Ceux qui ne dormaient pas
Présentation de l’Editeur :
– « Ce livre est le journal intime tenu par l’auteur (1909-1987) depuis l’arrestation par la Gestapo de son mari, résistant juif, jusqu’à l’évasion de celui-ci du wagon qui l’emmenait, lui et ses camarades, à Auschwitz ; autrement dit du 18 juillet au 24 août 1944.
Elle confie à son journal ses inquiétudes d’abord, l’amour immense qui la lie à son mari pour qui elle craint les tortures et la mort ; mais elle raconte aussi le quotidien d’une femme de la bourgeoisie juive française, très assimilée, très cultivée, dont l’enfance s’est déroulée dans les beaux quartiers de Paris et qui découvre avec la guerre qu’être française juive ce n’est pas tout à fait la même chose qu’être française non-juive. Dans ce Paris de la Libération – juste avant, juste après –, elle erre, cherchant refuge ici et là avec sa fille d’une dizaine d’années ; retrouvant des camarades du même réseau, se souvenant de la vie « d’avant », avant la déchirure de la guerre.
Après la guerre, Jacqueline Mesnil-Amar a publié dans le Bulletin du service central des déportés israélites quelques articles sur la déportation, dont un sur les enfants, assurément le plus poignant. Ils sont repris ici.
Ce qui frappe dans ce livre, c’est l’extraordinaire qualité d’écriture au service d’une émotion toujours retenue, mais constante ; c’est la force d’un style à nul autre pareil, qui prend le lecteur dès les premiers mots.
Ce livre a paru en 1957 aux éditions de Minuit, trop tôt sans doute, à une époque où tout le monde était désireux de tourner la page. Il reparaît ici inchangé. »
Pierre Assouline :
– « Jacqueline Mesnil-Amar n’avait peut-être qu’un seul livre à écrire. Nous n’en saurons jamais rien. Mais réjouissons-nous que son seul livre soit celui-là.
Parfois, un seul livre suffit à rendre un auteur inoubliable pour ses lecteurs. Il s’ouvre sur la soirée du 18 juillet 1944. On se bat en Normandie, dans les maquis du Vercors et de la Haute-Vienne. Ça sent la fin mais ce n’est pas la fin. André Amar n’est pas rentré de la nuit. Il est membre de l’Armée juive. Arrêté, il a été déporté par le dernier convoi quittant la France pour les camps. Direction : Buchenwald.
Ce livre est donc la chronique quotidienne de la séparation d’un couple, zébrée de souvenirs des jours heureux : ceux des maisons de vacances à Venise, Deauville, ou dans la villa Soledad du Pyla, qui s’inscrivent en pointillés au milieu du récit des démarches que fait l’auteur auprès de ceux qui savent déjà et de ceux qui peuvent encore.
Où est-il ? Que fait-il ? Comment survit-il ?
Trente-sept jours plus tard, André réapparaît devant Jacqueline qui ne savait rien.Avec une quinzaine d’autres, il s’est échappé du convoi à Morcourt, près de Saint-Quentin, malgré la garde SS.
Maints écrivains ont consigné leurs impressions au jour le jour dans les moments-clés de la Libération de Paris. Mais s’il fallait ranger sur une étagère de la bibliothèque celles de Jacqueline Mesnil-Amar, on lui ferait rejoindre Albert Camus, Jean Guéhenno et Léon Werth. Pas un mot de trop, rien de pesant, tout est à sa place. »
Marianne Payot :
– « André, le normalien fondé de pouvoir de la banque familiale, est donc tombé dans un guet-apens, rue Erlanger. Il sera torturé par la Gestapo, rue de la Pompe, incarcéré à Fresnes, puis à Drancy, et, enfin, déporté dans le «dernier wagon», avec son ami César Chamay, héros de la Résistance, et un certain Marcel Bloch, constructeur d’avions.
Mais, pour l’heure, la jeune épouse et mère de la petite Sylvie ne sait rien. L’interminable attente ne fait que commencer. Tout comme l’angoisse, «si solitaire». Avec Sylvie, elle déménage pour la dixième fois, part se réfugier rue de Clichy, chez Nana, extraordinaire boutiquière, «princesse des coeurs» qui oeuvre depuis 1940 pour les évadés, les enfants, les juifs, les résistants… Elle hante les antichambres, tanne les «amis» bien placés, «prête à vendre son âme, sa vie» pour en savoir plus. »
(TV5 MONDE)
Robert Solé :
– « Pendant la guerre, André Amar dirige la section parisienne d’un mouvement de résistance, l’Organisation juive de combat (OJC). Le 18 juillet 1944, avec plusieurs camarades, il tombe dans un guet-apens. Arrêté par la Gestapo, il est torturé, incarcéré à la prison de Fresnes, puis à Drancy, avant d’être jeté dans le dernier train en partance pour les camps.
Sa femme s’interroge avec angoisse sur son sort. Et elle le fait par écrit, au jour le jour, dans ses carnets. Trente-sept jours exactement : le temps que réapparaisse André, qui a réussi à s’évader du convoi de la mort.
« Chéri, où es-tu donc ? A quoi penses-tu dans ta cellule, si tu t’y trouves, en cette nuit profonde ? Est-ce que tu dors ? » Elle a fini par apprendre qu’il est détenu à Fresnes. Les questions se bousculent dans sa tête : « A-t-il bu ? A-t-il mangé ? Dort-il un peu pendant ces longues nuits fiévreuses de prison ? Va-t-on le… maltraiter ? Il y a des gens qui racontent ce qu’on leur fait, et comment on les reconduit dans leur cellule, dans quel état, dans quel état… »
(…) Jacqueline en est à son dixième refuge depuis le début de la guerre. Toute sa famille se cache, munie de faux papiers. Elle circule à Paris à vélo, note dans son journal de petits faits de la vie quotidienne : le marché noir, l’épicier-gangster, le manège des prostituées, hissées sur leurs cothurnes à semelles compensées, « les Parisiennes en robes d’été claires, très larges, comme on les porte cet été (car il y a une mode !) »…
(…) Paris est sur le point d’être libéré. Ce 23 août 1944, toutes les cloches sonnent. « Pourquoi les grandes joies sont-elles si tristes ? Pourquoi est-ce que je pleure ? », se demande la jeune femme.
Deux jours plus tard, on l’appelle avec de grands gestes : « Viens vite ! André s’est évadé. » Elle s’arrête, pétrifiée. « Tout s’arrête en moi. Je ne puis bouger, je suis comme une statue de pierre. Je ne bougerai jamais plus… »Mais non, elle bouge, elle court, avec sa fillette dans les bras. Elle court vers l’homme de sa vie, dans Paris libéré. Elle peut enfin crier son nom, reprendre son identité, retrouver la France, « embrasser ses pavés »…
(Le Monde, 16 Janvier 2009).
Pour la libération de Paris, un livre qui témoigne avec la même intensité, la même authenticité que Camus et Guéhenno. (DR)