Les Juifs raflés à Bugeat
Chez Stock : »Jeudi Saint » de Jean-Marie Borzeix
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pour que ne se « désagrège » pas la mémoire des Juifs raflés sur le plateau de Millevaches en Corrèze.
Présentation par l’Editeur :
– « Le 6 avril 1944, un détachement de soldats allemands traquant les résistants, nombreux dans la région, investit une bourgade du Limousin. Soixante ans après, la population se souvient que ce jour-là quatre paysans d’un village voisin ont été pris en otage et fusillés pour l’exemple.
Jean-Marie Borzeix connaît bien cette histoire, c’est celle du pays où il est né au début de la guerre. Mais parce que ces événements en cachent d’autres, il raconte l’enquête qu’il a menée ces dernières années. Celle-ci le conduit à découvrir que le 6 avril, un Jeudi Saint, et pendant tout le printemps 44, des dizaines de Juifs ont été arrêtés et déportés dans cette commune et dans plusieurs autres du plateau de Millevaches. »
Pierre Assouline, La république des livres (4 juin 2008) :
– « … Le spectre de l’Occupation rôde à toutes les pages. Dès les citations placées en épigraphe, il invite à ne pas se résigner à la défaite que constitue l’oubli, et à ne pas se laisser envahir par le présent à l’exclusion de la suite des années.
Le village de l’Echameil en Haute-Corrèze est le théâtre intime de cette chronique des jours passés, elle aussi gouvernée par une enquête agitée de rumeurs et de murmures. Ca s’est passé en avril 1944 dans la journée du jeudi saint. C’était le temps des rafles et des otages. Le narrateur de ce récit, qui ne cherche pas à se draper dans les habits de cérémonie du roman, veut se faire l’attentif historien de cette journée particulière dans ce minuscule coin de France.
Ecartelé entre le crédit à accorder aux souvenirs des témoins et la totale confiance généralement donnée aux documents d’archives, il navigue entre les petites lâchetés et le courage ordinaires de personnes que sa quête élève au statut de personnages. Tout cela pour retracer le destin d’une poignée d’étrangers échoués là à seule fin de s’y cacher, des « parmi nous » comme on dirait des « malgré nous ». Jamais le plateau limousin n’avait été aussi cosmopolite. Un drame s’est joué là, à l’ombre des bals clandestins, forme de résistance qui connut une vogue considérable à la fin de l’Occupation.
L’auteur, né par là à cette époque-là, a voulu comprendre comment s’étaient superposées la déportation des dizaines de Juifs planqués dans des communes du plateau de Millevaches et l’exécution de quatre paysans pris en otages. Soudain, des gens que ceux du cru avaient fini par connaître s’évanouissent dans la nature. Il faudra le travail du temps et l’obstination d’un seul qui n’avait « rien à voir avec cette histoire » pour que l’on sache ce qui était véritablement advenu. Et pour cause : « Ce n’est pas un pogrom sauvage, c’est une série d’arrestations tranquilles, une sorte de banal contrôle administratif ».
L’histoire s’achève sur le télescopage de deux dates : celle du 6 avril 1944 quelque part en France avec celle du 7 avril 1994 quelque part en Afrique : « Ce jour-là commence le dernier génocide du XXème au siècle au Rwanda. Un génocide préparé de longue date et monstrueusement artisanal ».
Gérôme Garcin, Le Nouvel Observateur (8 mai) :
– « … c’est en réveillant la tragédie de Bugeat qu’il a découvert, caché derrière le monument aux morts, effacé de l’histoire locale, oublié de tous, un autre drame, pourtant concomitant : l’exécution, par ces mêmes nazis, d’un jeune résistant juif, Haïm Rozent, alias Chaïm, alias Jem, qui refusa, sous la torture, de désigner les maquis environnants, et dont la tombe, au fond du cimetière de L’Eglise-aux-Bois, portait un numéro de téléphone à Haïfa.
Commence alors une enquête qui conduit Borzeix en Belgique, Pologne, Israël, à Paris, Berlin et dans les archives du fort de Charenton. Pièce après pièce, il reconstitue le puzzle éparpillé, la généalogie enfouie, le destin brisé de ce juif de Corrèze et de tous les autres, qui ont combattu les Allemands quand ils ne furent pas déportés, et auxquels nul, avant Borzeix, n’avait pensé à célébrer le courage, à graver les noms, à fixer les visages. »
Plaque inaugurée à la Mairie de Bugeat en 2004. Ce monument est évidemment et tristement lacunaire (ou imprécis, si l’on préfère). En effet, il ne porte pas que ces « victimes du nazisme arrêtées à Bugeat » le furent en tant que Juifs persécutés en application de la Shoah.Chaïm Rozent est présenté comme « mort à l’Eglise-aux-Bois » alors qu’il a été fusillé… (Cette note n’engage que l’animateur du blog) :
La Croix (28 mai) :
– « Mais voici qu’a surgi Chaïm, un juif assigné à résidence à Bugeat, avec des centaines d’autres réfugiés et pourchassés éparpillés dans la campagne limousine. Aide-coiffeur et bon garçon, «le» Chaïm jouait aussi du violon. Mais le salon de coiffure était aussi une plaque tournante de la Résistance locale.
On imagine la suite quand débarquèrent les camions vert-de-gris. Borzeix a retrouvé sa tombe, avec sa Table et son étoile de David. Il a rameuté ses enfants depuis Haïfa et le Tennessee, pioché les archives, salué les Klarsfeld, hanté Yad Vashem, assemblé le puzzle, étoile jaune sur coutil bleu. Et pris sa plume. Courez lire la suite, d’un mémorial l’autre, quand les passés s’apaisent, las de s’être tant chevauchés et interpellés. Quand les hêtres du Plateau s’empourprent. »
Catherine Martinez-Scherrer, Parutions.com (2 juin) :
– « Attraper l’Histoire, avant qu’elle nous échappe. Par son nouveau roman, Jean-Marie Borzeix s’interroge sur cette science si inexacte, faite d’oubli et d’incertitude. «L’histoire est construite sur un entassement immense de témoignages de première main qui n’ont été ni livrés, ni retenus» ; que faire quand les anciens disparaissent et avec eux la vérité. Mais n’y a-t-il qu’une seule vérité, un seul point de vue, où est l’objectivité ?
Dans ce livre contre l’oubli, Jean-Marie Borzeix traverse les contours obscurs des souvenirs, les souvenirs qui s’égrènent comme des vérités. Livre d’interrogation et de réflexion, Jeudi Saint est un hommage à ces milliers de vie effacées, gommées. Jean-Marie Borzeix capte dans une écriture épurée la fragilité de la mémoire, la nécessaire écriture, l’indélébile empreinte. Une leçon d’humanité… »
Manifestation patriotique devant le monument aux morts de Bugeat après la libération (photos extraites de : « Bugeat, une commune du pays vert qui vous accueille en Corrèze »).
André Rollin, Le Canard enchaîné (4 juin) :
– « Son récit, écrit avec une force tranquille, n’est pas un texte de plus sur cette période saccagée. C’est la recherche d’un homme qui ne peut admettre que le passé ne se décompose, que les faits se désagrègent. Il veut oublier les mensonges, effacer les lâchetés…
Cette recherche de l’auteur est bouleversante tant elle démonte les mécanismes de l’effroi. Avec des déclarations des plus précises. Comme celle du préfet de la Corrèze, Pierre Trouillé, qui fait son rapport à Vichy :
« Le ramassage des étrangers par les autorités allemandes et françaises a été particulièrement bien accueilli par les Corréziens qui redoutent cette catégorie d’étrangers ».