Sam Braun trouve la force de mettre fin en sagesse à son silence…

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Dossier n°

Sam Braun trouve la force de mettre fin en sagesse à son silence…

 

Présentation par Sam Braun  :

– « Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu » (Albin Michel) tel est le titre du livre que je viens d’écrire avec mon ami Stéphane Guinoiseau.

Longtemps je me suis demandé si je devais coucher sur le papier l’expérience acquise au camp de Buna-Monowitz (Auschwitz III) lorsque j’avais seize ans. Longtemps même le mauvais démon que j’avais en moi, comme tout être humain a le sien, me disait que, somme toute, je n’avais pas grand-chose à dire et en tout cas pas suffisamment pour avoir la prétention d’écrire un livre. Et ce mauvais démon a gagné durant de longues décennies.

Longtemps aussi je me suis demandé si ce que m’avait appris la vie depuis mon retour des camps, c’est à dire depuis que je suis revenu dans une vie civilisée, ou plutôt moins barbare, méritait d’être transmis. Bien souvent m’effleurait la pensée qu’il ne fallait pas étaler au grand jour les réflexions que m’avait inspirées, depuis plus de quatre-vingts ans, la confrontation sociale avec les êtres humains. Tout cela ne m’apparaissait pas comme nécessaire à écrire et surtout ne m’apparaissait pas comme suffisant pour alimenter le contenu d’un livre. J’avais, d’une certaine manière, peur du mot écrit dont la nature même l’expose à une pérennité que n’a pas le verbe lorsqu’il est prononcé.

Je continuais pourtant à apporter avec passion mon témoignage auprès des adolescents. Je pouvais, sans trop de difficulté, utiliser l’oralité pour communiquer aux jeunes ma foi en la vie. Mais coucher mon message par écrit sur une feuille blanche qui, d’anonyme qu’elle était, devient indiscrète puisqu’elle s’insinue dans les pensées les plus intimes de celui qui l’écrit, me semblait hors de mes possibilités et surtout hors de mes forces.

C’est alors qu’est arrivé Stéphane Guinoiseau, professeur de lettres modernes, rencontré dans un collège où j’intervenais auprès d’enfants de troisième. Il a su, avec délicatesse, éveiller en moi une partie de ma vie que je voulais taire tout en respectant certains de mes silences. Grâce à lui, notre livre a pu voir le jour, ensemble de dialogues entre le professeur et moi. Nous y évoquons bien sûr, et comment ne pas le faire, la quotidienneté concentrationnaire, mais nous abordons surtout les grandes questions existentielles que se pose tout être humain. Avec lui, tout professeur qu’il soit, je me retrouvais dans les classes de Terminale où j’avais l’impression d’évoquer, devant des grands adolescents, les questions philosophiques essentielles, éternelles clés du « vivre ensemble ». Et c’est sans aucune fausse pudeur que, stimulé par sa grande culture, j’ai pu, avec lui, faire de ce livre un réel « travail de mémoire » puisque celui-ci, se nourrissant du passé, c’est-à-dire du « devoir de mémoire », se projette dans l’avenir.

Mon état de santé ne me permettant plus de me rendre, dans les établissements scolaires, au devant des adolescents, comme je le faisais dans le passé, j’espère que la lecture de ce livre leur montrera aussi qu’il ne faut jamais perdre espoir et que, même dans les situations les plus désespérées, il faut être habité par l’espérance et par une foi indestructible en la vie qui restera toujours le plus beau des cadeaux. »

Sam Braun (Photo : TV5)

Germaine Tillion, Avant-propos :

– « En juillet 1945, un avion sanitaire de l’armée française se posa sur une piste du Bourget, au nord de Paris. Un petit nombre de rescapés des camps nazis débarqua, rapatriés depuis Prague. Après l’évacuation d’Auschwitz, le 17 janvier 1945, ils avaient parcouru, pendant cet hiver interminable, un long périple jalonné de cadavres, de souffrances et de crimes avant d’échouer dans la capitale tchèque. Pour retourner en France, ces survivants durent, pendant plusieurs semaines, se réhabituer à la nourriture et à la vie, soigner leurs blessures apparentes, tenter d’oublier l’odeur de cendres et de mort. Juillet 1945 donc : un jeune homme qui allait sur ses dix-huit ans retrouvait son pays. Arrêté à Clermont-Ferrand en novembre 1943, il avait été déporté à Auschwitz dès le mois de décembre, après un bref séjour à Drancy. Grâce aux incontournables travaux de Serge Klarsfeld, le bilan précis est aujourd’hui connu : sur les 76 000 juifs déportés de la France entre mars 1942 et août 1944, moins de 2 600 revinrent. Ce jeune homme en faisait partie mais son père, Faivel, sa mère, Malka, et sa petite soeur, Monique, âgée de onze ans en 1943, avaient disparu dans les chambres à gaz, dès leur arrivée à Auschwitz. De cette frêle silhouette, j’imagine le fragile regard lumineux, plein de larmes séchées en ce jour de retrouvailles estivales avec sa terre natale, j’imagine le coeur affolé de tristesse contenue et d’espérances nouvelles quand il parcourut le tarmac et puis la solitude, et puis le silence, bientôt scellé par l’indifférence ou la gêne. Ce jeune adulte, tôt blessé par les deuils imprévus et la lame des souvenirs les plus cruels, s’appelait Sam Braun. Soixante ans plus tard, je le rencontrai au hasard d’une conférence dans l’établissement scolaire où j’enseigne. Lorsque Sam pénétra dans la bibliothèque où se donnait la conférence, l’assistance, quelque peu bruyante les minutes précédentes, se tut subitement et son sourire aimanta immédiatement les regards. »

Marc Fineltin, « Mémoire et Espoirs de la Résistance » :

– « Le 12 novembre 1943, Sam Braun et sa famille sont arrêtés à Clermont-Ferrand et déportés à Auschwitz, via le camp de Drancy. Sam a 16 ans, il reviendra seul. Ses parents et sa sœur de 10 ans 1/2 seront gazés dès le premier jour. Sam Braun a passé deux hivers à Auschwitz, il devra encore survivre à la « marche de la mort », errance infernale sur les routes d’Europe jalonnées de corps. Lorsqu’il est enfin libéré, il pèse 35kg pour 1,77m.

De retour en France, il préférera se taire, occultant son passé douloureux pour se tourner vers la vie. Jusqu’au jour où une étincelle rallume le souvenir et où il décide de raconter son histoire à ses enfants et petits enfants.

C’est ce récit d’une densité extraordinaire qu’a recueilli Stéphane Guinoiseau. Sam Braun raconte avec précision et sincérité son expérience des camps et son difficile retour à la parole, retenant le flot terrible de l’émotion pour mieux nous parler d’humanisme.

Il aura fallu 40 ans à Sam Braun pour témoigner. Une traversée du silence précieuse pour sortir d’Auschwitz et revenir à la vie. Une prise de parole vécue comme une seconde libération qui au fil du temps a forgé une certitude : la nécessité du « travail de mémoire » pour que la vie et l’espérance triomphent de la barbarie. »