Discours de Patrick Cassany

Dossier n°

12645

Discours de Patrick Cassany

Lundi 26 mai 2014, la municipalité de Villeneuve-sur-Lot organisait une cérémonie de remise de médaille des Justes à titre posthume pour deux Villeneuvois, Bertrand et Marie Fabre. Jeanne Mariani Fabre, leur fille, était la récipiendaire de cette distinction demandée par Jacques Bachmann, un des enfants sauvés par la famille Fabre qui protégea et sauva la famille Bachmann entre 1942 et 1944.

La médaille des Justes parmi les Nations a été remise par Barnéa Hassid, consul général d’Israël à Marseille, et Michel Alitenssi, délégué du comité français pour Yad Vashem, association pour la mémoire et l’enseignement de la Shoah et pour la nomination des « Justes parmi les Nations ». Cette cérémonie, empreinte d’une grande émotion, s’est déroulée devant un nombreux public, et en présence du préfet de Lot-et-Garonne et du sous-préfet, au lendemain de la fusillade intervenue dans le Musée juif de Bruxelles ayant entraîné la mort de quatre personnes. Une minute de silence a été observée par l’assemblée en hommage aux personnes assassinées et à ce tragique événement, signe que la « bête immonde » est malheureusement toujours là.

 

 Monsieur le consul d’Israël,

Monsieur le Préfet,

Madame la vice-présidente du conseil régional,

Madame Mariani-Fabre,

Monsieur et madame Bachmann,

Mesdames et messieurs,

Je suis particulièrement ému de vous recevoir aujourd’hui pour cette cérémonie de remise de médaille des Justes à titre posthume pour deux Villeneuvois, Bertrand et Marie Fabre.

Honneur et humilité accompagneront ces quelques mots.

L’honneur, de voir que dans les moments les plus sombres de notre histoire, des hommes et des femmes ont fait le choix de dire non à l’infamie et à la barbarie.

L’honneur, de savoir qu’ici et ailleurs, certains ont fait le choix de sauver des vies.

L’honneur, de se souvenir ensemble qu’ici, à Villeneuve-sur-Lot, Bertrand et Marie Fabre ont fait le choix de sauver la famille Bachmann, entre 1942 et 1944, dans ces heures sombres de notre histoire nationale.

L’humilité, face au courage de tous ces hommes et de toutes ces femmes, de tous ces jeunes gens, de tous ces anonymes, qui ont infléchi le devenir de l’humanité, par leurs agissements quotidiens et leurs actes de résistance face à la tyrannie, à la violence, à l’inacceptable.

Ces hommes qui, en plaçant la vie humaine au-dessus de toute valeur, au-dessus de toute considération idéologique et religieuse, ont agi noblement.

Au coeur de la tourmente, plongés au sein d’une nation qui avait perdu son honneur en l’abandonnant à la collaboration et à la dénonciation, ils ont trouvé la force, ils ont trouvé les moyens de se battre pour la liberté.

Avec eux, la résistance s’est aussi opérée dans les consciences. Car rien n’obligeait ces hommes et ces femmes à faire ce qu’ils ont fait. Rien ne les obligeait à accueillir un ou plusieurs enfants juifs dans leur foyer, ou à cacher leur famille au péril de leur vie. Comme tant d’autres, ils auraient pu laisser se dérouler cette guerre devant leur porte et détourner leur regard. Mais ils ne l’ont pas fait.

Hasid Ummot Ha-‘Olam : Justes parmi les nations (en hébreu « généreux des nations du monde »). Ces hommes, ces Justes, pour certains pas encore reconnus, pour d’autres à jamais inconnus… sont les vrais héros. Grâce à eux, les générations futures ont pu relever la tête. Grâce à eux, notre pays a pu retrouvé sa dignité.

Aujourd’hui, toutes nos pensées vont naturellement vers eux, qu’ils aient été passeurs, maquisards ou résistants, ou tout simplement des êtres humains généreux tendant la main à leurs semblables. Grâce à leur courage et à leur détermination, ils ont pu préserver de la monstruosité de la déportation des femmes, des hommes et des enfants. Qu’ils en soient à jamais remercier. Qu’ils reçoivent notre gratitude la plus profonde.

Ils sont notre fierté. Marie et Bertrand Fabre sont notre fierté.

Mécanicien automobile et réparateur de machines à coudres à Villeneuve-sur-Lot, Bertrand Fabre était aussi un membre de la résistance locale en réparant les armes des maquis. Son domicile était la boîte aux lettres du réseau Marguerite Drouilhet – qui mourut en déportation et dont le nom orne aujourd’hui la façade de l’école publique de Sainte-Radegonde.

Chaque fois que le danger devenait trop prégnant, que les rafles arrivaient, Bertrand, Marie et leur fille Jeanne ont ouvert leurs portes à Chaïm et Amélie Bachmann et à Jean, Pierre, Jacques, Nicole, leurs quatre enfants.

A partir de 1943, les rafles se faisant de plus en plus nombreuses, les Bachmann purent se cacher de fermes en fermes grâce aux réseaux de résistance de Bertrand Fabre.

Oui, les Bachmann purent se cacher. Mais nous ne devons jamais oublier que pendant toutes ces années de persécutions, ils connaîtront l’angoisse, la peur, la clandestinité et que leur vie en sera à jamais marquée.

En avril 1942, Jacques arrive à Villeneuve-sur-Lot. A son arrivée, il décrit ses sentiments : Les acacias étaient en fleur sur les rives du Lot et exhalaient des arômes qui embaumaient l’air. N’oublions jamais que ce bonheur simple a été enlevé à six millions de victimes qui ne sont jamais revenus des camps de la mort.

70 ans après son arrivée à Villeneuve-sur-Lot, au cours de l’année 2012, Jacques a retrouvé « Nanou », la fille de Bertrand et Marie, dont il paraîtrait que les grands frères de Jacques étaient secrètement épris.

Ainsi, Jeanne, pendant ces années de traque et de fuite, de peur du lendemain, les enfants Bachmann, entre les acacias et « le blé en herbe », avaient retrouvé grâce à votre famille, un peu de bonheur.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.