Dossier n°11691 - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Louis Cubaynes

Année de nomination : 2009
Date de naissance : 11/04/1921
Date de décès : 20/09/1986
Profession : cultivateur

Adeline (Douce) Cubaynes

Année de nomination : 2009
Date de naissance : 29/08/1862
Date de décès : 09/06/1950
Profession : cultivatrice

Hélène (Etcheverry) Cubaynes

Année de nomination : 2009
Date de naissance : 25/11/1919
Date de décès : 13/01/2018
Profession : Cultivatrice
    Localisation Ville : Pradines (46090)
    Département : Lot
    Région : Occitanie

    L'histoire

    Fuyant les pogroms de Pologne, ils étaient l’un et l’autre arrivés à Paris en 1937. Rose CUKIER était brodeuse, Max FORST était mécanicien-dentiste Pour ne pas éveiller l’attention d’une administration hostile aux juifs, ils avaient remis à des jours meilleurs leur mariage civil et s’en étaient tenus à faire bénir leur union par un rabbin, le 16 mars 1941. Ils avaient tous les deux vingt ans.

    Ils habitaient rue Aubriot, dans le quatrième arrondissement de la capitale. Etrange coïncidence, c’est à cet emplacement que s’élevait au quatorzième siècle, l’hôtel particulier d’Hugues Aubriot, prévôt de Paris sous le règne de Charles V. Il fut incarcéré pour avoir pris des mesures de clémence à l’égard des Juifs de Paris, avant, que Charles VI, surnommé Charles le Fou,  à son accession au trône, les expulse de son royaume.

    Dès le début de l’occupation, en octobre 1941, le gouvernement de Vichy, devançant les ordres du commandement allemand, promulgua le premier statut des juifs essentiellement composé de mesures économiques et vexatoires, puis franchit l’étape de l’extermination physique en organisant les grandes rafles parisiennes de l’été 1942. A cette époque, Rose était hospitalisée à Rothschild, où le 21 juillet, elle mettait au monde une petite Paulette.

    A sa sortie de l’hôpital, elle apprenait le départ sans retour de ses parents et de ses deux frères (18 et 5 ans) pour les camps de la mort, constatait la disparition de son mari victime lui aussi des rafles et trouvait la porte de son appartement condamnée par des scellés. En charge de son enfant, elle restait seule et démunie dans un Paris occupé où ses quelques amis non-juifs ne pouvaient que lui assurer un hébergement très précaire.

    Elle se souvint alors qu’une lointaine cousine, réfugiée à Pradines, avait rejoint ce petit village du Lot situé à quelques kilomètres de Cahors, parce qu’on lui avait dit que certains de ses habitants acceptaient de recevoir des juifs. Avec l’aide de personnes compatissantes, elle organisa donc son départ et en septembre 1942, elle arrivait sur place avec son enfant.

    Le soir même Adeline CUBAYNES, une vieille dame de quatre-vingts ans, qui avait connu la guerre de 1870, qui avait perdu Louis son fils aîné en 1918 à la bataille de la Marne et qui avait délibérément choisi son camp dès que débuta le troisième conflit franco-allemand, lui offrait spontanément l’hospitalité de sa modeste maison et réchauffait en l’enveloppant dans son propre duvet, le bébé épuisé par ce long et dangereux voyage.

    Adeline vivait seule depuis que deux ans plus tôt elle avait perdu son mari. Ses petits enfants qui habitaient le village, l’assistaient pour les travaux pénibles. Il s’agissait surtout de Louis CUBAYNES, son petit fils de 21 ans, engagé dans la Résistance, enrôlé dans les FFI du Lot, qui, plus tard, pour sa courageuse participation aux combats de la Pointe de Grave en avril 1945, reçut du Général de Gaulle en personne la Croix de Guerre avec étoile de bronze. Très proches d’elle étaient aussi ses petites-filles, Hélène (22ans), Andrée (19ans) et Micheline (12ans). De plus, dès que l’occasion s’en faisait sentir, les autres membres de la famille, qui professaient les mêmes sympathies que leur courageuse aïeule, ne rechignaient jamais à prêter main forte aux actions de Résistance engagées par les leurs.

    Autour de ses deux protégées, la grand-mère qui ne ménageait ni son soutien moral ni sa tendresse, organisa aussitôt un modus vivendi : Rose devenue Rosa pour passer aux yeux des voisins pour une nièce d’Adeline, se transformait en Hélène CUBAYNES lorsqu’elle effectuait de petits déplacements dans la région avec la carte d’identité de cette dernière dont on avait changé la photo et tous contribuaient de leur mieux au quotidien de la mère et de l’enfant.

    A cette époque Micheline CUBAYNES avait 13 ans. Elle se souvient d’un jour de janvier 1943. « Je me trouvais là quand Olympe Galtier, la factrice, apporta un télégramme énigmatique (suis sorti de l’hôpital stop envoie argent à ….).  Rose n’eut aucun mal à décoder le message ; après des mois d’angoisse, cela ne faisait aucun doute : son jeune mari était bien vivant. Paulette dans les bras, elle sautait de joie et dansait dans la salle de la ferme ».

    Adeline décida sans hésiter un seul instant d’héberger le fugitif qui arriva dans la nuit. Emprisonné à Mâcon, puis à Lyon, il avait été interné au camp de Rivesaltes, dont il s’était évadé. Repris, il avait récidivé et était parvenu à échapper à la tuerie, la veille de son départ pour Auschwitz. Il s’était débrouillé pour parvenir à Perpignan d’où un ami l’avait conduit à Pradines.

