Dossier n°11858 - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Raoul Borie

Année de nomination : 2010
Date de naissance : 26/10/1895
Date de décès : 08/07/1967
Profession : Négociant

Carmen Borie Alary

Année de nomination : 2010
Date de naissance : 10/10/1905
Date de décès : 23/09/2003
Profession : Commerçante
    Localisation Ville : Espalion (12500)
    Département : Aveyron
    Région : Occitanie

    L'histoire

    Carmen et Raoul BORIE habitaient Espalion, où ils exploitaient une entreprise de fer et de charbon, lorsqu’en 1940, la nuit de l’occupation tomba sur la France.

     Affolés par l’avancée des troupes allemandes, les habitants de la moitié nord déferlèrent en vagues migratoires sur la moitié sud du pays avant de refluer vers leurs points de départ dès la signature de l’armistice. Seuls restèrent sur place, ceux pour qui le nazisme présentait un danger particulièrement redoutable, que ce soit du fait de leur religion, de l’annexion de leur province, de leurs opinions politiques ou de leur projet de résistance.

    Dès lors, la zone dite libre, placée sous le contrôle du Gouvernement de Vichy, reprit une vie certes douloureuse et difficile, mais presque normale.

    A Espalion, en  octobre 1941, les BORIE durent remplacer leur comptable, Le facteur du pays  dont la tournée ne se limitait pas à la seule distribution du courrier, se chargea d’informer André KAHN du recrutement en cours, ce  juif de Colmar, mobilisé dans l’armée française en 1939,  était venu à Espalion lors de sa démobilisation en 1940 rejoindre Lise, son épouse, arrivée d’Alsace en Aveyron au terme d’un exode particulièrement mouvementé.

    Raoul BORIE n’hésita pas un seul instant à embaucher le candidat à une époque où les lois de Vichy privaient les juifs de leurs ressources. Le salaire qu’il lui proposa (1800F soit 275 € par mois) venait à point pour compléter les 950F (170€ actuels) alloués aux réfugiés,  afin de lui permettre de nourrir sa femme et ses beaux-parents qui, chassés d’Allemagne étaient arrivés totalement démunis. Par ailleurs les CABANETTES (reconnus eux aussi comme Justes parmi les Nations) lui avaient prêté un lopin de terre sur lequel il cultivait de quoi améliorer l’ordinaire.

    La famille vivait tant bien que mal, jusqu’au jour où André KAHN eut l’imprudence de déclarer à ses partenaires de belote que « les américains allaient venir nous tirer de ce pétrin ». Il n’en fallait pas plus, en 1942, pour que ces propos, dénoncés à la police par un collaborateur malveillant, attirent à leur auteur une assignation à résidence à Saint-Chély-d’Aubrac, levée grâce à l’intervention de Raoul BORIE. Ce dernier, en raison de cette démarche, fut lui-même signalé au Préfet de l’Aveyron, Pierre Marion, de sinistre mémoire, pour « prosélytisme gaulliste ».

    C’est ce même Préfet MARION qui prépara la rafle du 26 août 1942, où fut arrêtée, internée à Rivesaltes  et miraculeusement libérée Rose WOLFF, la mère de Lise. Son père, Jules WOLFF, en revanche, n’eut pas la même chance lorsqu’il fut arrêté le 20 février 1943, après l’invasion allemande de la zone sud, interné à Drancy et assassiné à Majdanek.

    Mon père est descendu du train. Savait-il seulement où il se trouvait à part dans le froid et dans la nuit ? Ses derniers mots, sur une carte postale pré-imprimée, avaient été pour le moins évasifs : «Je pars pour une destination inconnue ». Et le voici arrivé. Vous le voyez vous aussi ? C’est un petit homme tremblant. Il a froid. Un voyageur sans bagages, ainsi qu’ils le sont tous dans ce train-ci. On peut difficilement dire qu’il a posé le pied, emporté qu’il a dû être avec ses congénères. Neuf cent quatre vingt dix sept, très exactement, déportés de Drancy comme lui, dans le convoi 51. Juifs pour beaucoup, mais sans doute aussi tziganes, arméniens, résistants, homosexuels, communistes, donc coupables d’exister aux yeux des nazis. ……..C’est dur de n’avoir aucune tombe sur laquelle pleurer ; la tombe de mon père étant dans le ciel avec celles de six millions de Juifs assassinés, cela fait beaucoup de monde qui nous regarde encore. (texte tiré de la REVUE DU ROUERGUE (n° 90) , témoignage d’Isabelle Kahn, recueilli par Edith Soonckindt, petite-nièce de Carmen et Raoul BORIE)..

