Monsieur le Ministre d’État,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Monsieur l’ambassadeur de l’État d’Israël,
Monsieur le Président de la Fondation de la Mémoire de la Shoah,
Monsieur le Président du CRIF,
Monsieur le Président du Mémorial de la Shoah,
Monsieur le Grand Rabbin de France,
Monsieur le Président du Fonds Social Juif Unifié,
Mesdames et Messieurs les représentants des Cultes,
Mesdames et messieurs, les descendants de Juste parmi les Nations
Chers amis,
« Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés.
En dévoilant Le nom des personnels du ministère de l’Intérieur Justes parmi les Nations, vous avez Monsieur le Ministre réalisé la prophétie d’Isaïe qui est en même temps la lettre de mission conférée par l’Etat d’Israël à l’institut Yad Vashem.
Grâce à vous ces hommes et ces femmes ont désormais un mémorial et nom qui ne sera pas effacé.
J’ai la faiblesse de croire que l’apposition de ces noms nous renvoie à une vérité plus exigeante ici, dans la Cour de l’hôtel de Beauveau qu’ailleurs et probablement plus ardue pour eux que pour tout autre Juste parmi les Nations.
Contrairement à beaucoup d’autres français, les fonctionnaires du ministère pouvaient légitimement penser ou affirmer qu’ils n’avaient pas le choix. Ils pouvaient se réfugier derrière des ordres qu’ils ne leur appartenaient pas de discuter. Incontestablement c’était plus difficile ici qu’ailleurs. Et que c’était donc plus précieux ici qu’ailleurs.
La police dans ces années-là a été l’auxiliaire du crime et le bouclier de l’humanité.
Car Tout s’est joué ici. La collaboration et la résistance.
La résistance d’abord. N’oublions jamais que le Premier des résistants, Jean Moulin avait été avant la guerre le plus jeune sous préfet et le plus jeune préfet de France. Et il est douteux que le général de Gaulle confiât à quelqu’un qui n’aurait pas eu cette expérience la mission la plus haute et la plus sensible qui soit : unifier et organiser les réseaux de résistance de l’intérieur. Et puis qu’aurait été la libération de Paris et celle de la France si le 19 août 1944, avant l’arrivée de la 2ème DB, 2000 policiers en armes n’avaient pris la préfecture puis l’hôtel de ville pour y hisser le drapeau tricolore ?
Mais la collaboration aussi.
Sous la férule de René Bousquet, la police française a été mise au service de l’occupant. Elle a été littéralement le bras armé de la collaboration. Celui hélas qui a servi les nazis et dont les nazis se sont servis pour exécuter ou amplifier des tâches qu’ils ne pouvaient pas ou voulaient pas accomplir seul et notamment la persécution des juifs.
Et on ne peut faire l’impasse sur la plus vaste opération de police dédiée à la traque des juifs dans toute l’Europe occupée, Allemagne comprise : la rafle du Vel d’hiv. Rappelons-nous les mots si JUSTES du Président Chirac :
« le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.
« Ce jour-là, dans la Capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs, furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police ».
« On verra des scènes atroces : les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards – dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France – jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. »
Si je m’arrête à la rafle des 16 et 17 juillet 1942, c’est pour une raison précise où m’amène les travaux de l’historien Laurent Joly.
Selon l’arrondissement, pardon selon le commissaire d’arrondissement, sa personnalité, ses directives les conséquences face à la barbarie seront totalement différentes.
Par exemple ici à Paris dans les 2ème et 12ème arrondissement vous trouvez le même nombre de personnes à arrêter (580) et le même nombre d’équipes d’arrestations (33).
Pourtant, le Commissaire Roger Jehanno du 2ème , dès qu’il a reçu les fiches d’arrestation a couru aux devants de ses compatriotes juifs pour les inciter à fuir. Il y aura 3 fois mois de personnes raflées dans le 2ème que dans le 12ème arrondissement où le commissaire fait du zèle, demande à ses hommes d’enfoncer les portes et les renvoie quand les équipes reviennent sans résultat.
Je retourne et m’arrête encore dans le 2ème , le secrétaire du commissariat Léon Déguaugue a été dénoncé, puis rétrogradé et muté en 1943 car perçu comme « protecteur des juifs ». Devant l’inspection générales des services, en 1943 donc, il déclarera : « Je connais des juifs. Et rien ne me fera renier des amitiés anciennes ».
C’est pas grand-chose ces 13 mots là. Mais ils sont une des plus belles définitions d’humanité qu’il m’ait été donné de connaître et ils méritent ce jour et ici d’être rapportés devant vous Monsieur le Ministre d’État.
Au cœur de l’État il y a la police et au cœur de la police il y a eu, il y a et il y aura toujours des hommes et des femmes de cœur.
Même quand il y a la guerre, même quand il y a l’occupation, même quand il y a des lois scélérates, même quand il y a des instructions ces hommes et ces femmes nous rappellent qu’il reste et demeure l’essentiel: le choix. La valeur inestimable de cette plaque c’est de nous rappeler qu’il y a toujours le choix. De prêter ou de refuser un tampon, une signature. Une poignée de main. D’exécuter avec zèle ou de rejeter un ordre. En somme de rester avant toute autre chose un homme ou une femme, en face d’hommes. Et de femmes.
En installant ces noms ici au cœur de cette maison vous rendez à ces hommes et à ces femmes leur place et leur dignité. Vous rendez à la fois hommage à leur mémoire et à notre avenir.
Monsieur le Ministre d’État,
Au nom du Comité Français pour Yad Vashem, au nom des Justes parmi les Nations, au nom des personnes sauvées et de leurs descendants, recevez ce mot simple qui contient l’humanité entière : merci.