La lettre de Renée Beddouk

Dossier n°

La lettre de Renée Beddouk

Je soussigné Renée Beddouk, née Krasnobroda, certifie les faits suivants:

Je suis née à Paris le 24 février 1934 dans le XIème arrondissement. Mon père, Bernard, né le 23 janvier 1907 à Varsovie en Pologne, venu en France en tant que jeune homme, s’est engagé dans la Légion Etrangère, puis dans l’Armée Française et est devenu Français le 18 janvier 1931. Ma mère, Guelia Benach, née le 27 octobre 1909 à Astrakhagne, Russie, est devenue Française en épousant mon père le 20 avril 1933. Nous vivions avec ma grand-mère maternelle, née en Pologne, Falga Laufer épouse Benach, 7 rue Saint Bernard, Paris XIème. Mon père était tailleur et ma mère vendeuse.

Après l’invasion allemande, mes parents, sur les conseils de ma tante Hélène Starckmann, née Brenach, et de mon oncle Jacques Starckmann, ont décidé d’aller en « zone libre ». Mon oncle et ma tante étaient déjà dans le Puy-de-Dôme car ils n’avaient pas pu partir pour les Etats-Unis comme ils le désiraient. Ma grand-mère pensant qu’elle était trop âgée n’a pas voulu venir avec nous. Je n’ai pas la date exacte de notre départ de Paris mais je pense que c’était 1942. Je sais que nous faisions partie d’un groupe, que nous voyagions de nuit et que pour une partie du temps j’étais portée par un soldat qui allait rejoindre le maquis. Je pense que nous étions encadrés par des partisans. J’avais comme consigne de ne pas parler, ni tousser, ni éternuer, de ne faire aucun bruit.

Nous nous sommes installés à Clermont-Ferrand. Mon père a ouvert un atelier et nous habitions l’appartement voisin. Mon oncle et ma tante qui habitaient déjà la commune de Bougeat, près de Clermont-Ferrand, voulaient que mes parents viennent aussi s’installer à la campagne mais ils ont refusé. Après un certain temps, en 1942, mon oncle et ma tante ont persuadé mes parents de me mettre dans une ferme à Estandeuil. La famille Chassaing m’a accueillie bras ouvert. Il y avait déjà six enfants de 10 à 24 ans et comme vous pouvez le voir sur la photo de famille, je suis la petite dernière. Les Chassaing savaient que j’étais juive mais j’étais considérée comme une enfant de la maison.
J’allais à l’école à Estandeuil comme le montre la photo de l’école. Apparemment, toute la classe ainsi que le village savait que j’étais juive mais cela ne semblait déranger personne. Je suis sûre que si je n’avais pas été à la ferme Chassaing, je ne serais pas ici aujourd’hui. Marc et Marceline Chassaing se sont occupés de moi comme si j’étais leur enfant. Je pense avoir revu mes parents deux ou trois fois avant leur déportation de Clermont-Ferrand en juillet 1943.
Venant de Paris, la ferme était une nouveauté pour une enfant de 8 ans. Mme Marceline Chassaing m’avait même donné une petite chèvre dont je m’occupais. J’ai appris à tricoter des chaussettes pour mettre dans les sabots.

Je suis restée à la ferme jusqu’en été 1945. Tante Hélène et oncle Jacques nous ont ramenés, mon cousin Simon et moi, à Paris. J’ai été inscrite au lycée à Paris en septembre 1945 puis, en février 1946, nous sommes partis tous les quatre pour les Etats-Unis car tante Hélène et oncle Jacques n’ont trouvé personne pour nous garder en France.

La période de l’après-guerre était difficile pour moi car j’étais une enfant timide et triste du fait d’avoir perdu mes parents. J’avais perdu le contact avec la famille Chassaing et, malgré la reconnaissance que je leur devais, je n’ai fait aucun effort pour les retrouver avant maintenant. Je suis bénévole au Holocaust Museum of Southwest Florida à Naples en Floride. Un très bon ami en France a retrouvé pour moi la famille Chassaing.

Maintenant, malgré tout le temps passé, j’aimerais officiellement faire reconnaître Marc et Marceline Chassaing, décédés, leurs ayants droits, Hélène Chassaing épouse Auzance, Fernande Chassaing épouse Reynard et Henri Chassaing en tant que « Justes ».

Renée Beddouk  

source: http://auvergne.france3.fr/2013/03/03/marc-et-marceline-chassaing-deviennent-justes-parmi-les-nations-209719.html du 03/03/2013