Les Justes
Hippolyte Leonlefranc
Année de nomination : 2011Date de naissance : 31/03/1889
Date de décès : 25/03/1981
Profession : Tapissier
Emilie (Gatien) Leonlefranc
Année de nomination : 2011Date de naissance : 20/09/1891
Date de décès : 17/08/1969
Profession : Tapissier
Département : Creuse
Région : Nouvelle-Aquitaine
Personnes sauvées
Lieu porteur de mémoire
Cérémonies
L'histoire
Hyppolyte Léonlefranc est né en 1891 à Aubusson dans une famille de tapissiers. Quand il épousa Emilie, la tapisserie ne nourrissait plus son homme et le jeune couple « monta » à Paris. A la déclaration de guerre, Hyppolite travaillait dans une usine de produits chimiques dont l’activité liée à l’armement lui valut d’être réquisitionné à son poste sans partir au front.
Quand sonnèrent les cloches de la victoire de 1918, la famille, de retour au pays, vivait à Aubusson où elle occupait avec ses deux enfants, Louis et Lucienne, un petit appartement situé au deuxième étage du 8 de la rue Pardoux Duprat. Le couple exerçait son artisanat dans un atelier mansardé, installé sous le toit de l’immeuble.
En 1940, la Creuse, région rurale de tradition républicaine, qui gardait encore des souvenirs cuisants de la première guerre mondiale, dont les longues listes de victimes gravées sur les monuments aux morts entretenaient la mémoire, accueillit plus de 3000 juifs venus de la zone nord dont un fort pourcentage put échapper à la déportation grâce au soutien d’une population majoritairement hostile aux mesures xénophobes et antisémites imposées par le gouvernement de Vichy et par les nazis.
Les Sauvés : La famille Copé
Arrivé de Roumanie, son diplôme de médecin en poche, parfaitement francophone, Marcu Hirsh Copelovici, né en 1900, avait fait trois ans d’études supplémentaires pour avoir le droit d’exercer en France. Naturalisé en 1929, il avait pris le nom de Marcel Copé. Marié à Gisèle Lazarovici, rencontrée à Paris, il s’était installé comme médecin rue du Faubourg Saint-Antoine Mobilisé en 39 dans le service de santé, il avait été décoré de la Croix de guerre pour sa conduite courageuse à la bataille de la Loire. Puis, le nazisme qui s’était abattu sur la France et les lois promulguées par le gouvernement de Pétain, avaient fait de lui un paria dans le pays où il avait pensé avoir trouvé la Liberté.
Malgré les lois raciales d’octobre 1940 interdisant aux médecins juifs d’exercer, il fut autorisé, par dérogation, à poursuivre son activité, mais en juin 1941, après avoir assisté impuissant à une des premières grandes rafles opérées dans le 11e arrondissement, il décida de quitter Paris pour se rendre en zone libre. Après une première étape à Toulouse, en novembre 1942, lorsque les allemands envahirent le sud de la France, sur les conseils de son oncle, Salomon Melich, réfugié à Aubusson, il rejoignit la sous-préfecture de la Creuse.
Le Sauvetage
Un an plus tard, alors qu’arrestations, déportations et répressions s’intensifiaient dans la région, l’oncle Salomon, vint le prévenir qu’un détachement de troupes allemandes cantonnées à « la Courtine » s’apprêtait à effectuer une rafle. Inquiet, Marcel Copé alla trouver son voisin pour lui demander si, en cas de danger, il pouvait se réfugier avec sa famille dans l’atelier du dernier étage. Les deux hommes ne se connaissaient pas, mais spontanément, Hyppolite Léonlefranc, avec sa générosité naturelle, jugeant la cachette insuffisamment sûre, offrit l’asile de son propre appartement.
Deux jours après (le 4 novembre 1943), deux camions de SS stoppaient sur une petite place proche de la maison. Les évènements vécus ce jour-là par la famille Copé, Roland, qui avait treize ans, les a gardés présents dans sa mémoire avec une précision étonnante. Il les a racontés, plus de soixante ans plus tard, dans le témoignage qu’il a envoyé à Yad Vashem pour que soient nommés JUSTES PARMI LES NATIONS, ceux qui ont sauvé sa vie et celle des siens.
«Dès que les SS débarquent dans le quartier, mon père m’envoie prévenir un de ses amis juif, réfugié à quelques mètres de chez nous. Le temps de courir à toutes jambes remplir ma mission, je suis presqu’aussitôt de retour. J’ai juste le temps de rejoindre mes parents et de descendre avec eux et ma sœur Danielle chez Madame Emilie Léonlefranc qui se trouvait seule dans son appartement. Je la vois nous ouvrir sa porte avec simplicité et je l’entends nous dire « Vous êtes chez vous ; entrez tout de suite ».
En nous faisant traverser la cuisine qui donne directement sur le palier, elle nous installe dans une petite pièce attenante. Ma mère s’assoit, prend ma petite sœur sur ses genoux et lui pose une main sur la bouche pour l’empêcher de parler. Pour me donner une contenance, je m’assois sur le tabouret du piano et en tremblant, je me saisis d’une partition de musique. Mon père est debout devant une fenêtre donnant sur la cour. Il observe les soldats qui, sous les ordres du lieutenant Kohr, sont en liaison directe avec la Feldgendarmerie. Il nous dit : « Mes enfants, on est faits comme des rats. ». Nous apprendrons plus tard que nous avons été dénoncés par une femme qui se disait notre amie mais qui, en relation avec la milice, fut condamnée à mort à la Libération. Ce n’est que parce qu’elle était enceinte qu’elle échappa à l’exécution.
