Serge, sa maman et sa tante arrachés à la Shoah

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Dossier n°

Serge, sa maman et sa tante arrachés à la Shoah

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Mairie de Clichy la Garenne (Ph. V. Saül / DR).

Yvonne et Edmond Fournier
Justes parmi les Nations

Le 25 mars, une cérémonie a marqué à la Mairie de Clichy la Garenne la reconnaissance à titre posthume de deux nouveaux Justes parmi les Nations : Yvonne Fournier (née Corbel) et son époux, Edmond Fournier. Fille d’Yvonne, Jeannine Masson-Allanic a reçu leur Médaille et leur Diplôme.

Synthèse du dossier de Yad Vashem :

– « Zélik, forgeron, et Esther Sukiennik, née Tracz, sont originaires de Kosow en Pologne. Ils émigrent, Zélik le premier en 1928, et s’installent en 1929 dans le 10e arrondissement de Paris, au 15 de la rue du Buisson-St-Louis. 
Zélik travaille à l’usine métallurgique Rachline à Saint-Denis.
En 1932, le couple a un fils : Serge.
En 1936, la soeur d’Esther, Rachel Gotlib, émigre à son tour et vient les rejoindre.
De nationalité française, Serge grandit dans une famille parlant le Yiddish mais apprend le Français grâce à une voisine, Louise Rumel, puis à l’école communale.
Avant guerre, Zélik décide de créer avec un associé leur propre entreprise : « Lit-Métal »…

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Serge et ses parents (Arch. fam. / DR).

– « A la déclaration de la Seconde guerre mondiale, les deux femmes et l’enfant sont évacués à Piacé près de Beaumont-sur-Sarthe. Ils reviendront à Paris quand cessent les combats.
Dès 1940, des lois antisémites sont promulguées. « Lit-Métal » est aryanisé !
En 1941, Zelik est arrêté, mis derrière les barbelés de Beaune-la-Rolande. Il sera déporté vers Auschwitz en 1942.

Serge, sa mère et sa tante échappent à la rafle du Vel d’Hiv. Ils se cachent dans les sanitaires communs de leur immeuble et n’y sont pas découverts par les policiers. Leur voisine, Louise Rumel, vient les avertir de la fin de la rafle et tous trois vont se réfugier auprès d’un oncle Sniadower, avenue de Saint-Ouen. Celui-ci passe en zone dite « libre » avec son épouse et leur fils. Par contre, dans l’appartement qui semble inoccupé, restent dissimulés les trois rescapés de la rafle.
Néanmoins, une voisine, Mme Renard n’ignorait pas leur présence et accueillait volontiers Serge, lequel ne pouvait évidemment plus fréquenter l’école. Pour compléter sa retraite, cette dame pratiquait la cartomancie. Au nombre de ses clientes, figurait Yvonne Allanic laquelle s’étonnait de voir régulièrement Serge quand elle se faisait tirer les cartes. 
Yvonne comprenant la situation périlleuse des persécutés, leur offre un abri moins précaire dans un petit appartement au 77 de la rue de Paris à Clichy la Garenne alors qu’elle-même réside non loin, dans un autre appartement, au 11 de la rue Pasteur. »

 

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Rachel Gotlib-Tracz, tante de Serge (Arch. fam. / DR).

– « Yvonne Allanic est secrétaire à l’usine Citroën de Clichy. D’un premier mariage, elle a deux filles, Jeannine et Anne-Marie, toutes deux en pension. Son compagnon et futur mari, Edmond Fournier, a été contraint de partir travailler. Profitant d’un congé et se dérobant au STO, non seulement il approuve la mise à l’abri des trois juifs mais il veut lui aussi les aider et leur marque une grande tendresse.
Serge, sa mère et sa tante, pourront attendre la Libération dans le relatif cocon de la rue de Paris. Pour le voisinage, Esther s’appelait Mme Germaine et sa soeur Rachel, Mme Raymonde… »

Témoignage de Serge Sukiennik :

– « Pour décrire la nature de nos relations avec Yvonne, je dirai que nous formions quelque chose qui ressemblait à une famille, partageant les peines et les joies. Lorsque Edmond Fournier revient à Clichy, il nous accepta sans réticence aucune et participa lui aussi à notre sauvetage. Yvonne, d’abord seule, puis avec le concours d’Edmond, nous a apporté un soutien moral inappréciable, qui a soutenu le courage de ma mère et de ma tante, et qui nous a permis de tenir jusqu’au bout. Il n’a jamais été question d’argent entre Yvonne et nous. De toutes façons, nous n’aurions pas été en mesure de récompenser qui que ce soit. Toute activité était interdite à ma mère et à ma tante (…)
Ce qui est certain, c’est qu’Yvonne était une personne d’une rare détermination. Elle n’hésita pas à maculer des documents officiels pour éviter à son compagnon, plus tard son mari, de retourner en Allemagne après une permission. C’était d’ailleurs quelqu’un de très modeste et d’une grande simplicité, qui voyait en son action non pas de l’héroïsme mais simplement la réponse à une nécessité intérieure. »
(Témoignage en date du 2 mai 2007).

