François-Guillaume Lorrain est journaliste au Point où il est responsable de la rubrique Histoire. Il est l’auteur de nombreux ouvrages salués par la critique dont Louis XIV L’enfant roi (XO Éditions, 2020) et Scarlett (Flammarion, 2022), lauréat du prix Historia et du prix des Romancières.
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Article du Figaro du 12/09/2024 Par Jean-Marc Bastière
CRITIQUE – L ’historien est parti à la recherche de ces personnes qui, pour avoir sauvé des Juifs pendant la guerre, ont été décorées de la plus haute distinction israélienne.
Tout a commencé par une invitation à une cérémonie à la mairie du 7e arrondissement de Paris. Le journaliste François-Guillaume Lorrain ne se doutait pas que c’était là le point de départ d’un voyage dans une époque qui, si elle fut qualifiée de «sombre», laisse aussi entrevoir des éclats de lumière qui font moins désespérer de l’humanité. Il s’agissait d’une remise à titre posthume de la médaille de Juste parmi les nations à Mathilde Gauthier. Peu avant la rafle du Vél’ d’Hiv’, cette femme avait sauvé la famille Herszbaum, qui possédait un atelier de tailleur situé juste en face de son logement. Daniel, l’un des enfants cachés par Mathilde, avait fait le voyage depuis Israël avec sa famille.
Au crépuscule de leur vie, ces survivants se retournent vers leur enfance, en se demandant: qu’avaient-ils fait pour ces gens qui les avaient sauvés? Ils désiraient leur exprimer leur reconnaissance. Ainsi en est-il d’un photographe new-yorkais célèbre: Henri Dauman, dont l’œuvre brille de photos devenues iconiques d’Elvis Presley, d’Andy Warhol, de Marilyn Monroe et de Jacqueline Kennedy. Loin des feux de la renommée, le vieil homme se souvient de ce couple modeste de Limay dans les Yvelines qui, spontanément, a caché chez lui pendant deux ans le petit garçon âgé de 9 ans qu’il était. Les Morin, aujourd’hui disparus, ont été reconnus Justes parmi les nations en 2021.
La beauté de cette France oubliée
Chaque année a lieu une vingtaine de cérémonies qui rendent un hommage à des Français anonymes dont la mémoire est ainsi revivifiée. Après les combats, la résistance, les persécutions, les déportations, l’heure des sauvetages a ainsi sonné dans la mémoire collective. Il y a 4200 Justes français reconnus actuellement. Mais ils furent bien davantage à sauver une partie des 300.000 Juifs présents en France (un quart fut déporté). La médaille qu’ils reçoivent est la plus haute distinction civile israélienne. La France républicaine s’est approprié cette notion d’une belle profondeur.
L’historien-reporter, fidèle à une méthode qui lui est familière, a cherché à exhumer des «chaînes de solidarité» presque effacées: il se rend sur les lieux, rencontre les derniers sauveteurs, échange avec leurs descendants, interroge les enfants qui ont survécu, accède aussi à des dossiers fournis par le Comité français pour Yad Vashem.
Sous sa plume précise et sensible, la beauté de cette France oubliée, comme une princesse en haillons, palpite toujours. Les sauvetages, d’ailleurs, tournent parfois en histoire d’amour. Telle Jadwiga, la jeune juive polonaise qui épouse Anh, son «sauveur» cochinchinois. «La France, je l’avais dans la peau», répète Odette Blanchet-Bergoffen, 98 ans, la dernière Juste en mesure de témoigner.
Un point commun a rassemblé ces hommes et ces femmes de toutes conditions et de toutes convictions: leur modestie sincère. «N’est-ce pas un peu trop d’honneur?», s’exclament-ils, eux ou leurs descendants, devant les hommages qu’on leur rend. Oubliant qu’ils risquaient leur vie, ils n’avaient fait qu’obéir à leur conscience. Cela leur suffisait.