« La vraie grandeur d’âme » d’Hélène Zemmour
Georges et sa soeur Jeanine en 1944 (Doc. G. Maurel / DR).
La Grand-Mère Léa Mendelsweig en 1946 (Doc. G. Maurel / DR).
Georges, Jeanine et leur Grand-Mère Léa Mendelsweig
doivent la vie à la Juste
Hélène Zemmour
Viviane Saül :
– « Créé par une loi du Parlement Israélien en 1953, le mémorial YAD VASHEM, situé sur la Colline du Souvenir à Jérusalem, a pour but de perpétuer la mémoire des six millions de Juifs qui ont péri en martyrs, assassinés par les Nazis et leurs complices, et l’héroïsme des combattants des maquis et de la résistance et de ceux qui, assiégés dans les ghettos, ont déclenché une révolte sans espoir pour sauver l’honneur de leur peuple.
Au 31 octobre 2009, plus de 23000 médailles ont été distribuées dans environ 30 pays dont presque 3000 en France, plus de 100 dossiers sont traités en France chaque année.
Il faut rechercher d’autres JUSTES afin de leur rendre hommage car elles ont su résister à la barbarie nazie. »
Sandrine Zemmour, petite-fille de la Juste, retrace le sauvetage des frère et soeur Mendelsweig ainsi que de leur grand-mère. A dr. : Georges MaureL (Ph. Simone Lévy / DR).
Synthèse du dossier de Yad Vashem au nom d’Hélène Zemmour :
– « Maurice Mandelsweig, né à Paris en 1906, et Fanny, son épouse, née Katz, en 1909, exerçaient la profession de fourreurs à domicile. Ils ont eu deux enfants : Georges – Louis, né en 1931 et Jeannine en 1937. Ils habitaient dans un pavillon en location à Villiers sur Marne.
Quant aux grands-parents, paternels et maternels, ils avaient émigrés de Pologne vers 1905. Le grand-père paternel était fourreur tandis que le grand-père maternel, lui, était cordonnier.
En juillet 1942, Maurice et Fanny sont arrêtes et déportés à Auschwitz d’où ils ne reviendront pas car hélas décédés le 25 septembre 1942.
Après la déportation de leurs parents, les enfants sont allés en pension dans une famille catholique à Villiers Sur Marne, jusqu’à la fin de l’été 1943. Puis leur oncle Jacques, frère de Maurice Mandelsweig, voyant que la situation empirait pour les juifs, décide que leur grand-mère paternelle Léa, et les enfants doivent quitter la région parisienne pour les mettre plus en sécurité à la campagne.
C’est alors qu’il décide d’organiser le passage en zone « dite libre », de Georges et de Jeannine ainsi que de la grand-mère paternelle Léa qui habite, rue de la Ferme St- Lazare à Paris 10 ème. Elle connaissait un couple d’amis de son âge, Monsieur et Madame Penverne, qui avaient une cousine beaucoup plus jeune qu’eux, Madame Hélène ZEMMOUR dont le mari était résistant. Elle avait 4 enfants et était enceinte de son 5ème. Elle habitait à Massoeuvre, près de St-Florent S/Cher dans le Berry. Madame Penverne devait s’y rendre pour aider Hélène qui lui fit part de la situation inquiétante. Sans hésiter, malgré les risques encourus à cette époque, d’héberger une famille juive, elle accepta de les prendre en pension tous les trois. C’est alors qu’ils firent la connaissance de leur bienfaitrice. Hélène ZEMMOUR. »
Hélène Zemmour, Juste parmi les Nations (Doc. fam. / DR).
– « Ils sont restés chez elle en attendant des jours meilleurs, jusqu’à la Libération en août 1944, ils vécurent comme des membres à part entière de leur famille d’accueil. Hélène ZEMMOUR, cette femme au grand cœur, les a nourris, logés, choyés avec une grande générosité, sauf qu’ils ne furent pas scolarisés pour éviter de les inscrire sur un registre officiel.
A Massoeuvre, la famille Martin offrit elle aussi son aide en logeant dans le café épicerie du village, la grand-mère. Elle y passait ses nuits, rejoignant ses petits-enfants pour passer la journée auprès d’eux.
