Dossier n°11949 - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Maurice Baigue

Année de nomination : 2010
Date de naissance : 27/01/1870
Date de décès : 21/01/1953
Profession : Docteur
    Localisation Ville : Besançon (25000)
    Département : Doubs
    Région : Bourgogne-Franche-Comté

    L'histoire

    Maurice Baigue, né en 1870 à Besançon, est le fils d’Henri Baigue, l’ancien maire socialiste de Besançon de 1901 à 1906. Ce médecin humaniste, militant socialiste, s’était engagé avant 1914 dans les compagnons pacifistes pour empêcher un confit. Médecin chef à la maternité, il fonda dans l’entre deux guerres la Maison Maternelle pour accueillir les « filles mères », alors stigmatisées. Maurice Baigue appela à la résistance contre le nazisme dès 1937. Vers 1938, âgé de 68 ans, il abandonna sa clientèle car il lui semblait perdre la mémoire et ne plus être sûr de la composition des médicaments prescrits quand il rédigeait ses ordonnances.
    Il vendit alors en viager la maison qu’il habitait et se retira là, vivant dans sa propriété avec sa servante dévouée, Madame Grasser, la fille de celle-ci et son chien, un berger allemand. Pour s’occuper, il acheta deux ou trois chèvres et un bouc et les promenait le long des chemins au-delà de sa propriété, entre Saint-Claude, le Point du Jour et la forêt de Chailluz. A cette époque, au delà de ce qui deviendra le Boulevard, il n’y avait que peu de maisons et on était déjà à la campagne. Quand il descendait en ville, il ne manquait pas de venir voir Suzanne Blum née Didiesheim, clouée au lit par une longue maladie. Leurs discussions passionnées, leurs idées étaient souvent voisines. Suzanne Blum avait correspondu avec Romain Rolland et l’admirait depuis son livre Au dessus de la mêlée et son séjour en Suisse en 1914. Elle transcrivait en Braille ses romans. Elle était non violente convaincue, admirait la politique de Gandhi Ils avaient là beaucoup de sujets de conversation dans ces années précédant la guerre, avec la montée du nazisme et de l’antisémitisme dans de nombreux pays d’Europe. Maurice Baigue était le médecin de la famille Blum et mettra au monde le petit André, comme de nombreux autres enfants de Besançon. La famille Blum habitait une maison avenue Denfert-Rochereau.
    Eugène, son épouse Suzanne et leurs trois enfants, Simone, née en 1925, Denise, née en 1926 et André, né le 2 septembre 1928, habitaient au rez-de-chaussée.
    Henri Blum, frère d’Eugène, avait épousé la sœur de Suzanne, Marie-Anne née Didiesheim le 30/11/1891 à La Chaux-de-Fonds (Suisse). Veuve, elle habitait à l’étage avec ses huit enfants. Le docteur Maurice Baigue venait chez les Blum quand l’un d’eux était malade et prescrivait presque toujours des préparations magistrales. La guerre de 1939 arriva, puis la débâcle. La famille Blum resta à Besançon où ils vont vivre l’Occupation allemande. Dès 1940, Monsieur Contamine, un représentant en horlogerie dans l’entreprise Uti où Eugène Blum directeur et ne pouvait plus exercer dès juillet 1940, l’a aidé à redémarrer dans son métier d’horloger. Quand en mai 1942 les Allemands exigèrent que les Juifs portent une étoile jaune, le docteur Maurice Baigue écrivit à la préfecture, chargée de la distribution de ces étoiles, pour demander l’honneur de la porter. En même temps, par solidarité avec cette communauté mise à l’index, il vint chez les Blum avenue Denfert-Rochereau et demanda à Marie-Anne Blum de l’accompagner en ville. Ils se promenèrent en se tenant par le bras, elle, portant fièrement cousue à son vêtement son étoile jaune à côté de sa Médaille de la Famille française Il ne dut qu’à un concours de circonstance de ne pas être déporté. En effet, sa lettre fut transmise aux autorités allemandes, qui l’arrêtèrent, et l’envoyèrent à la prison de la Butte où il resta une quinzaine de jours. Les Allemands l’envoyèrent ensuite se faire examiner par un médecin allemand à Metz allemand qui le déclara mentalement dérangé, ce qui lui évita la déportation et ses conséquences. Maurice Baigue* fut finalement reconduit chez lui. Eugène Blum, son beau-frère Louis Didiesheim et sa belle-sœur Marie-Anne Blum furent arrêtés après dénonciation pour faits de résistance.
