La Bibliothèque historique de Paris expose un collabo

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Dossier n°

La Bibliothèque historique de Paris expose un collabo

S’il fallait en croire cette exposition des « Parisiens sous l’Occupation »,

« Ach Paris… » n’était pas sous la botte allemande mais tout au plus sous une aimable pantoufle !!!

Jusqu’au 1er juillet, la Bibliothèque historique de Paris propose une exposition dont les présentations officielles gomment soigneusement le caractère de propagande nazie risquant ainsi d’être réhabilitée.

Jean Baronnet, introduction au catalogue publié par Gallimard :

– « Pendant l’Occcupation, André Zucca, « reporter-photographe » correspondant de Signal, accumula les instantanés en noir et blanc. Mais il fut aussi le seul Français à disposer des pellicules Agfacolor quasi introuvables à cette époque. La couleur, c’est plutôt en esthète qu’il en joua, pour rendre la Stimmung (terme intraduisible, disons « l’atmosphère ») d’une ville dont le charme lui paraissait presque intact, malgré – ou avec – la présence de l’Occupant. Son Paris occupé ne respire ni le malheur ni l’exclusion. Ce qui arrête l’objectif de Zucca, c’est plutôt le Paris où il faisait toujours bon vivre, où les mondanités continuaient comme si de rien n’était. »

Site de la Ville de Paris :

– « Il s’agit là d’un témoignage saisissant de la vie quotidienne des Parisiens pendant les années noires, de l’Occupation à la Libération. Toutes les photographies sont issues de l’exceptionnel fonds détenu par la Bibliothèque – près de 7000 clichés sur le Paris occupé (6000 clichés noir et blanc et 1200 photos couleur). Les photographies présentées ont fait l’objet de corrections minutieuses, qui ont permis de restituer les couleurs avec exactitude. »

En résumé, une exposition pour sortir Paris des souffrances et des morts liées à l’occupation, à l’oppression, aux persécutions… Pour ne garder qu’une ville « charmante » dont les habitants continuant « comme si de rien n’était », posent obligeamment sous le soleil. Le tout donnant des photos si esthétiques !

Face à ce révisionnisme sous-jacent, les réactions critiques et argumentées n’ont heureusement pas manqué.

Louis Mesplé, Rue 89 :

– « André Zucca (1897-1973) fut le photographe français accrédité de Signal, journal de propagande nazie créé en 1940 à l’initiative de Goebbels. Signal fut diffusé dans tous les pays occupés par l’armée allemande. André Zucca fut poursuivi après la guerre pour collaboration et atteinte à la sécurité extèrieure de l’Etat. Une exposition, « Les Parisiens sous l’Occupation », à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, dans le Marais, lui rend hommage. Qu’y voit-on? 250 clichés couleurs pris entre 1940 et 1944 de la vie quotidienne dans les principaux quartiers de Paris. Des clichés qui pourraient avoir été pris quelques années auparavant, les jours de congés, si les terrasses des grands cafés, les grands boulevards, les kiosques à musiques n’étaient encombrés par les uniformes des armées allemandes et les palaces de drapeaux à croix gammées. » (2 avril)

Pierre Assouline, la république des livres :

– « Une exposition de photographies se tient jusqu’au 1e juillet à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, qui devrait, sinon scandaliser, du moins poser problème. Sans quoi ce serait à désespérer de ce qui demeure d’esprit critique dans ce pays. La qualité n’est pas en cause : les 270 images en couleurs accrochées sur ces murs sont pour la plupart d’un grand intérêt, d’une belle tenue et d’une vraie originalité. Des documents sur « Les parisiens sous l’Occupation » comme on en a peu vu. D’où vient alors le malaise qui se dégage de la visite puis de la lecture de l’album qui les rassemble sous le même titre (175 pages, 35 euros, Gallimard/ Paris bibliothèques) ? D’un détail. A savoir que dans cette exposition, il n’est jamais rappelé, clairement, nettement, avec insistance que toutes ces photos relèvent de la propagande. Aucune contextualisation. Il a fallu que des visiteurs s’en émeuvent pour que les organisateurs se fendent d’un avertissement d’un feuillet posé en pile au guichet. Mais rien sur les murs. Ce que dénoncent l’historien de la propagande Jean-Pierre Bertin-Maghit et l’historienne de la photographie Françoise Denoyelle dans une lettre qu’ils ont adressée aujourd’hui même à Bertrand Delanoë, maire de Paris.

(…) L’historien Jean-Pierre Azéma ne paraît pas très l’aise dans sa préface lorsque, présentant l’apolitique Zucca comme « à sa manière un anar de droite », il précise avec un art consommé de la litote qu’il n’était pas germanophobe, qu’il avait certainement approuvé la Relève et qu’il ne brilla pas par son philosémitisme. C’est le moins qu’on puisse dire. Tant de détours pour admettre qu’il avait collaboré en bonne et due forme et que cela ne semblait pas heurter ses convictions profondes.

(…) Pour banaliser son attitude, le commissaire de l’exposition Jean Baronnet n’hésite pas, dans un texte d’accompagnement qui figure dans l’album, à insinuer qu’au fond, tous les photographes français en ont fait autant que lui sous l’Occupation puisque la presse (française) pour laquelle ils travaillaient ne pouvait paraître que sous la surveillance des Allemands; dans le même élan, il avance également que les épurateurs du Comité de libération des reporters photographes avaient bien exposé dans des manifestations dédiées au maréchal Pétain… On ne saurait être plus maladroit pour faire passer ce qui demeure le plus troublant dans cette exposition, son côté hommage officiel et sans nuance à un photographe de la propagande allemande. Si toutefois les mots ont encore un sens et que l’on peut appeler un chat un chat et Zucca un collabo. » (7 avril)

 

Sur 270 photos, deux seulement évoquent les persécutions raciales. Ici, la Rue des Rosiers (DR).

