Bollène : Emilie et Fernand Devès, Justes parmi les Nations

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Dossier n°

12855

Bollène : Emilie et Fernand Devès, Justes parmi les Nations

Du 07/03/2016

 

 

 

 

 

A titre posthume, cette distinction leur sera décernée le 13 mars au Camp des Milles (Aix-en-Provence), pour avoir sauvé Edith et Rose Margolis

 

Depuis dix-huit mois, Florianne Lambert-Devès a retrouvé dans le grenier de la maison de ses grands-parents le journal d'Emilie Devès. Une découverte qui l'a incitée a entamer un travail sur l'histoire familiale. Photo Ange Esposito

Depuis dix-huit mois, Florianne Lambert-Devès a retrouvé dans le grenier de la maison de ses grands-parents le journal d’Emilie Devès. Une découverte qui l’a incitée a entamer un travail sur l’histoire familiale. Photo Ange Esposito

Le 26 août 1942, une vaste opération de « ramassage des israélites étrangers » pilotée par la préfecture de Vaucluse est menée par la section de gendarmerie d’Orange, à Bollène comme dans plusieurs communes du département (Orange, Valréas, Beaumes-de-Venise, Vaison-la-Romaine).

Plusieurs familles polonaises y sont réfugiées depuis le début de la guerre, tolérées encore par le gouvernement de Vichy. Parmi elles, Edith et Rose Margolis, accueillies chez Émilie et Fernand Devès depuis juillet 1940, vont échapper à cette rafle, Edith parce qu’elle est absente, Rose est cachée in extremis dans la propre chambre des Devès. Elles seront ainsi épargnées jusqu’à la Libération grâce à leur pugnace humanité.

Florianne Lambert-Devès devant la maison de ses grands-parents où le temps semble s'être arrêté.
Et ce sont les soeurs Margolis, émigrées aux États-Unis, qui ont entamé, dès 2013, les démarches auprès de Yad Vashem à Jerusalem afin qu’Émilie Devès (1902-1972) et son époux Fernand (1895-1982) soient élevés au titre de « Justes parmi les Nations ».

La cérémonie aura lieu le 13 mars, au mémorial du camp des Milles à Aix-en-Provence, précisément là où les juifs qui n’ont pas eu la chance de Rose et Édith seront conduits cet été 1942, avant leur départ pour Auschwitz.

À quelques jours de les représenter, Florianne Lambert-Devès travaille sur le discours qu’elle devra prononcer, afin d’évoquer la mémoire de ses grands-parents paternels, exprimer les sentiments que suscite cet honneur qui leur est rendu plus de 70 ans après, sans toutefois laisser libre cours à l’émotion. « Ça va être difficile, murmure-t-elle les yeux embués de larmes. Mais heureusement je ne serai pas seule, il y aura mon mari et mes filles à mes côtés. »

Les cahiers d’Émilie

Stéphanie et Sandra surtout, passionnée d’histoire, accompagnent avec intérêt leur mère dans un travail de mise à jour de l’épopée familiale, avec comme élément déclencheur, la découverte du journal d’Émilie.

En 2008, à la mort de sa tante Etiennette, fille d’Émilie et Fernand Devès, la Bollénoise découvre dans un carton rangé dans le grenier de la maison de ses grands-parents, des dizaines de cahiers d’écolier auxquels, d’une écriture appliquée, sa grand-mère alors institutrice a confié son quotidien de 1935 à 1972, soit 37 ans d’une vie déjà marquée par 14-18, à nouveau happée par la Seconde guerre mondiale.

Florianne Lambert-Devès devant la maison de ses grands-parents où le temps semble s’être arrêté.

« Depuis sa construction en 1880, nous avons eu la chance de garder la maison de famille intacte, sans déménager quoi que soit. Ma tante y a habité par la suite puis mes filles aujourd’hui », indique Florianne Lambert-Devès qui ne s’en est guère éloignée non plus. Ses parents puis elle et son mari ont fait construire dans ce même quartier Rigabo.

Et la période de l’Occupation qu’elle a découverte discrètement évoquée sous la plume de sa grand-mère lui était aussi familière. « Je savais qu’on avait accueilli des juifs pendant la guerre. Édith et Rose sont toujours restées en contact. Je savais qu’elles existaient. En 1980, elles sont même venues de Chicago où elles sont installées. Ma grand-mère était décédée mais elles ont pu retrouver mon grand-père, mon père et ma tante, raconte encore Florianne, photographies à l’appui. Moi à cette époque, j’avais mes enfants, d’autres préoccupations. »

C’est le journal d’Émilie qui a fait resurgir le passé dans le coeur de la Bollénoise. « Depuis j’ai repris le flambeau », sourit-elle. En 2014, à son tour, elle a fait le voyage jusqu’à Chicago avec son mari, à l’invitation d’Édith et Rose qui ont aujourd’hui 99 et 95 ans.

« Ma grand-mère, mon modèle »

Là-bas, Édith la polyglotte (elle parle sept langues), mais aussi Rose qui a retrouvé son français, les a emmenés au musée de l’Holocauste où une plaque aux noms d’Émilie et Fernand Devès a déjà été posée à leur initiative sur le Mur des Justes. « Il y avait de jeunes Américains qui visitaient le musée. Édith a voulu leur expliquer ce lien qui nous unit. Ils n’arrivaient pas à croire que ce soit vrai », relate Florianne Lambert-Devès.

À Chicago, ils ont rencontré aussi Isaac Levendel. Réfugié à Avignon pendant la guerre, enfant caché à Sarrians, il traque depuis inlassablement la vérité sur la persécution nazie, en particulier en Vaucluse avec l’écrivain et ancien journaliste avignonnais Bernard Weisz avec qui il a signé le livre Vichy, la pègre et les nazis. Il sera au camp des Milles pour représenter Édith et Rose, trop fatiguées désormais pour se déplacer. Cette cérémonie, Florianne Lambert-Devès regrette qu’elle ne se déroule pas à Bollène. « Impossible avec une municipalité qui refuse qu’on chante Le chant des partisans« , observe-t-elle.

En 2014, la Bollénoise a rendu visite à Édith et Rose à Chicago. Depuis la fin de la guerre, le lien n'a jamais été rompu avec la famille Devès.

En 2014, la Bollénoise a rendu visite à Édith et Rose à Chicago. Depuis la fin de la guerre, le lien n’a jamais été rompu avec la famille Devès.

Elle ne sait pas encore très bien en quels termes, mais le 13 mars, elle voudrait exprimer sa « reconnaissance » envers les soeurs Margolis qui « auraient pu tout aussi bien tourner la page », sa « fierté » envers ses grands-parents « pour ce qu’ils ont fait et pour ce qu’ils étaient, des gens foncièrement bons, disponibles. Ma grand-mère a toujours été mon modèle. Elle était catholique pratiquante mais ouverte aux autres religions. La maison était toujours pleine. Elle apportait son aide aux gens qui en avait besoin sans se poser de question ».

Et sa « révolte » face à l’histoire qui se répète, au « rejet de l’autre, de la différence, ce doit être ma grand-mère qui m’a transmis ça », glisse la petite fille d’Émilie qui songe à écrire à son tour l’histoire de la famille « pour ma famille mais aussi pour qu’on n’oublie pas ».

Nathalie Varin