Fresnay-sur-Sarthe fait vivre la mémoire de ses Justes

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Dossier n°

10622

Fresnay-sur-Sarthe fait vivre la mémoire de ses Justes

Du 19/12/2017

 

 

 

Le maire de Fresnay-sur-Sarthe Fabienne Labrette-Ménager remet la médaille de la Ville à André Lebas. (©Les AM.)
Fresnay-sur-Sarthe a rejoint le cercle des villes Justes. Dans une cérémonie à laquelle il n’y avait rien à ajouter ni à retirer. Elle s’est tenue samedi 9 décembre. 

Fresnay-sur-Sarthe appartient, depuis samedi 9 décembre 2017, au cercle restreint des Villes Justes. 

« Venez vite. Ne dites à personne où vous vous rendez, changez de nom, nous vous attendons ».

Ce jour de 1942, les Fresnois André et Mathilde Lebas, parents de dix enfants, se mettent en tête de gripper la mécanique nazie. La famille Jacob qui leur téléphone, ils l’ont rencontrée par hasard, sur les routes de l’exode, deux ans plus tôt. Entre les catholiques de la Sarthe et les juifs du Val d’Oise, une amitié s’est nouée. Avant de se quitter, les aînés des fratries ont échangé leurs adresses.

Les « cousins de Paris »

C’est sous l’identité de Jabert que leurs amis, eux-mêmes parents de trois garçons, débarquent chez les Lebas, qui expliquent qu’ils accueillent des « cousins de Paris » que les restrictions alimentaires ont bouté hors des murs de la capitale. Ceux qui, parmi les Fresnois, n’en croient pas un mot, se taisent.

On se quitte à jamais

Fresnay et sa région n’échappent pas à l’horreur de la guerre. Le 24 juillet 1944, le jeune résistant Jacques Hochin est fusillé. En avril 1944, André Quinton et Andrée Thiersault, 16 ans, qui habite Assé-le-Boisne, sont déportés. Des victimes, il y en a hélas d’autres. Après que, fin août 1944, Paris desserre enfin l’étau nazi, les deux familles se quittent. Elles ne se reverront pas. La famille Jabert reprend son vrai nom –Judas– auquel elle avait dû renoncer dès le début de la Seconde Guerre mondiale.

Contre l’oubli

« C’est en 2015 que Cyriac Lebas, petit-fils d’André Lebas, m’a contactée pour organiser cette cérémonie ».

Le maire de Fresnay-sur-Sarthe Fabienne Labrette-Ménager a revendiqué, samedi 9 décembre, sa décision que l’histoire de la famille Lebas et de la famille Jabert qu’elle venait de retracer, courre toujours. Fresnay a rejoint ce jour-là le cercle restreint des villes Justes. Dans les jardins du château, une plaque, sur laquelle se dresse la sculpture d’une « silhouette décharnée » par Christian Malézieux que le premier magistrat a choisie, a été dévoilée. Y sont gravés les mots de Simone Veil.

« Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation nazie, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem Justes parmi les Nations, la plus haute distinction de l’état d’Israël, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, d’autres restés anonymes, ont sauvé des juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques en courus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité ».

Une cérémonie qui rappelle que la solennité a un sens

L’entrée de Fresnay dans le cercle des villes Justes a été célébrée par les discours successifs du maire de Fresnay-sur-Sarthe Fabienne Labrette-Ménager, du petit-fils d’André et Mathilde Lebas Cyriac Gousset, des délégués régionaux du Comité français pour Yad Vashem Marie-France et Norbert Bensaadon, de la sous-préfète de l’arrondissement de Mamers Marie-Pervenche Plaza.

Ces discours ont été prononcés en présence du député de la 1ère circonscription Damien Pichereau, du conseiller départemental Gérard Galpin, de l’Abbé Gaëtan de Bodard et de nombreux élus de la Communauté de communes de la Haute Sarthe.

La résistante Andrée Dupont-Thiersault était présente, aux côtés du fils d’André et de Mathilde Lebas et de nombreux membres de la famille, dont certains avaient fait un long déplacement.

L’Harmonie des Alpes Mancelles et les enfants de l’école publique de Fresnay ont notablement contribué à l’émotion qui restera le marqueur de cet instant solennel.

« Rester vigilants »

L’arrière-petit-fils d’André et Mathilde Lebas a évoqué « une famille unie » dans laquelle l’éducation était « basée sur l’exemple » et sur « sa mise en application ». Il a salué « le courage » de ces parents, qui n’ignorait rien du sort auquel ils s’exposaient en protégeant une famille juive.

« Surtout, ne dites pas qu’il y a des Juifs chez nous ! Sinon, ils nous emmèneront tous en Allemagne pour nous faire mourir ».

C’était la mise en garde qu’adressait Mathilde Lebas à ses enfants qui partaient à l’école.

André Lebas, conseiller municipal de 1945 à 1970 « faisait l’unanimité » dans la population fresnoise. Il était préparateur en pharmacie.

Mathilde Lebas, déjà éprouvée par la Grande Guerre, était doté d’un psychisme solide. Elle avait été, avant son époux, conseiller municipal, de 1940 à 1945, et la première femme à occuper cette fonction à Fresnay.

Accueillir, alors que la solution finale est en route, une famille juive a été un « acte de bravoure, voire de résistance silencieuse », que le peuple d’Israël a reconnu en faisant des époux Lebas, en 2006, « des Justes parmi les Nations ».

