Les héros de votre canton: Anne-Marie Piguet, ou un idéal qui lui valu le titre de Juste

Accueil/La vie du Comité/Actualités/Actualités des régions/Les héros de votre canton: Anne-Marie Piguet, ou un idéal qui lui valu le titre de Juste

Dossier n°

3195B

Les héros de votre canton: Anne-Marie Piguet, ou un idéal qui lui valu le titre de Juste

Du 14/07/2016

 

LA HILLE (F), JUIN 1944 Anne-Marie Piguet (au centre) donne des cours de tricot à Gerti Lind et à Cilli Stueckler. C’est de cette colonie qu’elle décide d’organiser la fuite d’enfants juifs vers la Suisse.

 

 

 

Humanitaire (1916-2010). Pendant la Seconde Guerre mondiale, la jeune femme de la vallée de Joux fait passer une douzaine d’enfants juifs en Suisse. Puis elle cofonde l’une des premières ONG consacrées à la coopération au développement.

Le Gy de l’Echelle est l’un des sentiers les plus escarpés du Grand Risoux, grosse montagne ronde culminant à quelque 1400 mètres d’altitude, dont les épaisses forêts de sapins marquent depuis des siècles la frontière entre la Suisse et la France. C’est par ce passage secret qu’une jeune femme de la vallée de Joux est parvenue à faire entrer clandestinement en Suisse des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, permettant à ces derniers d’échapper aux camps de la mort. Clandestinement car, côté helvétique, les douaniers et les policiers avaient l’ordre de les expulser. Le nom de cette jeune femme: Anne-Marie Piguet.

Cette fille d’inspecteur forestier, qui a passé sa jeunesse au Sentier, connaissait les bois de la région comme sa poche. Alors, quand il lui a paru inimaginable de ne rien entreprendre pour sauver des vies, c’est à cette région isolée qu’elle a pensé pour faire passer une douzaine d’enfants. Ce qui lui a valu de recevoir, en 1991, la médaille des Justes parmi les nations, une haute distinction décernée au nom de l’Etat d’Israël par le mémorial de Yad Vashem, le mémorial de l’holocauste à Jérusalem.

Complices en  France et en suisse

L’historienne Lucienne Hubler garde un vif souvenir de son amie, décédée en 2010 à l’âge de 94 ans: «Elle avait une personnalité très généreuse. Elle aimait les gens. Elle alliait intelligence et enthousiasme. » C’est ainsi que, armée d’une licence en lettres de l’Université de Lausanne et d’un minimum d’expérience d’enseignante, elle est engagée en 1942 par l’Œuvre de secours aux enfants de la Croix-Rouge suisse. Elle se retrouve dans une colonie à La Hille, à une soixantaine de kilomètres au sud de Toulouse, lorsque surviennent les premières rafles. Sa décision est prise, elle ne va pas rester sans réagir.

Un bref séjour à la vallée de Joux lui permet d’établir les complicités nécessaires pour créer sa filière. Côté français de la frontière, avec Victoria Cordier, dont la mère réside à Chapelle-des-Bois, dans la maison la plus proche de la frontière. Côté suisse, avec Fred Reymond, qui l’aide à éloigner ses protégés de la frontière. Entre-deux, le fameux Gy de l’Echelle, à moins que ce ne soit la borne 176, perdue dans les bois. Le dernier passage a lieu en 1944, quelques mois avant la Libération.

Elle se taira pendant quarante et un ans, «par discrétion protestante», explique l’historien Marc Perrenoud. Mariée en 1947 avec l’historien bernois Ulrich Im Hof, elle cofonde, en 1959, Swisscontact, l’une des premières ONG de coopération au développement, avec plusieurs entrepreneurs alémaniques et un ambassadeur. Mais ce n’est qu’en 1985 qu’elle raconte ses exploits dans un livre, La filière. Les hommages et les honneurs s’enchaînent désormais sans qu’elle perde sa simplicité. Lucienne Hubler témoigne: «Elle avait une personnalité retenue. Elle ne s’épanchait pas sur elle-même, mais elle faisait les choses quand il fallait les faire.» 


En savoir plus

➤ Anne-Marie Im Hof-Piguet a raconté son aventure dans «La filière» en 1985  (Edition de la Thièle à Yverdon), puis dans deux films, «La filière» de Jacqueline Veuve (1987) et son témoignage dans la série «Plans fixes» avec le journaliste Jacques Poget (2009).

➤ Parmi les distinctions qu’elle a reçues pour son engagement, celle du mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, qui honore la mémoire des non-juifs ayant sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, qui l’a nommée en 1991 Juste parmi les nations.

➤ Un monument à sa mémoire a été érigé en 2014 sur l’un des points de passage qu’elle a utilisés à la frontière franco-suisse. Un autre a été inauguré dans le village du Pont, à la vallée de Joux, la même année, à la mémoire de la quinzaine de passeurs du Risoux.

 

Yves Genier