Quelques minutes s’écoulent dans un lourd silence. On entend des coups violents frappés à la porte tandis qu’un homme hurle d’une voix forte : « Fou afez des chuifs ici ? »
Courageusement, Madame Léonlefranc continue le repassage qu’elle avait entrepris. «Je ne vois pas ce que vous voulez dire » répond-elle avec un calme incroyable. Puis, c’est le bruit d’une porte qui s’ouvre. « Regardez : la chambre est vide » dit-elle sur le même ton.
Plusieurs minutes s’écoulent dans un silence total. Un pas lourd monte l’escalier et s’arrête à l’atelier du quatrième où nous aurions pu nous trouver si Monsieur Léonlefranc, absent ce jour-là n’avait proposé une autre cachette.
Les minutes paraissent à nouveau des siècles. Les SS s’en vont. Ils sont dans la rue. Un coup de feu nous fait sursauter : les SS viennent de tirer sur le jeune Zilberstein qui traversait la place, mais ils ont manqué leur cible. Un juif de plus a échappé à la mort ce jour-là.
Nous ne retournons pas chez nous. Les Léonlefranc nous réconfortent, nous invitent à partager leur repas et nous attendons que la nuit tombe pour partir à pied pour Moutier Rozeille un des nombreux hameaux éparpillés sur le plateau de Millevaches parmi lesquels il est difficile de se repérer quand on n’est pas de la région. Les habitants des fermes isolées y ont construit un réseau de solidarité où on peut facilement se réfugier et où les Résistants se dissimulent en attendant le Jour J.
C’est au milieu de ces héros de l’ombre, de ces « taiseux » qui n’ont jamais cherché à se prévaloir de leur courage, mais qui ont toujours pensé qu’ils n’ont fait que ce que leur dictait leur conscience et leur cœur que les Copé ont vécu jusqu’à la Libération. Ils ont connu d’autres familles du cru : les Nétange, les Pelaud, les Bouchardy et bien d’autres encore tels Monsieur Vives, professeur de lettres du collège d’Aubusson, qui venait chaque semaine donner des cours de français, de grec et de latin à Roland tandis que son père soignait clandestinement les malades et les blessés et que lui-même portait ravitaillement et messages aux maquis.
En témoignant des instants d’angoisse inoubliables qui auraient pu être les derniers instants de sa vie et de celle de sa famille Roland COPE a permis à YAD VASHEM de reconnaître ses sauveurs comme JUSTES PARMI les NATIONS et de remettre à leurs ayants-droit, la MEDAILLE DES JUSTES PARMI LES NATIONS, la plus haute distinction civile créée par l’Etat d’Israël pour honorer ceux qui, au mépris du danger, se sont dressés face au plus monstrueux génocide organisé de l’histoire.
Pour que se perpétuent la mémoire et l’exemple des Justes après qu’aient disparu les derniers témoins de la Shoah.
Les noms d’Emilie et Hyppolite LEONLEFRANC resteront gravés à jamais sur le mur d’honneur du Jardin des Justes de Yad Vashem à Jérusalem, tandis qu’ils figureront aussi sur le mur de l’allée des Justes qui longe le Mémorial de la Shoah rue Geoffroy l’Asnier à Paris où sont inscrits les noms des Justes de France. (*)
En écho à la remise officielle de la Médaille des Justes parmi les nations d’Emilie et Hyppolite LEONLEFRANC, Michel MOINE, maire d’AUBUSSON, s’apprête à organiser en juin prochain sur les lieux où s’est déroulé le courageux sauvetage de la famille COPE, une cérémonie au cours de laquelle sera apposée une plaque commémorative sur la maison du 8 de la rue Pardoux Duprat et sera inauguré un lieu de Mémoire, portant le nom des JUSTES PARMI LES NATIONS. En rendant hommage à leur conduite exemplaire, la municipalité d’Aubusson rejoindra les soixante-trois communes de France qui se sont engagées sous l’égide du Comité Français pour YAD VASHEM, dans l’opération Villes et Villages de France, à honorer le souvenir de ces femmes et de ces hommes, connus et inconnus, à l’endroit précis où ils ont exposé leur propre vie pour sauver celle des autres.
(*) Rappelons que, reconnue dans notre pays par la loi du 10 juillet 2000, votée sous la Présidence de Monsieur Jacques CHIRAC, l’action des Justes donne lieu, chaque 16 juillet (date anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv de 1942), à une « Journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites de l’Etat Français et d’hommage aux Justes parmi les nations de France».
Le 18 janvier 2007, Monsieur Jacques CHIRAC, sur proposition de Madame Simone VEIL, complétait cette reconnaissance en inaugurant dans la Crypte du Panthéon, une plaque dédiée aux Justes parmi les nations de France, reconnus ou anonymes, qui, « bravant les risques encourus, ont incarné l’honneur de la France, les valeurs de justice, de tolérance et d’humanité ».
Le 2 mars 2011, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné, à Monsieur Hyppolite Léonlefranc et à son épouse Madame Emilie Léonlefranc, le titre de Juste parmi les Nations.
Documents annexes
Invitation Cérémonie Hippolyte et Emilie Léonlefranc | |
Ils ont sauvé les Copé des nazis |