Quand les dangers étaient annoncés, telle la venue de la gendarmerie, ou de la gestapo, qui traquait sans relâche les juifs et les résistants, Monsieur Louis Martin, ancien maire communiste de St-Florent, avant la guerre, cet homme courageux, emmenait la grand-mère à l’abri dans les bois.
Ils n’oublieront jamais cette merveilleuse femme et lui en restent reconnaissants à tout jamais, car c’est grâce à elle s’ils ont eu la vie sauve. Ils n’ont qu’un regret, celui de n’avoir pu l’honorer de son vivant. »
Le diplôme au nom d’Hélène Zemmour est remis à sa petite-fille, Sandrine tandis que son fils, Yves, découvre la médaille de Juste parmi les Nations (Ph. Simone Lévy / DR).
Le représentant de l’Ambassade d’Israël en France étant empêché, Paul Ejchenrand, délégué du Comité Français pour Yad Vashem a donné connaissance du discours qu’aurait prononcé M. Peleg Lewi, Ministre Conseiller.
Paul Ejchenrand :
– « En janvier 2007, la France a rendu un vibrant hommage aux Justes parmi les Nations, Le Président de la République, et Simone Veil ont introduit les Justes de France au cœur du Panthéon. Toute la France a été touchée par la reconnaissance enfin étalée au grand jour de ces héros ordinaires.
Plus de 76.000 Juifs – un quart de la population juive en France – ne pourront échapper à un destin tragique et seront exterminés dans les camps de la mort.
Six millions de Juifs en Europe seront ainsi assassinés dans ce qui constitue le plus grand crime de l’histoire de l’humanité.
C’est ce qui nous donne encore la force de croire en cette humanité.
Merci à vous du fond du cœur. »
Georges Maurel et sa soeur, Jeanine Georgieff (Ph. Simone Lévy / DR).
Remerciements de Georges Maurel :
– « Il y a onze ans, presque exactement jour pour jour, je commençai à écrire un petit livre à l’intention de mes enfants et petits-enfants. Je voulais leur raconter ce qu’avait été la vie d’un petit garçon juif, moi-même, pendant la guerre.
Le chapitre des années 1943 et 1944 est une époque particulièrement marquante, et se situe principalement à Massoeuvre. C’est à cette période qu’apparaît dans ma vie Madame Hélène Zemmour dont nous fêtons aujourd’hui la remise de la Médaille des Justes parmi les Nations.
Et vous comprenez déjà que sans Hélène Zemmour, ni ma soeur ni moi, ne serions là aujourd’hui pour lui rendre hommage.
Merci Hélène. Je me souviens d’elle, toujours pleine d’allant, de sourires, d’optimisme malgré une vie difficile. Je m’accrochais à elle pour remonter mon moral souvent bien bas dans ces heures sombres. Elle a été pendant ce temps la femme qui remplaçait ma mère perdue. Avec ses quatre filles dans ses jupes, et avant qu’Yves ne grandisse, j’étais soudain devenu pour un temps le garçon qu’elle désirait tant, et je pense qu’elle m’aimait beaucoup. J’avais douze ans et je ne pouvais qu’être en extase devant cette femme bulldozer qui me remontait le moral par sa vitalité. Je l’accompagnais partout, à la rivière quand elle allait laver le linge, ou pour faire des courses. Je l’aidais à désherber le jardin, à aller chercher du bois mort pour allumer la cuisinière, à vider la cuve des toilettes, eh oui !
Quand Yves est né, elle m’a même forcé à devenir son parrain. Avec les baptêmes de tous ses enfants, elle avait épuisé les membres de sa famille et de ses connaissances pour trouver un parrain de plus. J’eus beau lui dire que c’était impossible parce que j’étais juif : elle m’a répondu “ça n’a pas d’importance” et c’est comme cela que je suis devenu le parrain d’Yves Zemmour. On avait vraiment tout vu !
Une anecdote plus amusante : le beurre dans ces temps de restrictions était une denrée précieuse. Le marchand de beurre œufs et fromage, un petit gros avec un béret, passait dans Massoeuvre avec une petite camionnette, une des rares voitures qui circulaient de temps en temps, avec de grosses bouteilles de gaz fixées sur le toit. Evidemment il faisait un peu de marché noir. Un jour il propose à Madame Hélène de lui procurer du beurre mais il faudra qu’elle vienne le chercher dans un endroit isolé, un carrefour désert au milieu d’un bois. L’intention était évidente. Madame Hélène accepte et avant l’heure du rendez-vous, elle me dit: “prends ton vélo, vas lui dire que je ne peux pas y aller et rapporte le beurre, s’il veut bien te le donner”. Je n’étais pas trop rassuré, mais je pédale quelques kilomètres et je vois le crémier qui attendait à l’orée du bois. La tête qu’il faisait quand il m’a vu ! Il m’a quand même donné le beurre !
