« Livres pillés, lectures surveillées »

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Dossier n°

« Livres pillés, lectures surveillées »

Mises à sac des bibliothèques, à commencer par celles d’intellectuels juifs,
censure frappant aussi bien Zola qu’Apollinaire,
« aryanisation » de la Bibliothèque Nationale…
l’occupant et ses collabos ont frappé là aussi !

 

 


Gisèle Sapiro :

 

– « Entre 1940 et 1944, des millions de livres ont été saisis par les forces d’occupation nazies. Seuls 20 % seront restitués. Dans cet ouvrage qui traite du devenir des bibliothèques sous l’Occupation, Martine Poulain exhume la liste des victimes dressée à la Libération par la Commission de récupération artistique. Elles appartiennent surtout aux professions intellectuelles et libérales : Marc Bloch, Maurice Halbwachs, Vladimir Jankélévitch, André Maurois…

Relevant de trois logiques de pillage, guerrière, nationaliste, antisémite et raciste, les spoliations touchent aussi les institutions juives et maçonnes, ainsi que les bibliothèques des immigrés d’Europe de l’Est. En revanche, la plupart des bibliothèques publiques y échappent. Au prix d’une soumission aux conditions de l’occupant : révocation du personnel ayant des origines juives, séparation des lecteurs juifs, avant que les portes des bibliothèques ne leur soient fermées en 1942, retrait des livres interdits par l’occupant et par le régime de Vichy (sur les listes desquels Freud côtoyait Zola et Apollinaire).

Pour la Bibliothèque nationale (BN), à laquelle une bonne partie de l’ouvrage est consacrée, cette soumission alla jusqu’à la participation active à la propagande de l’occupant, après la nomination à sa tête de Bernard Faÿ en remplacement de l’ancien administrateur, Julien Cain, évincé en raison de ses origines juives…

Il faut savoir gré à Martine Poulain d’avoir tiré cette histoire de l’oubli en compulsant quantité d’archives inexploitées. Sa connaissance intime du métier de conservateur lui permet de jauger les réalisations à leur juste mesure et de montrer le prix matériel et symbolique – humain aussi – de la politique menée par Faÿ. »(Le Monde, 24 octobre 2008)

 

Laurent Lemire :

– « La corporation des bibliothécaires ne s’est pas distinguée de l’ensemble des autres fonctionnaires français: l’opposition à Vichy fut rare. Et comme l’ensemble des autres fonctionnaires français, les bibliothécaires eurent leur grand collaborateur en la personne de Bernard Faÿ (1893-1978), nommé en 1940 administrateur de la Bibliothèque nationale en remplacement de l’historien Julien Cain (1887-1974), juif et déporté à Buchenwald.

Les services de Ribbentrop définissent Faÿ comme «patriote, réactionnaire, catholique pratiquant et suspect en général». Lui se présente ainsi aux conservateurs de la BN : «J’ai été nommé parce que j’ai la confiance du Maréchal et la confiance des Allemands.»
Curieux personnage que ce Bernard Faÿ. Un intellectuel que la religion et l’ambition ont fait basculer dans les années 1930 dans l’obsession antimaçonnique. A la différence d’autres collaborateurs notoires, Bernard Faÿ n’est pas un germaniste. C’est un américaniste, traducteur de Gertrude Stein, professeur au Collège de France. Condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1946, il s’évade en 1951 revêtu d’une soutane de prêtre puis s’installe en Suisse d’où il publiera quelques essais bilieux et des biographies chez Perrin.

Sous sa coupe, la BN devient un instrument de collaboration. Faÿ préfère traiter directement avec les SS plutôt qu’avec les services d’Abetz à l’ambassade. Il applique sans sourciller, comme dans toute l’administration française, les lois antisémites, xénophobes et antimaçonnes. Il «aryanise» l’administration, refuse l’entrée de l’établissement aux lecteurs juifs et enrichit les collections nationales par les saisies opérées dans les bibliothèques privées des Français déchus de leurs droits (juifs, résistants, communistes…). A la Libération, l’épuration sera silencieuse, étouffée. Le nom même de Bernard Faÿ sera oublié. »
(Le Nouvel Observateur, 13 novembre 2008)

 

Martine Poulain, salle de lecture de l’INHA (DR).

 

Passion livres :

– « Quand les nazis pillaient les bibliothèques. Plusieurs millions de livres ont été volés par l’occupant. Heureusement, d’autres ont été protégés des pillages. Dans son ouvrage Martine Poulain raconte cette « guerre du livre ». Une guerre idéologique, bien sûr.

Le sort des œuvres d’art durant les années de guerre (1940 – 1945) est désormais bien connu. On ne perd tout de même pas facilement la trace d’un Rembrandt. Rien, en revanche, si l’on excepte quelques travaux diffusés en ligne, n’avait été écrit sur les livres. Martine Poulain répare un oubli avec son livre Livres pillés, lectures surveillées.

Depuis le pillage des bibliothèques publiques et privées par les nazis jusqu’à la censure et au contrôle des autorités d’occupation et de Vichy, rien n’a échappé à l’enquête de fourmi à laquelle elle s’est livrée. Ainsi le lecteur saura-t-il à l’unité près combien de livres ont disparu des bibliothèques de Nantes et de Clermont-Ferrand entre 1940 et 1944, combien de livres ont été empruntés en 1943 à la bibliothèque municipale de Dijon, combien achetés, etc. Il pourra passer rapidement sur les catalogues, les statistiques et les budgets qui n’intéressent que les spécialistes. Mais il s’attardera avec un intérêt soutenu sur les formidables tribulations subies par les livres en France durant les cinq années cruciales de cette histoire. »