Charlotte Olinger, Juste parmi les Nations
Souvenirs de Gilles Saül orphelin de parents déportés à Auschwitz et enfant caché par Charlotte Olinger
Le 12 novembre, dix nouveaux Justes parmi les Nations seront publiquement honorés à la Mairie de Paris. Au nombre de ces Français qui, au risque de leur vie, ont sauvé celles de juifs persécutés :
Charlotte Olinger.
Gilles Saül a accepté d’expliquer, pour ce blog, comment la Shoah l’a privé de ses parents mais aussi pourquoi il a intensément souhaité que Charlotte Olinger puisse porter le titre amplement mérité de Juste parmi les Nations.
Isaac Saül (Photo : arch. fam. G. Saül).
20 août 1941 (1) :
– « Vers 8h du matin, mon père, Isaac Saül (2) est prêt à se rendre au magasin. Il porte déjà son chapeau sur la tête. On sonne. Deux inspecteurs français en civil et un Allemand en uniforme !
Mon père va être enfermé à Drancy, le camp venant tout juste d’être ouvert. Quelques temps après, il est transféré à Compiègne.
Nous vivions alors toute la famille boulevard de Belleville : Isaac, mon père, Sarah Frandjy (3), ma mère, les trois garçons, Gilles, Albert et Henri, ainsi que notre grand-mère paternelle qui se prénommait elle aussi Sarah. Sitôt après cette arrestation inattendue, ma mère et ma grand-mère décident de se séparer par mesure de sécurité. »
La Grand-Mère Sarah (Photo : arch. fam.).
– « S’abritant dans une chambre à Menilmontant, ma grand-mère retrouve néanmoins sa belle-fille pour tenter de prendre des nouvelles de mon père à Drancy. Celui-ci était alors apatride, mais d’origine turque. En fait, dans les années 20, il avait abandonné, avec ses deux frères, la Turquie dans laquelle venait de triompher la révolution d’Atatürk. Avec pour conséquence, pour les Juifs, de devoir accomplir un service militaire qui leur avait été épargné jusque-là.
Mon père avait alors gagné la France. Il travaillait dans le Sentier, rue du Caire, à Paris où se détachait une enseigne au nom de la famille Saül.
Ma grand-mère Sarah, qui avait une force de caractère remarquable, n’hésite pas à demander à être reçue par l’ambassadeur de Turquie à Paris. Elle lui prouve, certificat à l’appui, que son mari est mort en 1917 sous l’uniforme turc, celui d’une armée qui était alors alliée des Allemands. Et à force de persuasion, elle décroche un certificat par lequel mon père est déclaré de nationalité turque… Donc doit être libéré.
Hélas, quand ma grand-mère se précipite à Drancy, mon père a déjà été embarqué dans le convoi n°1 du 27 mars 1942. » (4)
8 juillet 1944 (5) :
– « Ma mère et ses trois fils passent à travers les grandes rafles suivantes (je suis né en 1935, Albert en 1938 et Henri en 1940).
Néanmoins, je me souviens qu’au printemps 1942, Albert et moi, avions été cachés dans une institution religieuse de la périphérie de Paris. Puis à Vernonnais dans l’Eure où j’étais fasciné par le poste à galène des personnes qui nous hébergeaient.
Comme les dangers semblaient être écartés, nous sommes revenus près de ma mère. »
Les trois frères Saül, de g. à dr. : Albert, Henri et Gilles (Photo : arch. fam.).
– « Ma grand-mère Sarah, qui avait une connaissance à la Préfecture de Police de Paris, nous prévint la veille du 8 juillet 1944 de ne surtout pas ouvrir la porte en cas de visite et de rester totalement silencieux, car des arrestations étaient prévues.
Le 8 juillet à 8h du matin, la sonnette retentit. Ma mère ne pense pas que c’est la Police. Par contre elle attend l’encaisseur du gaz et de l’électricité et n’a pas envie que ceux-ci nous soient coupés.
Quand elle ouvre, deux inspecteurs de police attendent devant la porte. Ils viennent pour nous arrêter tous les quatre.
Alors, je n’oublierai jamais.