    Eugène sera déporté à Auschwitz par le convoi n° 35 au départ de Pithiviers le 21 septembre 1942. Marie-Anne Blum sera déportée à Auschwitz par le convoi n° 48 au départ de Drancy le 13 février 1943. Louis Didiesheim, né en 1894 également à la Chaux de Fonds (Suisse), sera conduit à Drancy. De nationalité suisse, il ne sera pas déporté. Après leur arrestation, le gendarme qui dirigeait vers Pithiviers les convois partant de Besançon, permit à leur famille de correspondre avec eux jusqu’aux départs de Louis pour Drancy et d’Eugène pour Auschwitz. Monsieur Achille restaurateur célèbre de la rue des Boucheries donne aux Blum des produits alimentaires pour les colis envoyés à Louis Didiesheim qui mourait de faim à Drancy. Les Allemands chassèrent les Blum de leur maison en octobre-novembre 1943 et la famille fut alors dispersée. Les enfants de Marie-Anne Blum partirent rejoindre de la famille à Périgueux. Suzanne Blum put entrer à l’hôpital où elle passa le reste de l’Occupation. Simone, Denise et André Blum, né le 2 septembre 1928 furent hébergés par Monsieur Georges, professeur à l’école Normale, et son épouse jusqu’à la fin de l’année 1943. La ville de Besançon entreposa le mobilier des Blum dans une des salles du musée d’où les œuvres d’art avaient été retirées, ce qui leur permettra de les récupérer après la guerre, tandis que le Pasteur Marsauche entrepose chez lui les objets de culte appartenant à la famille.
    Accompagnées de l’un de leurs professeurs à l’EPS, Mademoiselle Martin, Simone et Denise Blum se rendirent à Lyon pour rejoindre de la famille tandis que leur frère André Blumentrait début 1944 comme interne à l’École d’Horlogerie où il faisait ses études. En février 1944, les Allemands avaient prévu d’arrêter tous les Juifs restant à Besançon. Averti, le directeur de l’école, Monsieur Trincano fit quitter l’école à André Blum qui est alors accueilli par le Dr Maurice Baigue chez qui il va rester jusqu’à la fin du mois de mai 1944, bien protégé par le Docteur Maurice Baigue et la dévouée Madame Grasser.
    André Blum sortait avec le docteur Maurice Baigue tous les matins pour promener ses chèvres. Elles se déplaçaient lentement le long des chemins en se nourrissant des branches de buisson bordant la route. Ils avaient donc le temps de disserter. Le docteur Maurice Baigue lui parlait de ses premiers souvenirs : le passage de longs convois de blessés de la guerre de 1870 dans la rue des Chambrettes devenue plus tard rue Pasteur où habitaient ses parents au-dessus de la ferblanterie familiale.
    Il lui parlait avec amour de sa mère qui lui avait inculqué son amour du prochain et son humanité. Il reprochait à son père sa dureté envers elle dans la vie quotidienne. Il est vrai que Monsieur Henri Baigue avait de grandes responsabilités dans la vie de la cité et de son entreprise, reprise plus tard par son autre fils puis transformée par celui-ci en coopérative ouvrière. Il lui parlait surtout de morale et, écologiste avant l’heure, lui faisait partager son émerveillement sur la nature, les plantes, les animaux et les hommes. Un de ses thèmes favoris était son interrogation : comment et par quel miracle les milliards de cellules composant le corps humain pouvaient elles s’unir, se regrouper, s’associer, collaborer