Pour que jamais une tragédie comme celle de la Seconde Guerre mondiale, qui a tué 60 millions de morts et 6 millions de Juifs, se renouvèle, la vigilance est de mise. L’entretien de la mémoire y participe.

Marie-France Bensaadon : « Des éclats de lumière surgis de l’obscurité »

« Le 18 janvier 2007, dans la crypte du Panthéon, le Président de la République Jacques Chirac a donné, auprès des grandes figures de notre pays, une place légitime aux Justes parmi les Nations de France, reconnus par l’Etat d’Israël, dont Mathilde et André Lebas dans la commune de Fresnay-sur- Sarthe, ainsi qu’à tous ceux qui sont restés anonymes ». La déléguée régionale du Comité Yad Vashem a tenu à resituer ce que pesait, dans l’histoire des consciences politiques, le titre de Juste parmi les Nations. C’est par ce titre que l’Etat d’Israël et le mémorial de Yas Vashem rendent hommage aux personnes non juives qui, au péril de leur vie et de celle de leur famille, ont, alors que la Solution finale était en marche, sauvé des personnes juives en danger. « C’est la plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël ». Marie-France Bensaadon a salué ces « éclats de lumières qui surgissent de l’obscurité ». Pour sinistre mémoire, « en France, 76 000 juifs, dont 11 400 enfants, furent déportés. Seuls 2.550 revinrent ; aucun enfant ne se trouvait parmi eux ». En instituant qu’il y aurait un lieu, à Fresnay, le souvenir de la famille Lebas serait entretenu, la municipalité répond à la fois au « devoir de mémoire » et au « droit à la mémoire ». Chaque année, en France, une journée est dédiée à la mémoire des victimes du nazisme, qui rend aussi hommage aux Justes de France. Elle est fixée au 3ème dimanche de juillet, « en souvenir de la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942 ».

Marie-Pervenche Plaza : « Une raison de penser l’avenir »

« Nous sommes réunis par le souvenir de ces familles juives raflées, déportées, assassinées. Il est toujours difficile de trouver des mots pour évoquer cette époque tragique sans refaire l’histoire et en ayant le courage de regarder et de dire l’indifférence jusqu’à la collaboration de certains Français (…) L’histoire des peuples est complexe. Elle s’interprète parfois de façon différente selon les époques. Ce qui est un jour grandeur et magnificence peut devenir insignifiant et condamnable plus tard. Reste que certains enchaînements sont incontestables et j’aimerais que nous nous souvenions de ces enchaînements qui ont mené de la crise économique jusqu’à la Shoah et à la collaboration en empruntant le chemin du populisme et du rejet de l’autre. La folie des peuples existe. Le populisme en est son moteur. La mémoire des Justes doit nous renvoyer à notre responsabilité individuelle et collective pour combattre l’aveuglement (…) Nous sommes tous responsables et acteurs de notre liberté et de notre humanité. L’attitude de ces Justes parmi les Nations est une lumière, une raison de penser l’avenir ».

La médaille de la Ville à la famille Lebas

Le maire de Fresnay Fabienne Labrette-Ménager a remis à titre posthume la médaille de la Ville à la famille Lebas, avant de dévoiler les surprises qu’elle réservait à leur fils André Lebas avec cette distinction.

« Cyriac m’a scanné une lettre que (André Lebas) a reçue quand il a été élevé au rang de Justes parmi les Nations ».

Elle émanait de Claude Judas, le fils de Michel Judas, qui a été un homme politique de la Manche. Claude Judas, qui a été empêché de répondre à l’invitation du maire de Fresnay samedi 9 décembre, lui a cependant aussitôt expédié un message depuis la ville de Prigonrieux (Dordogne). Il y prie Fabienne Labrette-Ménager de saluer « l’abnégation » dont la famille Lebas a fait preuve « pendant une période si troublée ». Claude Judas, qui confie que son père Michel Judas est resté discret sur cet épisode déterminant de sa vie, lui donne l’adresse de sa sœur. Fabienne Labrette-Ménager a annoncé qu’elle la remettait à André Lebas. Première surprise. Il y a en a eu une autre. Après avoir pris attache avec le maire de Pontorson André Denot, le maire de Fresnay a annoncé que celui-ci, avec son conseil municipal, allaient donner le nom d’une rue de leur cité à Mathilde et André Lebas, en mémoire du courage dont ils ont témoigné pour « sauver un jeune homme qui est devenu le maire de notre commune et qui lui a beaucoup donné ».

Deux familles au service de la collectivité

Le maire Fabienne Labrette-Ménager a rappelé l’engagement qu’avaient témoigné les familles Lebas et Judas.

Mathilde Lebas a été la première femme conseiller municipal à Fresnay. Elle siégea du 6 avril 1941 après avoir été nommée par le Préfet, jusqu’au 15 janvier 1945, quand elle a été destituée parce qu’elle avait été nommée par le régime de Vichy.

Son époux André Lebas entra à son tour au conseil municipal, où il siégea du 18 mai 1945 au 17 avril 1970.

« A eux deux, la famille Lebas se sera engagée pour la ville de Fresnay pendant 29 ans et aura siégé avec 3 maires : Alexandre Maignan, Jules Roulin, et Jean Riant ».

Le fils aîné d’André Judas (pendant la Seconde Guerre mondiale Jacob, puis Jabert) avait été maire de Pontorson (Manche) de 1971 à 1977 et de 1983 à 1989 et Conseiller général de 1985 à 1992. Il est mort 2005 peu de temps avant la reconnaissance par le peuple d’Israël de Mathilde et André Lebas.

Fabienne Ausserre