Il me faut également dire un grand merci au mari d’Hélène, Charles Zemmour. Il était du même âge que mon père dont je n’avais aucune nouvelle. Lui aussi a été un modèle pour moi. Il a été en plus un résistant, ce que j’ignorais à cette époque où le silence était d’or. »
Charles Zemmour, photo d’identité sur son Ausweis (Doc. fam. / DR).
Et d’autres encore qui ont agi en Justes. Je pense à toute la population de Massoeuvre nous voyant chaque jour, se doutant bien que nous attendions des jours meilleurs. Mais personne ne nous posait de questions. Notamment en me voyant traîner toute la journée dans la rue car je n’allais pas à l’école pour ne pas être inscrit sur des documents officiels.
Et principalement Monsieur Louis Martin, ancien Maire de Saint Florent, qui emmenait ma grand-mère Léa dans sa barque se cacher avec lui dans les bois de l’autre côté du Cher quand il était prévenu que les gendarmes ou la police venaient faire des contrôles à Massoeuvre.
Je ne suis pas sûr qu’Hélène Zemmour n’aurait pas été gênée par cette cérémonie, tant ce qu’elle a fait pour nous lui semblait naturel. La dernière fois que je l’ai vue, il y a quelques années, nous avons bavardé ensemble et nous avons évoqué beaucoup de souvenirs de cette période. Son ton était tellement simple et naturel, comme si elle n’avait rien fait d’extraordinaire, comme si le risque n’avait pas existé. Il me semblait presque que nous étions en train d’évoquer le plaisir des bons moments passés ensemble. Pas de souvenirs grandioses, pas de phrases du genre “je suis fière de ce que j’ai fait…”. Et cela c’est la vraie grandeur d’âme de la femme généreuse que nous fêtons aujourd’hui. Et vous, ses enfants et petits-enfants, vous avez le droit d’être fiers d’elle.
Les années ont passé, mais les souvenirs et l’émotion sont toujours là. »
Arrière-petite-fille d’Hélène Zemmour, Mélanie donne lecture du « Badge », poème d’Albert Pesses (Ph. Simone Lévy).
En fin de cette cérémonie à Saint-Florent-sur-Cher, l’arrière-petite-fille de la Juste, Mélanie a prêté sa voix et rendu toute sa jeunesse à Albert Pesses.
Albert Pesses :
– « On m’a donné un badge
Quand j’étais enfant.
On m’a donné un badge
Ce que j’étais content !
Je l’ai cousu ce badge
A la place de mon coeur.
Je l’ai cousu ce badge
Sur mon plus beau vêtement.
Il était beau ce badge
Jaune et bordé de noir.
Il était beau ce badge
Comme un astre vraiment.
La forme d’une étoile
A six branches de surcroît.
La forme d’une étoile
Un mot écrit dedans.
Un mot de quatre lettres
En caractères gras.
Un mot de quatre lettres
Tordues comme des serpents.
On avait marqué JUIF
Au centre lisiblement.
On avait marqué JUIF
Sur mon coeur de sept ans.
C’est un drôle de cadeau
Qu’on m’avait offert là.
C’est un drôle de cadeau
Un passeport étranger.
J’ai failli aller loin
Là où d’autres sont allés.
J’ai failli aller loin
Et partir en fumée.
Je l’ai toujours, ce badge
Sur moi en cas de malheur.
Je l’ai toujours, ce badge
Gravé au même endroit.
Je n’en porte jamais d’autre
Bien qu’on ne le voit pas.
Je n’en porte jamais d’autre
C’est le seul qui me va.
C’est dans cette intention
Qu’on me l’avait donné.
C’est dans cette intention
Moi, je l’ai gardé. »
NOTE :
Nos remerciements pour leurs apports essentiels à Georges Maurel, enfant caché, ainsi qu’à Viviane Saül et à Simone Lévy, du Comité Français pour Yad Vashem.
Article lié au Dossier 11206