Quand Résistance n’était pas synonyme de solidarité avec les Juifs persécutés
PROPAGANDES ET PERSÉCUTIONS. LA RÉSISTANCE ET LE « PROBLÈME JUIF », 1940-1944.
Renée Poznanski. Fayard.
Présentation de l’Editeur :
– « Les dits – et les non-dits – de la propagande développée par la Résistance nous mènent au plus profond de l’imaginaire social de la France de l’Occupation. Dans la guerre du verbe entre les Français de Londres – émissions de la BBC renforcées par la presse clandestine – et la voix officielle de Vichy, l’enjeu était de séduire une opinion qui au début avait soutenu Pétain avec ferveur. Quant aux Juifs, ils ont subi presque tout de suite les effets d’une double persécution, l’une pilotée par Vichy, l’autre imposée par les Allemands. À la marginalisation à laquelle les procédures d’exclusion les acculèrent se superposèrent bientôt, pour beaucoup, l’internement puis la déportation vers un inconnu terrifiant.
Des explications circonstanciées en même temps qu’un tapage haineux précédèrent et accompagnèrent chacune des étapes de leur calvaire. En face, la propagande de la Résistance a parfois mené et souvent esquivé la bataille sur ce front dans une guerre des mots. Aucune étude d’ampleur ne s’était encore penchée attentivement sur la façon dont la Résistance s’est exprimée sur les persécutions antisémites en France et/ou sur le sort des Juifs déportés à l’Est. Comparer les publications des organisations juives, les émissions de Londres et la presse des mouvements montre que l’ignorance invoquée (a posteriori) sur le sort promis aux Juifs n’explique rien ; c’est dans les priorités des uns ou des autres que se trouve la clé des thèmes avancés, des expressions ambiguës ou des silences obstinés.
Pour la première fois est examiné ici – force citations à l’appui – ce qui a contribué à en fixer l’échelle dans les médias de l’époque – collaborateurs ou résistants, autorisés, tolérés ou clandestins, radiophoniques ou écrits. Ces choix de propagande, mis en regard des études d’opinion circulant dans les milieux résistants, jettent une lumière crue sur la place qu’occupa «le Juif» dans l’imaginaire de la société française, comme dans l’esprit des élites en lutte contre l’occupation nazie.En cela, ce livre apporte aussi une contribution majeure à l’histoire de l’antisémitisme et à celle de la Résistance. »
Thomas Wieder, Le Monde, 10 juillet 2008 :
– « Il y a (…) beaucoup à dire sur l’ambivalence d’une grande partie des résistants à l’égard du sort des juifs. Une ambivalence que les antécédents maurrassiens ou fascisants de quelques-uns ne suffisent pas à expliquer. C’est ce que rappelle, dans un livre dense et foisonnant, Renée Poznanski, professeur de sciences politiques à l’université Ben Gourion de Beer Sheva (Israël) et auteur d’une synthèse de référence sur Les Juifs en France pendant la seconde guerre mondiale (rééd. Hachette, « Pluriel », 2005).
Pour l’historienne, la « convention du silence », déplorée après la guerre par Raymond Aron, s’explique en grande partie par la volonté des combattants de l’ombre de ne pas briser un « consensus résistant » qu’ils savaient fragile. Sans cesse à la recherche du « plus petit dénominateur commun », ils choisirent de taire les sujets controversés. (…)
Au début, seules quelques voix isolées – autour de La France continue, de L’Université libre, de Témoignage chrétien, ainsi que des groupuscules de communistes juifs – se distinguèrent par leur lucidité. Elles furent plus nombreuses à la mi-1942, à l’époque de l’étoile jaune et des grandes rafles. Mais le sursaut fut éphémère. Car les arrestations de juifs furent volontiers présentées dans la presse clandestine comme un « prélude » à la « déportation » de tous les Français. La Relève et, en février 1943, le service du travail obligatoire (STO) contribuèrent à reléguer de nouveau les juifs au second plan.
A la veille du débarquement en Normandie, Bernard Lecache, le fondateur de la LICA, constatait que les grandes figures de la France libre restaient, à propos des juifs, « embarrassés, faisant des entourloupettes, usant de prétéritions et de circonlocutions, d’euphémismes et d’allusions ». La plus franche condamnation des exactions nazies pouvant cohabiter, chez un même individu, avec la revendication d’un numerus clausus. Les textes que Renée Poznanski exhume sont accablants. Ils rappellent que persista, jusqu’à la fin de la guerre, un « penser-double » qui ne prépara pas la société française, après l’ouverture des camps, à penser la singularité du génocide. »