Les années d’extermination
Saul Friedländer, « L’Allemagne nazie et les Juifs, T. 2. Les Années d’Extermination. 1939- 1945. » Seuil.
Mot de l’éditeur :
– « La littérature consacrée au génocide des Juifs dans l’Allemagne nazie est abondante. Pourtant
aucun historien ne s’était jusqu’alors attelé à une analyse de cette ampleur mêlant le point de vue des bourreaux et celui des victimes. C’est le premier tour de force que réalise Saul Friedlander.
Fondé sur de nombreuses archives inédites, nourri de voix innombrables (journaux intimes, lettres, mémoires), ce second volume de L’Allemagne nazie et les Juifs est magistral : implacablement et sobrement, il déroule l’effroyable scénario qui mène à la « solution finale » et à sa mise en oeuvre.
Complicité des autorités locales, soutien actif des forces de police, passivité des populations et
notamment des élites, mais aussi promptitude des victimes à se soumettre aux ordres dans l’espoir d’améliorer leur sort : c’est cette histoire d’une extrême complexité qui est ici racontée avec une maîtrise rare. »
Extrait :
– « Les juifs, aux yeux de Hitler, étaient d’abord et avant tout une menace active (et, en définitive, mortelle). Pourtant, dans le sillage de la campagne de Pologne, c’est le dégoût et le mépris absolu qui dominèrent presque aussitôt dans les réactions viscérales des Allemands face aux Ostjuden . Le 19 septembre (1939), Hitler visita le quartier juif de Kielce ; son chef de presse, Otto Dietrich, décrivit l’impression que leur fit la visite dans une brochure publiée à la fin de cette même année : « Si nous avions cru jadis connaître les juifs, nous avons vite été détrompés […]. L’apparence de ces êtres humains passe l’imagination. La répulsion physique nous a empêchés d’accomplir notre enquête de journaliste […]. Les juifs de Pologne sont loin d’être pauvres, mais ils vivent dans une crasse inconcevable, dans des cabanes où aucun vagabond (Landstreicher) en Allemagne ne passerait la nuit. » Le 7 octobre, évoquant la description par Hitler de ses impressions de Pologne, Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande, ajouta : « Le problème juif sera le plus difficile à résoudre. Ces juifs ne sont plus des êtres humains. [Ce sont] des prédateurs équipés d’une intelligence froide et qu’il faut rendre inoffensifs. »
Olivier Wieviorka :
– « La force du livre exemplaire de Saul Friedländer tient bien entendu à la synthèse exhaustive qu’il consacre aux années d’extermination, offrant de sûrs repères aux lecteurs que pourrait effrayer l’abondance des ouvrages. Mais elle tient tout autant aux voix qui se font entendre. Commentaires glaçants des bourreaux notant l’excellence de leur repas avant de se livrer à des exécutions de masse, notes profondément humaines des victimes qui s’acharnent, malgré l’adversité, à consigner par écrit les étapes de leur calvaire composent un récit polyphonique qui restitue, du haut au bas de l’échelle, et dans la pluralités des rôles, les multiples ressorts de la Shoah. Débarrassé de tout jargon et d’une grande simplicité d’écriture, ce très grand livre permet, mieux que tout traité savant, de comprendre en se plaçant au plus près des individus, les logiques d’une tragédie qui provoqua des millions de victimes coupables d’être nées. »
(Libération, 28 février)
Laurent Theis :
– « Le délire antijuif propre à Hitler n’aurait sans doute pas été porté à une incandescence meurtrière fatale aux juifs d’Europe si les courants antilibéraux et anticommunistes n’avaient pas, depuis la fin du XIXe siècle et surtout la Grande Guerre, nourri et généralisé en Occident un antisémitisme ordinaire qui, rejoignant l’imprégnation traditionnelle de larges segments des Eglises chrétiennes, facilita l’entreprise nazie. Reste que, souligne l’auteur, l’indifférence, le silence, voire la complaisance, à de belles et très rares exceptions près, des institutions et des élites européennes civiles et religieuses, en particulier du Saint-Siège mais aussi en France, demeurent un sujet de stupéfaction. Au fond, rien, de 1933 à 1945, ne vint réellement s’opposer à la persécution puis à la destruction des juifs d’Europe, que personne, au plus tard dans le courant de 1943, ne pouvait complètement ignorer. Les juifs eux-mêmes, que la propagande nazie, et aussi une opinion générale assez répandue, décrivaient comme si puissants et influents, se révélèrent complètement démunis et vulnérables, et leurs tentatives pour atténuer les persécutions, au travers des conseils dans les ghettos – « avec une centaine de victimes, je sauve un millier de gens ; avec un millier, j’en sauve dix mille » , déclarait le chef du Judenrat de Vilna -, ou pour se révolter, à Varsovie, Treblinka ou Auschwitz, n’étaient plus que des sursauts de survie qui se retournèrent contre eux. La victoire de l’Allemagne aurait signé leur disparition complète, ses défaites l’accélérèrent, car les nazis, se déclarant convaincus que les juifs en étaient la cause, étaient de plus en plus pressés de terminer leur besogne. Dès 1940, il ne restait aux juifs aucune issue ; dès 1942, aucune illusion. »
(Le Point, 21 février)
Gilles Heuré :
– « Dans le premier volume de L’Allemagne nazie et les Juifs, paru en 1997 et aujourd’hui réédité (1), Friedländer récapitulait la lente et inexorable montée de l’antisémitisme en Allemagne entre 1933 et 1939, recensait tous les leviers qui avaient contribué à la mécanique de l’extermination. Dans ce second volet, somme de plus de mille pages, il suit mois après mois, entre 1939 et 1945, l’extermination des Juifs, les lieux, les responsables, les modes opératoires et les protocoles du crime. On croit connaître tout cela. Mais l’accumulation des faits proprement dits ne cesse de redonner une vérité humaine au nombre presque abstrait des millions de Juifs exterminés. »
(1) « L’Allemagne nazie et les Juifs, Tome 1. Les années de persécution. 1933-1939 », Seuil.