Dossier n°12206A - Juste(s)

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Les personnes reconnues « Justes parmi les Nations » reçoivent de Yad Vashem un diplôme d'honneur ainsi qu'une médaille sur laquelle est gravée cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier ». Il s’agit de la plus haute distinction civile de l’état d’Israël. Au 1er janvier 2021, le titre avait été décerné à 27921 personnes à travers le monde, dont 4150 en France. Cependant le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes faute de témoignages.Reconnus ou non, ils incarnent le meilleur de l'humanité. En effet, tous ont considéré n'avoir rien fait d'autre que leur devoir d'homme. Ils serviront de phares et de modèles aux nouvelles générations.

Allée des Justes à Paris
Allée des Justes à Jérusalem

Les Justes

Pierre Charles

Année de nomination : 2011
Date de naissance : 30/05/1910
Date de décès : 08/05/1982
Profession : Instituteur

Marie (Ginet) Charles

Année de nomination : 2011
Date de naissance : 06/11/1919
Date de décès : 28/08/1969
Profession : Secrétaire de mairie
    Localisation Ville : Allemont (38114)
    Département : Isère
    Région : Auvergne-Rhône-Alpes

    L'histoire

    Lors de la seconde guerre mondiale, Pierre Charles (1910-1982)  et  Marie, née Ginet (1919-1969),  habitaient Allemont , petit village de montagne, situé à une cinquantaine de kilomètres de Grenoble au pied du massif de Belledone . Ils s’étaient mariés en 1937 et habitaient avec leurs deux enfants Gilbert (né en 1938) et Jacques (né en 1941)  dans un logement de fonction situé dans le même bâtiment que l’école de garçons et la mairie du village. Pierre, instituteur de la classe unique, avait de plus pouvoir de directeur, tandis que Marie assurait le secrétariat de la mairie.

    De nombreuses familles juives étaient venues trouver refuge à Allemont et c’est à l’été 1943, qu’y fit étape la famille Kahn, partie de Paris pour Toulouse dès l’invasion allemande, avant de se diriger sur Grenoble espérant trouver en zone d’occupation italienne  une situation plus calme. Au moment de la rupture de l’alliance germano-italienne les Kahn se retranchèrent à Allemont. Bertrand Kahn, le plus jeune des deux fils avait alors dix ans.

    Il se souvient aujourd’hui avoir été l’élève de Pierre Charles qui l’avait accueilli,  mais qui, pour des raisons de sécurité, ne  l’avait pas inscrit sur les listes.  Plusieurs de ses petits camarades étaient dans le même cas. Il évoque un maître qui savait se faire respecter et qui , en dépit de sa situation scolaire irrégulière,  s’était débrouillé pour le faire bénéficier d’une paire de skis de bois qu’Abel Bonnard,  ministre de l’éducation du Maréchal et Jean Borotra ex mousquetaire de la coupe Davis et commissaire aux sports du gouvernement de Vichy, avaient décidé de distribuer aux petits écoliers de la montagne. «Dès les premières neiges dans lesquelles je m’enfonçais jusqu’aux genoux, je montais à l’école, skis sur l’épaule, mon cartable de l’autre côté et redescendais sur les planches. »

    Quand à l’annonce d’une rafle les Kahn durent quitter Allemont,  ils étaient munis de faux papiers qui avaient été fabriqués clandestinement par les Charles et que Marie avait été faire tamponner à la Préfecture de Grenoble où elle avait des complicités.

    Le 16 août 2011, Yad Vashem – Institut International pour la Mémoire de la Shoah, a décerné à Monsieur Pierre Charles et à son épouse Madame Marie Charles, le titre de Juste parmi les Nations.

    Témoignage

     

     Monique,  la plus jeune fille de Marie et Pierre Charles,, née plus tard, en 1947,  écrit :

    Avant que Bertrand Kahn prenne contact avec nous pour demander que nos parents soient reconnus comme Justes par Yad Vashem, nous savions qu’ils avaient aidé des familles juives réfugiées mais ils en parlaient rarement et comme incidemment.  Parfois maman, au détour d’un souvenir brusquement surgi, évoquait sa peur lorsqu’elle transportait des faux papiers à Grenoble. D’autres fois  c’était une carte postale, des vœux, des nouvelles émanant d’une famille juive, dont le nom et l’existence  nous étaient connus sans que nos parents fassent de commentaires particuliers.. Nous n’avions pas pris la mesure de leur engagement renvoyant à un passé déjà lointain. Nous étions  immergés dans le présent de nos propres vies.