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Les visages rayonnants des deux Justes parmi les Nations (Arch. fam. / DR).

Témoignage de Rachel Gotlib-Tracz :

– « Yvonne nous a pris sous sa protection et nous a soutenus par sa présence et son courage pendant toute cette difficile période, et nous a donnés le meilleur d’elle-même de façon totalement désintéressée (…).

Yvonne, avec l’aide d’Edmond, nous a sauvé la vie, nous a donné sa protection et son affection durant cette période de tous les dangers. Elle a pris, pour elle et pour les siens, des risques énormes, sans jamais hésiter, sans arrière-pensée. Nous sommes restées très proches et en relation permamente, en dépit de l’éloignement géographique, jusqu’à la fin de sa vie. Je serais heureuse, avant de partir moi-même, qu’il soit rendu hommage à sa mémoire. »
(Témoignage du 3 mai 2007).

La cérémonie de ce 25 mars avait été préparée par Viviane Saül et par Paul Ejchenrand, tous deux Délégués régionaux du Comité Français pour Yad Vashem. Au premier rang des personnalités se détachaient Gilles Catoire, Maire ainsi que Shlomo Morgan, Ministre-Conseiller à l’Ambassade d’Israël.
Conseiller Municipal Délégué à la Vie Associative, aux Maisons de Quartiers, au Devoir de Mémoire, et aux Anciens Combattants, Manuel Allamellou prononça un discours particulièrement remarqué.

Manuel Allamellou :

– « C’est sur l’une des pages les plus douloureuses de notre histoire que nous nous arrêtons aujourd’hui. Les Juifs, classés par l’élite politique allemande de l’époque comme une « race inférieure », devaient à terme disparaître du territoire européen. Cette « solution finale » restera comme l’une des plus importantes épurations ethniques que nous n’ayons jamais connues (…).

La Rafle, magnifique film réalisé par Roselyne Bosch, sorti le 10 mars dernier au cinéma, revient sur l’un des épisodes les plus tragiques de cette histoire française : la Rafle du Vel’ d’Hiv’, survenue à Paris le 16 juillet 1942. Ce type d’œuvres, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques, permettent d’entretenir la mémoire collective, essentielle pour ne jamais oublier et tirer les leçons du passé. La Rafle du Vel’ d’Hiv’ a permis de regrouper plus de 13.000 juifs parisiens au stade vélodrome d’hiver à Paris, afin de les transférer dans les camps français de Drancy, Pithiviers et Beaune la Rolande, puis au camp d’extermination d’Auschwitz, où la quasi-totalité d’entre eux périrent. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1942, la police alla chercher les juifs chez eux en vue d’une arrestation subite et massive.
13.000 juifs furent arrêtés, à la grande déception des dirigeants qui misaient sur une arrestation de 27.000 personnes ce jour-là. Ce différentiel s’explique principalement par le courage héroïque de voisins, d’amis, qui aidèrent parfois au péril de leur vie des Juifs à fuir. Des milliers de ces Juifs en fuite furent ensuite cachés pendant plusieurs années par d’autres personnes tout aussi héroïques. Les Justes, ainsi les appelle-t-on, car face à d’évidentes injustices, leurs sentiments d’humanité a primé sur leur besoin d’obéissance à l’Etat (…). Les Justes, issus de tous milieux, de toutes catégories socioprofessionnelles, avaient en commun cet élan humaniste irréversible.

Aujourd’hui, certains se posent la question « mais qu’est-ce qu’être français ? ». Les Justes ont peut-être apporté un début de réponse. Etre français c’est être juste, tolérant, solidaire. Reconnaître les droits de l’homme et savoir lutter lorsque l’on estime que ceux-ci sont bafoués, savoir lutter même en période difficile. Pour le souvenir, la mémoire, pour tirer des leçons du passé, nous devons nous rappeler jusqu’où l’horreur de la nature humaine nous a amenés. Mais nous devons aussi nous rappeler que certains ont résisté face à l’injustice. Je suis très fier de leur rendre hommage aujourd’hui et je souhaite qu’ils soient pour toujours cités en exemple. »

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Remise du Diplôme et de la Médaille aux noms des deux Justes.
De g. à dr. : Viviane Saül, Déléguée du Comité Français pour Yad Vashem ; Jeannine Masson-Allanic, fille d’Yvonne Fournier ; Shlomo Morgan, Ministre-Conseiller auprès de l’Ambassade d’Israël à Paris.

NB :

Nos remerciements à Viviane Saül pour les documents photographiques et les archives qui ont permis la rédaction de cette page.