    Quelques semaines après l’arrestation de  Jules WOLFF, la famille KAHN dut affronter une nouvelle épreuve lorsqu’André, comme de nombreux hommes valides de la région, fut appelé  au  Service du Travail Obligatoire, pour travailler à Entraygues à la construction du barrage du Maury(*). Par solidarité entre habitants de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, brutalement passés de la nationalité française à la nationalité allemande au moment de l’annexion de leurs provinces, l’encadrement lorrain conscient qu’en tant que juif André risquait la déportation au moindre contrôle, décida de le maintenir en place et de le dissimuler en le rayant des listes.

    Quant à Lise et sa mère restées seules à Espalion, elles  durent dès le mois juin plier bagages à l’arrivée soudaine à Saint-Côme d’une unité SS.  Cachées d’urgence une nuit chez les CABANETTES, puis une nuit chez les BORIE, elles partirent s’installer à Vimenet, à trente kilomètres de là, où Carmen et Raoul possédaient deux maisons de famille. Elles occupèrent l’une d’elles jusqu’à la fin des hostilités, tandis que l’autre était mise à la disposition de la famille NEUMANN de la Garenne-Colombes. Quant au curé du village, l’abbé Philémon DUMOULIN, nommé lui aussi Juste parmi les Nations en 2003, il cachait dans son presbytère, des dizaines de familles juives réparties sur sa commune.

    Mais les aventures n’étaient pas encore terminées, car le 6 juin 1944, alors que les alliés débarquaient sur les plages de Normandie, les allemands, avec l’énergie  du désespoir, redoublèrent de cruauté sur la partie encore occupée, comme en témoigne le massacre d’Oradour-sur-Glane perpétré non loin d’Espalion… Ce n’est qu’en avril 1945 que Lise, son mari et sa mère se retrouvèrent à Colmar, ville enfin libre mais pleine de blessures. Deux ans plus tard, naissait une petite Claude KAHN, symbole de la vie renaissante.

    Isle WOLFF qui était née à Breslau en 1908,  qui était devenue allemande à l’invasion de la Pologne,  qui  avait pris le nom de Lise KAHN lorsqu’elle s’était mariée à Colmar en 1933 et qui avait décidé au lendemain de la Shoah de s’appeler Isabelle KAHN pour effacer les strates successives de son dramatique passé, s’est éteinte en 2009  alors qu’elle avait plus de cent ans. Le flot de souvenirs, d’angoisses et de chagrins enfermés dans l’étonnante mémoire de la vieille dame  aurait pu nourrir une saga de plusieurs générations. Elle ne put partir en paix qu’après s’en être délivrée auprès de son amie Simone LEVY et d’Edith SOONCKINDT, petite-nièce de Carmen et Raoul BORIE qui ont su les écrire et les transcrire pour que la Médaille des Justes parmi les Nations soit remise à ses sauveurs.

    Le 17 Août 2010,Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné le titre de Juste parmi les nations à Raoul Borie et son épouse Carmen.

    (*) .  L’organisation TODT, groupe de génie civil et militaire de l’Allemagne nazie, chargé de réaliser un grand nombre de projets de constructions, tant en Allemagne que dans les pays occupés avait en effet entrepris la réalisation d’un projet déjà amorcé avant la guerre par la France. Le chantier avait été confié à la Société des  Forces Hydrauliques de la Selves, une filiale de Pont à Mousson, qui, située en Lorraine annexée, était devenue allemande en 1940.

    Documents annexes

    Article de presse - Chiourim du 27/07/2011Article de presse – Chiourim du 27/07/2011
    Article de presse - Bulletin d'Espalion du 04/08/2011Article de presse – Bulletin d’Espalion du 04/08/2011
    Article de presse - 26/07/2011Article de presse – 26/07/2011



    Mis à jour il y a 9 mois.