Dossier n°11563B - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

L'histoire

Le 23 août 1942, Monseigneur Saliège, Archevêque de Toulouse, qui avait assuré de son soutien les dirigeants de l’O.S.E (Œuvre de Secours aux Enfants) s’insurgeait publiquement contre le sort réservé aux juifs  qui, tout près de là, parqués dans les camps dits de « regroupement » tels que Rivesaltes ou Gurs, subissaient  des traitements inhumains avant d’être entassés dans les premiers convois que l’on voyait partir vers « une destination inconnue » dont on devinait l’issue tragique.

Dans la lettre pastorale qu’il diffusa pour lecture en chaire à l’ensemble du clergé de son diocèse, le prélat usait courageusement de  son influence de haut dignitaire de l’Église Catholique, en proclamant « Les Juifs sont des Hommes ; les juives sont des Femmes. Tout n’est pas permis contre eux. Ils sont nos frères, comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier ».

Une semaine plus tard, presque toutes les paroisses françaises résonnaient de cet appel que Monseigneur Théas, évêque de Montauban avait repris avec une telle conviction et une telle violence que, bien qu’interdit par arrêté préfectoral, il s’était propagé jusqu’à Londres où la BBC l’avait retransmis sur les ondes par la voix de Maurice Schumann.

Dès lors, dans la région, les femmes et les hommes de cœur, de courage et de bonne volonté, s’élevèrent à l’unisson contre l’injustice et la barbarie, prêts à accomplir, au mépris du danger, ce qu’ils considéraient être leur devoir.

Eugénie Hérail, Mère Augustin en religion, était née en 1883 à Cabrieysses de Requistau, dans l’Aveyron.  Supérieure de la Communauté de la Miséricorde de Millau, elle y dirigeait l’Orphelinat de son ordre. Aux côtés de Monseigneur Odilon Carles, curé-archiprêtre de Millau, membre du Séminaire Théologique de Toulouse, elle avait entendu l’appel de sa hiérarchie et s’était immédiatement engagée dans le réseau millavois de sauvetage des enfants juifs,  n’ayant aucun mal à obtenir le fervent concours des religieuses placées sous son autorité.

Armand David Mendelson, professeur à l’Université de Tel Aviv, fut lui-même caché à Millau avec sa mère, lorsqu’il était enfant. Historien minutieux, il s’est attaché à reconstituer avec l’aide de Georges Girard et de Jean-Louis Cartayrade, membres de la Société d’Études Millavoises, l’action de Mère Augustin au travers des témoignages d’Esther, Myriam et Sarah Bakalja et de Caroline Picard, quatre des enfants cachées à la Providence, qu’il a retrouvées en Israël où elles ont émigré à la fin des hostilités. A son instigation, ces enfants devenues des dames âgées, ont déposé un dossier de demande d’attribution de la Médaille des Justes en faveur de celle qui leur a sauvé la vie. Par ailleurs, au cours de l’enquête qu’il poursuivit en France, il eut la chance de rencontrer Simone Courtial qui témoigna. 

A l’époque des faits, Simone Courtial, jeune pensionnaire de l’orphelinat, qui, son parcours scolaire terminé,  faute de liens familiaux, était restée au couvent comme « courrière », c’est-à-dire comme employée à l’accueil, avait été le témoin oculaire de beaucoup de choses ignorées jusqu’ici. Avec une mémoire étonnante et un sens aigu de l’observation, elle a dressé, avec des mots simples, le portrait de Mère Augustin, une femme frêle, qui s’imposait naturellement par son rayonnement et qui se distinguait par son courage, son intelligence, sa bonté et son esprit de tolérance.

Le récit que Simone a confié oralement à  David Mendelson qui a pris soin de le transcrire dans son authenticité, a dévoilé que  Monseigneur Saliège était venu en personne, début 1942 s’entretenir avec Mère Augustin, partenaire de la première heure des réseaux de sauvetage de l’Aveyron. Pour ne pas être reconnu, le prélat portait une tenue civile.

Quelques semaines plus tard, aux trente pensionnaires de l’orphelinat, venaient s’ajouter une quinzaine de « petites juives » dont on changeait le nom et le prénom avant de les inscrire sur un registre brûlé plus tard, par prudence, parce que « les sœurs avaient peur des allemands ». A l’intérieur du couvent, la discrétion était assurée : les religieuses étaient entièrement dévouées à la cause qu’elles avaient accepté de défendre aux côtés de leur Supérieure, et les élèves, dûment chapitrées, savaient qu’il ne fallait  pas se faire remarquer.

Les pensionnaires clandestines arrivaient accompagnées par Mademoiselle Lévy (une accompagnatrice de l’O.S.E.). Elles n’étaient souvent que de passage  en attendant d’être acheminées pour la Suisse, l’Espagne ou la Palestine. Quelques-unes cependant séjournèrent jusqu’à la Libération.

« Le matin, les petites allaient à la messe et le dimanche, nous y assistions regroupées sur l’estrade. Nous en descendions pour communier, mais les petites juives restaient en haut. Alors le Père Gayraud, Curé de Saint-Martin, a dit à Mère Augustin qu’il valait mieux qu’elles ne viennent plus parce que ça se voyait trop. Cependant tout le monde savait qu’elles étaient là, puisqu’elles suivaient les cours de l’école de la Miséricorde où venaient toutes les petites de la ville.

Pour elles, Mère Augustin avait réservé une pièce où elles avaient le droit d’aller tous les samedis et les grandes avaient leur livre de prières, un livre en hébreu qu’on lisait de droite à gauche et qui m’intriguait. Quand les petites quittaient la pièce, elles n’éteignaient pas ; c’est nous qui devions nous en charger ».

 Quand nous montions à la vigne, il y avait quelqu’un qui les attendait dans une petite maison sur la route des Aumières, deux maisons après la ganterie Richard. Chaque fois que l’on montait elles disaient en plaisantant : « on va à la synagogue ».

Et Simone Courtial de conclure, avec son grand cœur d’aveyronnaise :

« Nous avions beaucoup de compassion pour ces filles. Tout le monde les aimait parce qu’elles étaient très attachantes, évidemment nous nous disions : « Nous savons que nous sommes là parce que nos parents ne s’entendaient pas, ou que nous sommes orphelines, mais nous, nous étions habituées. Tandis qu’elles, peuchère, elles n’étaient pas habituées. Il en est peut-être passé plus de cent de ces filles, je ne sais pas. Et puis, un jour, ça s’est arrêté et pour cause, puisqu’il y a eu la Libération. »

Le 30 mars 2009, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné le titre de Juste parmi les Nations à Eugénie Hérail, Mère Augustine en religion.

Documents annexes

Article de presse - Midi-Libre du 28/07/2011Article de presse – Midi-Libre du 28/07/2011