Justes, une belle histoire
Du 14/05/2015
Philippe et Stéphane Guisard, de Saint-Avold, ont retrouvé Eugénie, jeune fille juive cachée par leurs arrière-grands-parents en 1944-45. Il y a quelques jours, ils ont pu embrasser la vieille dame, installée à New York depuis 70 ans.
Philippe Guisard (à gauche), professeur de français à Henri-IV Paris, et son frère Stéphane, ingénieur au Very large telescope (VLT) au Chili, ont grandi à Saint-Avold. Il y a quelques jours, ils ont retrouvé, aux Etats-Unis, Eugénie (au centre).
«Elle est restée profondément française et parle encore impeccablement la langue », rapporte Philippe Guisard, de retour de New York où il a pu enfin rencontrer Eugénie Sharp-Hoffman, la jeune fille juive de la Seconde Guerre mondiale cachée puis protégée des rafles nazies par ses arrière-grands-parents Emile et Geneviève Thouvenin. De l’histoire que lui racontait sa grand-mère Monique, alors qu’il était encore gamin, le Naborien a pu écrire une nouvelle page sur laquelle « résistant, passeur, bravoure, solidarité, danger » n’étaient pas de vains mots.
L’histoire
Février-mars 1944. Eugénie Hoffman a 16 ans, est juive et échappe de peu, avec sa famille, à une rafle des nazis à Pont-à-Mousson. Elle est recueillie avec sa mère par les époux Thouvenin, paysans, dans une ferme isolée à quinze kilomètres de la cité de Duroc. « Elles sont restées sept-huit mois, étaient considérées comme des membres de la famille, donnaient un coup de mains aux travaux agricoles. Ma grand-mère présentait Eugénie comme une cousine réfugiée », raconte Philippe avant de souligner le danger qu’encouraient ses aïeux à cacher aussi bien des réfractaires STO, des résistants parachutés depuis l’Angleterre, etc. « Mon arrière-grand-père récupérait aussi des colis d’armes avec ses camarades résistants alors que les soldats allemands venaient régulièrement se ravitailler dans sa ferme. Il mettait sa famille en danger de mort mais c’était quelqu’un de très calme, réfléchi et profondément humain. » Bien plus tard, en 1994, Emile et Geneviève Thouvenin ont été nommés Justes parmi les nations, la plus haute distinction délivrée par l’Etat d’Israël à des civils.
A l’issue de la guerre, Eugénie a retrouvé toute sa famille, dont son père, déporté au camp de Drancy. Tous sont partis vivre aux Etats-Unis. L’Américaine d’adoption a, malgré l’éloignement, toujours entretenu une correspondance avec ses sauveurs. C’est l’une de ses lettres, datée des années 80, qui a permis à Philippe et à son frère Stéphane Guisard d’entamer des recherches par internet. « Il y a moins d’un an, nous avons envoyé un mail à Elliott Sharp, musicien de renom, en lui posant simplement la question « Etes-vous le fils d’Eugénie ? » Il nous a rapidement répondu « oui ». » Puis des liens ont été noués. Les échanges se sont multipliés jusqu’à une invitation aux Etats-Unis pour assister à la bar-mitsvah de deux petits-enfants d’Eugénie et l’achat de deux billets d’avion.
La rencontre
Fin avril, les deux frères Guisard sont partis « en messagers ». Dès leur arrivée en terres new yorkaises, Eugénie « a fondu en larmes, tout comme elle a été très émue lorsque nous lui avons offert l’arbre généalogique de la famille Thouvenin avec des photos de la ferme où elle a été protégée », se souvient Philippe. A la cérémonie juive, un des invités s’est ému de l’histoire : « Et si vos arrière-grands-parents s’étaient fait prendre par les Allemands ? »
« Nous ne serions pas là aujourd’hui avec vous. Nous sommes les rescapés de cette histoire ! », lui a répondu Stéphane. Une belle histoire « qui nous dépasse » et que Philippe envisage de coucher sur le papier. Comme pour mieux accompagner Eugénie, 89 ans, qui confiait « entamer le dernier chapitre » de sa vie en ayant une pensée quotidienne pour Emile et Geneviève Thouvenin, « des saints ! ».
Odile BOUTSERIN