L’Étoile jaune et le Croissant de Mohammed Aïssaoui
Sous l’Occupation, des Arabes et des musulmans ont sauvé des Juifs.
Inauguration de la Grande Mosquée de Paris, le 15 juillet 1926.Crédits photo : © Albert Harlingue / Roger-Viollet/© Albert Harlingue / Roger-Viollet
Pas un seul Arabe ne figure parmi les 23.000 «Justes parmi les nations» reconnus par Yad Vashem, l’institut israélien qui se consacre à la mémoire et à l’enseignement de la Shoah. Pas un seul musulman de France ou du Maghreb non plus. Comment cela est-il possible? C’est en partant de ce constat qui le désole que Mohammed Aïssaoui a entamé une enquête délicate. Il passe ses journées dans les dépôts d’archives à La Courneuve, Fontainebleau, Bobigny, Alger, Oran et même au deuxième étage d’un commissariat de police où s’entassent les archives des renseignements généraux. Certains des interlocuteurs qu’il sollicite sont célèbres, comme Elie Wiesel, Serge Klarsfeld ou Philippe Bouvard.
Irena Steinfeldt, de la Commission des Justes, lui confie: «Il y a eu des choses, on en est sûrs. Bon, c’est vrai, il y a eu beaucoup de légendes, aussi.» D’après Dalil Boubakeur, l’actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris, cette histoire de Juifs sauvés par la Mosquée est «une légende qui a été beaucoup fantasmée».
Le biographe des fantômes
La couverture du livre L'étoile jaune et la croissant, de Mohammed Aïssaoui.
Pourtant, selon l’auteur, il y a bien eu en France des Arabes et des musulmans qui ont aidé des Juifs. Cette conviction – confortée par un faisceau d’indices qu’il a recueillis avec une patiente obstination – entraîne bien volontiers le lecteur. L’enquête tourne vite autour d’un homme qui le fascine, Kaddour Benghabrit, personnage riche et complexe. C’est lui qui a fondé la Grande Mosquée de Paris en 1926 – dont la création avait été décidée en hommage aux 70.000 musulmans morts pour la France pendant la Grande Guerre. Diplomate, mondain, ondoyant, Benghabrit ne correspond pas à l’idée qu’on se fait aujourd’hui d’un dignitaire musulman – raison pour laquelle on a peut-être fermé sur lui le couvercle de l’oubli. Après la guerre, il subit aussi des accusations. Pour Dalil Boubakeur, il symbolisait la «France coloniale», la Grande Mosquée étant alors un «palais des Mille et Une Nuits». Il aimait, il est vrai, les arts, les femmes, la fête. Ce qui n’empêche pas qu’il ait sans doute sauvé des Juifs de la déportation, tel Salim Halali: celui-ci, dans les années 1950, fit une immense carrière dans la chanson, avant de mourir en 2005 dans l’oubli et la misère. Après avoir souffert de la maladie d’Alzheimer.
«Je suis le biographe des fantômes», écrit Mohammed Aïssaoui et c’est ce qu’on éprouve en l’accompagnant dans cette quête poignante où il parle à la première personne. Un labyrinthe de la mémoire où il tient un fil ténu. L’époque est trouble, les âmes souvent grises. En histoire comme dans la vie, ce que l’on trouve n’est jamais ce que l’on attend: il y a des parts d’ombre cachées, mais aussi de lumière révélées. Dans cette plongée dans l’ambiguïté, parfois le double jeu, on ne peut s’empêcher de songer à l’univers de Modiano. Au détour d’une page, on apprend d’ailleurs que l’on a pu croiser de loin une des figures qui ont inspiré son univers romanesque.
Jean Marc bastière
source: http://www.lefigaro.fr/livres/2012/10/04/03005-20121004ARTFIG00675–l-etoile-jaune-et-le-croissant-de-mohammed-aissaoui.php du 04/10/2102