 

Philippe Dagen, Le Monde :

– « L’intérêt des images n’est pas en cause, mais leur présentation. Sans véritables commentaires, elles montrent un Paris idyllique : des enfants font voguer leurs bateaux sur le bassin du Luxembourg, les musiciens de la Wehrmacht régalent les Parisiens de concerts en plein air, les élégantes font du vélo. des affiches en couleurs enjoignent d’aller voir l’Exposition antibolchevique ou de rejoindre la Légion des volontaires français (LVF) engagée contre l’Armée rouge.
Par hasard, Zucca photographie une femme en noir portant l’étoile jaune et, rue des Rosiers, un vieil homme au manteau duquel on aperçoit la tache jaune, à peine visible. Mais les rafles, les commerces juifs aux vitrines barrées d’inscriptions antisémites, les queues devant les magasins d’alimentation, les V tracés à la peinture blanche sur les murs en signe de résistance après la défaite des nazis à Stalingrad, il ne les voit pas.
André Zucca travaillait au « service exclusif » du bimensuel allemand Signal, édité d’avril 1940 à mars 1945 par Deutscher Verlag, dédié à l’apologie de la Wehrmacht, publié en vingt langues, dont le français. En 1942 et 1943, le tirage de ce magazine de propagande nazie, non diffusé en Allemagne, atteint 2,5 millions d’exemplaires, dont 800 000 pour la France.Zucca a publié des dizaines de reportages en noir et blanc dans Signal, traitant de sujets faits pour satisfaire son employeur, notamment les bombardements aériens anglais et américains sur la France. Tout cela n’aurait-il pas mérité des cartels (courts textes sous les photos) qui ne se bornent pas à préciser lieux et dates ? » (12 avril)

Yasmine Youssi, le JDD :

– « Au fil des images surgit un Paris étrange, inattendu. Certes, les rues sont vides, mais les cafés pleins, les vitrines garnies et les Halles très bien approvisionnées. Il y a bien quelques SDF ou mamies piochant dans les poubelles du marché. Une vieille dame aux cheveux hirsutes portant l’étoile jaune, aussi. Mais à en croire Zucca, dans l’ensemble, il faisait bon vivre à Paris en ce temps-là.

Alors, on nous aurait menti? Sur le rationnement, les queues interminables, la répression, la collaboration, l’antisémitisme d’Etat ? Non. C’est plutôt cette exposition qui oublie de préciser un certain nombre de faits importants. Zucca était le correspondant français exclusif de Signal, un journal allemand édité par les nazis dans différents pays occupés. Ce n’est donc pas la vie des Parisiens sous l’Occupation qui est ici dévoilée, mais celle des Parisiens telle que les Allemands souhaitaient la montrer. « La vision de Paris donnée par cette exposition est faussée par la situation du photographe et par la technique utilisée », analyse Jean-Claude Gautrand, photographe et historien du médium. « Il fallait une lumière très forte pour pouvoir faire ces images en couleurs [à l’époque]. D’où l’impression d’un Paris constamment ensoleillé. »A y regarder de plus près, Zucca célèbre effectivement le vainqueur et son idéologie dans toute leur puissance, soulignant la douceur de vivre en pays occupé. Et qu’on ne compte pas sur les cartels (d’une indigence rare) pour éclairer les visiteurs. Il y a là quelque chose de grave – et de dangereux – à exposer, sans aucune explication, ces tirages de propagande. Faut-il rappeler que l’objectivité en photographie n’existe pas ? Chaque image exprime un point de vue. Et c’est ici celui de l’occupant, imposé comme celui de tous les Français. » (30 mars)

Gilles Renault, Libération :

– « Un certain malaise nimbe l’exposition «les Parisiens sous l’Occupation». Présentée à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, elle dépend de la direction des affaires culturelles de la mairie et donc du premier adjoint à la Culture, Christophe Girard. Qui, interrogé, n’y va pas par quatre chemins : «J’ai découvert cette exposition le jour de son inauguration et j’ai été gêné par son ambiguïté au point que je ne m’y suis pas attardé trop longtemps. D’abord en raison de son intitulé. J’aurais préféré « Des Parisiens sous l’Occupation » ou mieux encore, « Sous l’Occupation ». Mais c’est la liberté absolue du conservateur de la Bibliothèque historique, Jean Dérens, de choisir un titre, un thème d’exposition et un commissaire pour superviser sa réalisation. Mais, encore une fois, je trouve cette exposition mal accompagnée.»
Pour remédier à ce défaut, la mairie de Paris a fait imprimer (…) un avertissement, donné avec chaque billet d’entrée, qui rappelle, entre autres, qu’André Zucca, auteur des photographies présentées, fut embauché par le magazine nazi Signal et qu’il a choisi «un regard qui ne montre rien, ou si peu, de la réalité de l’Occupation et de ses aspects dramatiques». » (8 avril)

Le 18 avril, les affiches annonçant cette exposition plus que douteuse dans sa présentation, sont retirées des murs de Paris.