m’en suis occupée comme si elles étaient mes propres sœurs. » Photo ER /Alexandre BOLLENGIER
En 1990, les époux Delavenna ont reçu le titre de « Justes parmi les Nations » pour avoir hébergé deux fillettes juives à Châtenois-les-Forges (90) de 1943 à 1945. Leur fille Marie-Thérèse, qui a eu 100 ans le 1er décembre, se souvient.
La fillette n’a pas reconnu son père quand il a franchi le seuil de la maison. « Anne-Marie était furieuse de ne pas avoir été prévenue de l’arrivée d’un “inconnu” », se souvient Marie-Thérèse Roussel. « Elle était en robe de chambre, pas dans une tenue correcte à ses yeux pour se présenter devant un étranger. » C’était un matin de juin 1945.
Médecin généraliste, Jacques Lévy venait récupérer ses deux enfants chéries, impatient, tremblant d’émotion : Anne-Marie, l’aînée, et Lucette, surnommée Minouche. Plus de deux ans qu’il ne les avait pas serrées dans ses bras.
Elles étaient âgées de 4 et 5 ans
Le 17 avril 1943, elles ont posé leur maigre valise au 17, rue du Général-de-Gaulle à Châtenois-les-Forges, dans le Territoire de Belfort, chez Henriette et Émile Delavenna et leur fille, Marie-Thérèse. Âgées de cinq et quatre ans, elles avaient été convoyées depuis Saint-Claude, dans le Jura, par Gabrielle, la sœur d’Émile.
À cette époque, la traque des Juifs par les Allemands, suppléés avec zèle par le gouvernement fantoche de Vichy dont les premières lois antisémites ont été promulguées en octobre 1940, s’intensifiait ; l’étau mortifère se resserrait.
Le père a été renvoyé de l’armée
Après l’armistice de juin 1940, « maman a travaillé en qualité de secrétaire au bureau militaire de Saint-Claude qui s’occupait des militaires français démobilisés », poursuit Marie-Thérèse. « C’est là qu’elle a rencontré le docteur Lévy qui a fini par être renvoyé de l’armée. »
Ils ont sympathisé. Elle l’a aidé à trouver un logement pour les siens – une maison isolée, un peu à l’écart de Saint-Claude -, des vivres et un emploi – un poste de comptable chez un pipier. « Elle l’a soutenu moralement aussi. »
La directrice et le curé sont mis dans la confidence
Après avoir déménagé à Châtenois-les-Forges durant l’hiver 1942-1943, les époux Delavenna ont proposé d’accueillir sous leur toit Anne-Marie et Lucette. Le secteur semblait plus sûr, davantage en tout cas que le Jura où les Allemands redoublaient d’efforts pour débusquer les Résistants, multipliant les perquisitions.
« À Châtenois, on a fait passer Anne-Marie et Minouche pour des petites-cousines et on a changé leur nom. Lévy est devenu Lamy. » Sans éveiller les soupçons du voisinage.
Munies de faux papiers, elles suivent une scolarité normale. Le dimanche, elles vont à la messe. Seuls la directrice de leur école catholique et le curé du village sont mis dans la confidence.
L'Etat d'Israël a décerné le titre de "Justes parmi les Nations" à Henriette et Emile Delavenna en 1990. Photo DR1 /6
Le docteur Jacques Lévy (décédé en 1964 à l'âge de 58 ans), papa d'Anne-Marie et Lucette. Photo DR2 /6
En novembre 1944, la région est le théâtre de violents combats. Préventivement, la Croix-Rouge française organise le transfert en Suisse de 15 000 enfants (de Montbéliard, Belfort, Héricourt et aussi Champagney). Les époux Delavenna refusent de lui confier Anne-Marie et Lucette par crainte que leur véritable identité soit découverte.
Les liens entre les deux familles sont restés très forts
En 1990, l’État d’Israël leur a décerné le titre de « Justes parmi les Nations », la plus haute distinction honorifique pour des civils. Émile était décédé depuis vingt ans ; Henriette allait disparaître quelques mois plus tard. C’est Marie-Thérèse qui, en 1991, a dévoilé leurs noms gravés sur le Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem.
Aujourd’hui octogénaires, Anne-Marie et Lucette sont grands-mères et arrière-grands-mères. L’une vit en Israël, l’autre à Metz. Toutes deux prennent régulièrement des nouvelles de Marie-Thérèse Roussel qui réside à Belfort et a eu 100 ans le 1er décembre. « Les liens entre nos deux familles sont restés forts, très forts… » se réjouit-elle.
Alexandre BOLLENGIER
Article lié au Dossier 4734