Dossier n°4685A - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Eva Durrleman

Année de nomination : 1990
Date de naissance : 19/08/1891
Date de décès : 15/06/1993
Profession : Directrice d’une clinique « Ambroise Paré »

    L'histoire

    Le 11 septembre 1942, eut lieu une grande rafle des Juifs de Lille et de sa région.Les personnes arrêtées furent rassemblées à la gare de Fives-Lille d’où elles devaient être déportées vers l’Est. Parmi ces malheureux se trouvaient Mme Baran et ses deux enfants, Maurice, dix ans, et le bébé Michel, quatre mois. Son mari, capturé quelque temps auparavant alors qu’il tentait de franchir la ligne de démarcation afin de chercher un asile pour les siens en zone sud, avait été déporté vers les camps de l’est. Maurice eut la vie sauve grâce à la jeune Georgette Vandenabaele-Franchois (q.v), la bonne de ses parents. Venue à la gare, la jeune fille, qui n’avait que seize ans, s’empara du petit garçon et s’enfuit avec lui, faisant preuve d’une audace et d’un sang-froid remarquables. Michel, le bébé, dut son salut à l’intervention d’Eva Durleman, directrice d’un hôpital de la ville, et de son assistante Thérèse Matter, qui participa à l’opération de sauvetage. Le jour de la rafle, un officier de police français qui faisait de la Résistance informa Eva Durleman que des Juifs avaient été arrêtés et conduits de force à la gare. En tenue d’infirmières, la directrice et son assistante se dirigèrent vers Fives-Lille, déterminées à faire quelque chose. Les soldats allemands, entendant Thérèse Matter parler dans leur langue, crurent qu’il s’agissait de deux infirmières allemandes et les laissèrent entrer. Les Juifs sur le point d’être déportés demandèrent aux deux femmes de leur apporter des vêtements et quelques objets de première nécessité qu’ils n’avaient pu prendre avec eux dans la panique de la chasse à l’homme et des arrestations. Pendant toute la matinée, Eva Durleman et Thérèse Matter firent le va-et-vient entre la gare et le domicile des détenus. A chaque fois qu’elles revenaient à la gare, elles tentaient de convaincre Mme. Baran, qu’elles connaissaient bien – c’est dans leur hôpital qu’elle avait accouché – de leur confier le bébé, en promettant de lui trouver un refuge sûr. La jeune maman refusait de se séparer de son petit Michel. Lorsque les gardes allemands commencèrent à s’impatienter, les deux femmes durent rentrer à l’hôpital. Mais elles envoyèrent sur place France Neubert, une infirmière qui elle aussi parlait l’allemand. Pendant ce temps, Mme Baran avait été convaincue par les autres prisonniers qu’il fallait laisser son bébé, que c’était peut-être lui sauver la vie. Lorsque France Neubert arriva, elle lui remit l’enfant, non sans lui faire promettre de le lui rendre à son retour. L’infirmière le fit sortir de la gare caché dans son sac à dos et l’emporta à l’hôpital. Eva Durleman le prit en charge et s’occupa de lui avec dévouement et amour jusqu’en 1946. Après la guerre, elle ne ménagea pas sa peine pour retrouver la famille du petit garçon, et, grâce aux annonces qu’elle avait fait passer dans la presse, elle retrouva son frère, Maurice. Bien que protestante, Eva Durleman éleva les enfants comme des juifs et, quand elle dut se résoudre à s’en séparer, elle chercha une famille juive prête à les adopter. Eva et son assistante gardèrent d’excellentes relations avec les deux frères, qui voyaient en elles d’affectueuses grand-mères.

    Pendant l’Occupation, les deux femmes étaient également en contact avec plusieurs groupes de résistants et vinrent en aide à de nombreuses familles juives. L’hôpital servait parfois de refuge tant à des Juifs qu’à des résistants. En 1944, Maurice Serfati, qui avait sauté en marche du train conduisant à Drancy, s’y présenta et les deux femmes lui donnèrent asile. Elles savaient pourtant parfaitement qu’il était recherché par la Gestapo, et le danger qu’elles couraient en le cachant. Elles dirent au personnel de l’hôpital qu’il s’agissait de leur neveu. Elles le gardèrent pendant plusieurs semaines et le mirent en contact avec un réseau clandestin. Elles accueillirent également à l’hôpital deux adolescentes dont les parents avaient été déportés, Hélène et Perla Lipsyck, les filles du boucher préposé à l’abattage des animaux selon les rites de la religion juive. Eva Durleman les fit passer pour des élèves infirmières et leur demanda, pour leur propre sécurité, de ne pas dire qui elles étaient et de ne pas pratiquer ouvertement leur religion – notamment le Chabbat et les lois alimentaires. Leur secret fut pourtant découvert et la mère d’une élève-infirmière vint se plaindre que la directrice et son assistante mettaient en danger tout l’hôpital pour deux jeunes juives. Eva Durleman dut alors trouver une nouvelle cachette pour ses protégées.

    Le 29 novembre 1990, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné à Eva Durleman, Thérèse Matter et France Neubert le titre de Juste parmi les Nations.