    J’imagine pourtant l’inquiétude que devait éprouver ce jeune couple qui, s’il avait été pris, aurait mis en danger non seulement ses deux jeunes enfants, mais aussi  Marguerite Mimero (1927-2001),  une pupille de l’Assistance Publique qu’ils avaient recueillie à leur foyer et qui faisait intégralement partie de notre fratrie.

     C’est grâce à la Médaille des Justes qui vient de leur être récemment attribuée  que l’action de nos parents a été portée à la lumière. C’est grâce à Yad Vashem que nous verrons leurs noms gravés sur les Murs d’Honneur dans le Jardin des Justes parmi les Nations à Jérusalem et au Mémorial de Paris. 

    En menant à bien les patientes démarches faites pour nous retrouver, Bertrand KAHN nous  a donné la dimension de leur passé et a généré notre désir d’exercer nous aussi notre devoir de mémoire en faisant connaître au travers de leur exemple,  la multitude de ceux qui, faute de témoignage, resteront anonymes mais qui comme eux , ont su s’opposer à l’inhumanité et à la nuit. Comment  ces « héros de l’ombre » ont-ils pu percevoir où était le Vrai et le Juste, à une époque de violence et d’endoctrinement, quand l’Etat et la Loi avaient pris le parti  de l’infamie ? Où ont-ils trouvé le courage de risquer leur vie et celles de leurs proches ? Comment ont-ils fait pour trouver, en dépit du danger,  une façon aussi efficace d’apporter leur aide et leur soutien ?

    Pour nous, leurs enfants, ce qui vibrait dans le cœur de Pierre et de Marie restera un mystère. Nous pouvons simplement témoigner de ce que nous avons connu d’eux.

    Marie était une femme très chaleureuse et très généreuse. Toute sa vie durant, on est venu auprès d’elle pour trouver rires, réconfort moral et matériel. Elle venait en aide d’un mouvement spontané, empathique. Les valeurs chrétiennes  faisaient sens pour elle, sans qu’elle soit pratiquante.  Une foi d’inspiration chrétienne, sans doute, peu soucieuse de dogmes.  Elle se montrait très tolérante, libre dans son approche des autres et de leur manière de vivre.

    Pierre était un homme  plutôt réservé, doté d’autorité, de culture et de jugement  Il avait un sens aigu du devoir, des repères éthiques rigoureux. Il aimait analyser et confronter  ses réflexions avec celles d’autrui. Grand lecteur, certains livres de Renan et Rousseau portent ses annotations. Il avait le sens   de l’égalité  dans sa dimension éthique et politique,  et aussi de l’égalité profonde des hommes dans leur humaine condition. Il revendiquait le droit et la responsabilité de penser par lui-même, supportait mal les mots d’ordre, les croyances imposées. Il disait n’avoir pas besoin d’intermédiaire pour rencontrer Dieu. S’il était croyant, sa foi devait se rapprocher de celle évoquée dans La Profession de Foi du Vicaire Savoyard.

    Des contacts avec les résistants existaient. On ignore s’ils se limitaient au soutien basique du réconfort, ravitaillement, informations. Mon frère aîné racontait l’arrivée des résistants dans l’appartement de mes parents, situé juste au dessus de l’école, les armes un peu imprudemment laissées dans le couloir, l’inquiétude de notre mère pour ses deux enfants qui pourraient avoir l’idée de faire comme les grands …

    C’est avec  certaines de ces dispositions  de caractère, valeurs, culture, environnement que nos parents ont abordé  les personnes injustement persécutées et ont agi en suivant ce qui leur semblait naturel de faire. Espérons et travaillons pour que les générations qui nous remplaceront  soient munies de repères solides pour résister à ceux qui voudraient  les rendre flous voir les pervertir et les  anéantir. » 

    Documents annexes

    Invitation cérémonie CharlesInvitation cérémonie Charles



    Mis à jour il y a 9 mois.