et œuvrer pour former le « Je » de l’être humain sans qu’aucune de ces parties ne se dissocie du tout. Elles façonnent l’homme avec ses désirs, ses idées et ses actes. Quel bel exemple pour qu’enfin les sociétés humaines suivant cet exemple comprennent le chemin à suivre pour arriver à la paix universelle gage de la sauvegarde de l’humanité. Il revenait souvent aussi sur son expérience de médecin à la maternité et était fier de visites que lui faisaient souvent des jeunes qu’il avait mis au monde vingt ans plus tôt, qu’il avait pu sauver malgré un accouchement difficile, et qui finissaient de brillantes études ou occupaient déjà des responsabilités dans la cité. Ou encore il lui parlait d’études citées par les journaux scientifiques sur la dégénérescence des poulets élevés avec des déchets de poisson et qui produisaient, après deux générations seulement, des bêtes difformes et monstrueuses car la poule n’est pas faite pour se nourrir d’aliments non prévus par sa nature. Il lui enseignait déjà l’écologie raisonnée. Le reste de la journée et le soir, André Blum se plongeait dans son importante bibliothèque d’œuvres littéraires et se souvient d’y avoir lu, entre autres, les œuvres de Georges Duhamel. Amis de toujours (peut-être déjà pendant leurs études médicales ?), ils correspondaient, et le docteur Maurice Baigue possédait tous ses livres. Georges Duhamel ne manquait pas de lui rendre visite s’il passait par Besançon. Le soir, le docteur Maurice Baigue mangeait frugalement un plat de gaudes (plat typiquement franc-comtois réalisé avec de la farine de maïs torréfiée) désépaissi avec du lait de ses chèvres que lui avait mijoté toute la journée Madame Grasser sur sa cuisinière. Comme André Blum ne pouvait aller voir sa mère de peur d’être arrêté, le docteur Maurice Baigue se rendait souvent à l’hôpital pour lui rapporter de ses nouvelles. André Blum est passé en Suisse le 26 mai 1944 avec l’aide de Monsieur Vuillez, électricien dont le magasin était dans le bas de la Grande Rue. Il l’emmène par le car jusqu’à La Ferrière-sous-Jougne. Un de ses amis accompagne le jeune garçon jusqu’au-dessus de Ballaigue où des membres de sa famille suisse étaient venus m’attendre. André Blum pu ainsi éviter d’être refoulé comme l’ont été certaines familles vouées alors à la déportation. De retour à Besançon en octobre 1944, André Blum et ses sœurs iront souvent rendre visite au docteur Maurice Baigue, qui venait quelquefois chez eux pour y bavarder avec leur mère. Après la guerre, la vie du docteur Maurice Baigue* était devenue très difficile. Alors qu’en 1938 il avait calculé que son viager lui permettrait de vivre, avec l’inflation de la période 1940-44, les sommes reçues alors ne représentaient plus qu’une faible partie de ses besoins. Comme il avait consacré sa fortune à des œuvres telles que la maison maternelle, la Goutte de lait ou la lutte contre la tuberculose, il n’avait plus rien pour vivre. Son ami, le docteur Maître obtint quel lui soit versé tous les mois un petit complément pour que son dénuement ne soit pas complet. André Blum quitte Besançon à l’automne 1951 et y revient pour le décès de sa mère fin janvier 1953. Le décès du docteur Maurice Baigue était survenu peu de jours avant.

    Le 31 Octobre 2010, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah a décerné, à Monsieur Baigue Maurice, le titre de Juste parmi les Nations.

    Documents annexes

    Article de presse – Revue de de presse des huissiers du 08/09/2012
    Article de presse – Est Républicain du 11/11/2010
    Article de presse – Besançon votre ville de septembre 2010
    Article de presse – Besançon votre ville de février 2003
    Invitation cérémonie Baigue

     




    Mis à jour il y a 2 mois.