Ma mère s’est jetée à leurs pieds. Elle les a suppliés de ne pas emmener ses enfants.
Ils ont demandé chez qui elle allait nous laisser ? Ma mère leur a répondu qu’une voisine pouvait s’occuper de nous.
Ma mère a été déportée pour Auschwitz par le dernier convoi parti de Drancy » (6).
Sarah Saül-Frandjy (Photo : arch. fam.).
Charlotte Olinger :
– « Ma mère emmenée par les policiers français, la voisine prévient aussitôt ma grand-mère. Sans tarder, elle fait appel à son fils David, le frère cadet de mon père.
Celui-ci possède de faux papiers d’aryen et bénéficie même d’un ausweiss. Il nous emmène sans tarder, Albert et moi, vers La Ferté sous Jouarre (Seine et Marne) où il est certain de pouvoir nous mettre à l’abri dans une ferme.
Voilà pour la théorie. car concrètement, notre train se trouve pris dans un bombardement anglais. Les voies sont coupées. Impossible d’aller plus loin.
Nous continuons à pied par la première route venue. Il nous laisse sous un arbre, et nous demande de l’attendre. Il va revenir rapidement…
Quand il est de retour, il nous dit qu’il a trouvé dans le village de Luzancy (Seine et Marne) une dame qui va nous garder.
Déjà veuve avant guerre, Madame Olinger, va nous gâter, et nous choyer. Elle savait pertinemment que nous étions Juifs ! »
Charlotte Olinger (Photo: arch. fam.)
– « C’était une grande Dame ! Elle nous a sauvé la vie, à nous petits orphelins…
Ma volonté de la voir reconnaître comme Juste parmi les Nations aboutit enfin à l’Hôtel de Ville de Paris ce 12 novembre 2008. Madame Olinger est décédée sans descendance et sans ayants droit. Des propriétaires actuels de sa maison, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont insensibles si pas hostiles à l’histoire de notre sauvetage par cette magnifique Juste parmi les Nations. » (7)
Les suites de la cérémonie du 12 novembre, dans La Voix du Nord et sous la signature de M-Claude Guillemet:
– « Mme Olinger a toujours eu le souci de les aider, jusqu’en 1973, année de son décès. « J’ai le souvenir d’une femme qui nous a donné les attentions d’une mère. Elle a réussi à nous persuader que nous étions en vacances ! Nous lui sommes reconnaissants à tout jamais de nous avoir sauvé la vie », a avoué l’aîné des frères.
Sans descendance, et à la demande des frères Saül, la médaille des Justes parmi les Nations a été remise au musée d’Ercan (8). Viviane Saül, la femme de Gilles-Michel, bénévole pour Yad Vashem, connait de longue date Jack Thorpe, président du musée d’Ercan, et son acharnement à accomplir le travail de mémoire. « Une avenue d’Erquinghem-Lys porte le nom d’Anne-Frank et deux de ses Justes, l’abbé Vancourre et sa cousine Raymonde Lombart, y ont été honorés », a-t-elle ajouté, tandis que Jack Thorpe, dont on sait qu’il installera la médaille en bonne place, remerciait non sans émotion : « Le musée reçoit ici une distinction suprême ». » (VdN 14 novembre 2008)
Notes :
(1) 3022 arrestations pour le seul 20 août 1941. Une précision encore : mon père avait été engagé volontaire lors de la déclaration de la guerre.
(2) Isaac Saül, né en 1906 à Smyrne, Turquie.
(3) Sarah Frandjy, née en 1912 à Salonique, Grèce. Mariée à Paris avec Isaac Saül (le 10 novembre 1928).
(4) Convoi n° 1 : 1146 déportés, 23 rescapés en 1945.
(5) Sur le registre de Drancy au 8 juillet 1944 : 12 entrées suite à des arrestations par la Préfecture de Police.
(6) Convoi n° 77 du 31 juillet 1944 : 1.300 déportés, 214 survivants en 1945.
(7) Souvenirs recueillis le 26 octobre 2008.
(8) Une future page de ce blog sera consacrée à ce Musée.
Article lié au Dossier 10653