    Cacher un homme jeune et de surplus recherché pour évasion, décuplait les risques encourus. La femme de cœur qu’était Adeline fit face à la situation avec une clairvoyance, une autorité et un courage étonnants, imposant à ses proches la loi du silence, aménageant en abri l’embrasure d’une fenêtre murée de l’extérieur dont elle avait dissimulé la présence par une armoire, interdisant à quiconque, à l’exclusion de Rose et d’elle-même, d’approcher le reclus dont, par prudence, elle avait tu le nom à son entourage. Quand elle en parlait aux rares détenteurs de son secret, elle le désignait par « LUI », un pronom personnel simple et évident, respectueux tout à la fois de l’anonymat et de l’identité qu’au mépris de la personne humaine, les nazis réduisaient à un numéro tatoué sur le bras.

    Dans un si petit village, le dispositif mis en place était difficile à gérer, et plus d’une fois, sauveurs et sauvés frôlèrent la catastrophe. Il en fut ainsi le jour où Rose et Micheline qui se rendaient de Pradines à Cahors en bus, durent présenter leurs papiers ou encore celui où Hélène, soupçonnée de résistance, fut conduite au commissariat de Cahors dont son frère réussit de justesse à la faire sortir. Que de fois, un membre de la famille détecta un danger imminent et parvint, au risque d’être lui-même arrêté, à prévenir la famille Forst de s’enfuir dans la forêt ou de se cacher dans le cimetière. Que de fois encore les CUBAYNES faillirent se faire prendre en flagrant délit quand ils effectuaient des abattages clandestins pour alimenter les réfugiés, les réfractaires au STO et les maquis des alentours.

    Quand Pradines fut libéré le 17 août 1944, le secret d’Adeline, avait été bien gardé et Max sortit de sa cachette à la grande surprise des habitants du pays qui eurent enfin la réponse aux questions qui les intriguaient : était-ce vraiment Adeline cette ombre silencieuse qui glissait parfois dans la nuit, enveloppée dans sa vaste cape noire ? Et comment se faisait-il que Rosa, la fille-mère que la famille CUBAYNES avait recueillie avec son enfant par charité, à qui on ne connaissait ni mari ni amant, ait accouché en janvier 1944 à l’hôpital de Cahors, d’un second bébé qui n’avait vécu que quelques jours ?

    Quelques années après la Libération, les FORST partirent aux Etats-Unis oublier leurs années de cauchemar pour refaire leur vie. C’est grâce à Internet qu’en 2008, Paulette, près de soixante-cinq ans plus tard, devenue Madame TERWILLIGER, apprit qu’il existait une Médaille des Justes, décernée par l’Etat d’Israël, pour reconnaître les mérites de ceux qui, au péril de leur propre vie, ont permis à des juifs d’échapper aux griffes des nazis.

    Elle ne se souvenait que du nom du village où sa famille était réfugiée et de celui d’Adeline, mais elle eut la chance, en écrivant à la Mairie de Pradines, que son courriel soit transmis à Jean-Marie GARRIGUES, adjoint au maire, qui eut vite fait de retrouver la famille CUBAYNES : né en 1938, il avait souvent pendant l’occupation, accompagné sa mère chez son amie Adeline, quand elle y apportait des vivres destinées aux protégés de celle-ci.

    C’est ainsi qu’en octobre 2008, Paulette TERWILLIGER traversait l’Atlantique à la recherche de son histoire et retrouvait avec émotion Hélène, André et Micheline,  les trois petites filles d’Adeline. Heureuse de l’accueillir, à l’occasion de ces retrouvailles, la Municipalité de Pradines, fière de cette héroïque famille, avait organisé une émouvante cérémonie d’hommage en son honneur.

    Jean-Marie GARRIGUES, l’élu municipal dont les souvenirs personnels étaient en partie liés à ceux de la famille CUBAYNES, s’appliqua à réunir les témoignages des administrés qui avaient connu cette époque, étayant ainsi de détails authentiques le dossier d’attribution de Médaille que Paulette envoya à YAD VASHEM, à Jérusalem.

    Cette Médaille des Justes sera reçue le 12 avril prochain,  au nom de toute sa famille, comme l’a été il y a peu de temps la Légion d’Honneur (*), par Hélène CUBAYNES-ETCHEVERY qui porte allègrement ses 92 ans, tandis qu’à la même date, sera donné à une avenue de Pradines, le nom d’Adeline CUBAYNES pour rappeler aux Pradinois l’exemple de cette modeste héroïne de l’ombre.

    Paulette TERWILLIGER-FORST ne pourra malheureusement pas assister à cette journée du souvenir, mais a-t-elle écrit, « mes pensées seront à Pradines auprès de cette  grand-mère qui se substitua à la mienne quand celle-ci nous fut sauvagement arrachée, cette grand-mère qui fut notre ange gardien et qui restera dans mon cœur jusqu’à ma mort. »

    Le 29 novembre 2009, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah,  a décerné, à Madame Adeline Cubaynes et son petit-fils Louis Cubaynes ainsi que son épouse Hélène Cubaynes née Etcheverry, le titre de Juste parmi les Nations.

    (*)en effet, sur décret du Président Jacques Chirac, depuis le 18 janvier 2007, date à laquelle fut inaugurée au Panthéon de Paris, une plaque dédiée « aux Justes de France et aux héros anonymes qui ont sauvé des milliers de juifs pendant la seconde guerre mondiale », tout nouveau récipiendaire de la Médaille des Justes,  encore en vie, reçoit de la République Française ce témoignage de reconnaissance et de fierté.

    Documents annexes

    Article de presse Article de presse

    Articles annexes