Faucigny – François et Jeanne Allard, désormais Justes

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Dossier n°

11914

Faucigny – François et Jeanne Allard, désormais Justes


Le 6 août a été remis à titre posthume le diplôme et la médaille des Justes parmi les nations aux Mégevans François et Jeanne Olga Allard.

 

 

 

Viviane Gumpel : « Pour ma mère, Megève ça a été des moments de bonheur »

Pendant la guerre, ils avaient caché et sauvé des juifs, Jurgen Goldschmidt et la famille Gumpel. Les enfants Allard Carmen, Arlette et Félix étaient présents. Et se souviennent.
Ce sont peut-être des héros, mais sans le savoir », hasarde Félix, l’un des trois enfants Allard. Félix, Arlette et Carmen sont d’accord pourtant sur un point : cacher des juifs chez eux pendant la Seconde Guerre mondiale, « je crois que c’était spontané, naturel. Ils n’ont pas trop cherché à comprendre »« Mon père avait fait la guerre de 14, poursuit Félix, il avait été trépané, y a perdu deux frères, a reçu la croix de guerre et la médaille militaire. Il savait ce qu’était la guerre, et ce qu’étaient les Allemands à ce moment-là ! »
« Ils ont pris des risques terribles »
Félix avait, en 1940, 6 ans, Arlette 7 ans et demi, Carmen 9 ans. Ils témoignent de ce qu’était Megève alors. Une sorte de havre étrange, ni hors de la guerre, ni totalement touchée de plein fouet. « On avait bien conscience même à notre âge qu’ils se passait des choses bizarres. Même si la ville n’était pas bombardée, si on ne mourait pas de faim car ceux qui avaient un jardin avait de quoi se nourrir », conte Carmen, « les Allemands avaient réquisitionné un hôtel en ville, mais c’était des Allemands d’un certain âge, venus après l’occupation italienne fin 43. Ils attendaient plutôt que la guerre se termine. Mais il y avait aussi des pilotes en attente de partir sur le front russe, une ferme où se cachaient des rabbins… » Les pilotes essaient de se casser une jambe au ski pour éviter Léningrad, et Jurgen, jeune juif en fuite hébergé arrive, habitué au rationnement de pain.
« On a fait cuire des pommes de terre, qui étaient très bonnes. Habituellement on en mangeait deux ou trois. Il en a mangé seize ! » , éclate de rire la fratrie.
C’est une émission à la télé sur les Justes qui a fait « tilt », il y a quelques années. « On a cherché puis trouvé Danielle Gumpel, conçue à Megève mais née à Bordeaux, qui nous a mis en contact avec Viviane. On lui a tout de suite téléphoné. On s’est tous retrouvé instantanément sur un pied d’égalité ».
À rebours, bien sûr, les trois enfants le savent, « nos parents ont pris des risques terribles et ils en étaient conscients, maman avait même fourni une fausse carte d’identité à Viviane ».
De quoi justifier leur reconnaissance par le mémorial de Yad Vashem : « qui sauve une vie sauve l’univers tout entier ».

DAVID GOSSART

Le Messager

Jurgen Goldschmidt : « Je vivais dans la peur »

Jurgen Goldschmidt était à l’internat au collège quand il a dû fuir, probablement « donné », à l’approche de deux Allemands qui venaient le chercher. D’abord caché dans une ferme de la Livraz chez un propriétaire « qui je pense était mort de trouille et a fini par me renvoyer.
C’est le vicaire qui m’a fait cacher chez les Allard. Il m’a fait traverser Megève au nez et à la barbe des Allemands alors que leur ferme était à 50 m de la Kommandantur. Je suis resté chez eux de juin à mi-septembre ou début octobre »
. Jurgen en garde finalement peu de souvenirs.
« Je vivais dans la peur, je ne pouvais pas sortir : je pouvais les mettre en danger… Mais je me souviens de la gentillesse des Allard.
Et d’une soeur qui me faisait enrager car elle ne me laissait pas traverser un petit ruisseau ! »
Un autre jour, il a dû fuir avec M. Allard pour se cacher dans une grotte. C’est Carmen qui raconte : « En 1944 les Allemands étaient prêts à partir mais le maquis a voulu attaquer. Ils en ont tué un. Du coup les Allemands de la plaine sont montés, ils ont surgi place de l’église en pleine procession. Jurgen est monté avec mon père route des Perchets, aux Aravis, rejoindre un Lituanien qui parlait parfaitement allemand, qui les a aidés, et ils se sont cachés avec M. Gumpel dans une grotte ».
Jurgen lui, se souvient être parti de la ferme des Allard « avec tristesse car je retournais à l’internat. Aujourd’hui je me sens affilié au Megève de cette époque et les Allard, que je ne vois pas très souvent, j’ai avec eux des rapports d’amitié très profonds. Ce sont des gens remarquables, énergiques et droits, malins : des Savoyards ! »

Viviane Gumpel : « Pour ma mère, Megève ça a été des moments de bonheur »

Contrairement à Jurgen – qui ignorait qu’ils étaient là -, les Gumpel et leur fille Viviane conservent des souvenirs joyeux de leur passage chez les Allard. Viviane, qui vit à Bordeaux et était encore un nourrisson à son arrivée à Megève en 1942, confirme. « Ma mère me disait qu’elle n’a jamais eu peur, elle y était très en confiance. Mon père était une référence pour elle et tant qu’il était là, elle ne voyait pas les choses sous un angle tragique. Pour elle Megève ça a été des moments de bonheur. » Viviane elle-même fourmille de souvenirs qu’on croirait de… vacances. Il faut dire qu’elle était tellement petite… « J’ai été une petite fille très gâtée par les trois enfants Allard. Je jouais beaucoup à la poupée avec Arlette, je me souviens du chien Fidèle au milieu de la prairie, il me paraissait énorme ! Il paraît que je lui enlevais sa gamelle en disant « tu as trop mangé pour l’instant »… Des souvenirs me sont revenus en voyant un des balcons de la maison : je me souviens qu’on m’asseyait dessus. Je me souviens aussi d’une escapade en luge, on avait grimpé jusqu’à Rochebrune à l’hiver 44, et quand on est redescendus, on nous cherchait, paniqués, et évidemment, on a été punis ».

Toujours en contact épistolaire
Cependant, la trajectoire de la famille Gumpel est bien celle d’un noyau chassé de Bordeaux à l’été 42 vers Toulouse où ils se sont réfugiés chez des amis et sa marraine, qui était dans la Résistance. Le père est alors parti en direction de la Suisse pour voir s’il était possible d’y passer. Mais si lui le pouvait en tant que juif étranger (il était de Brest Litovsk), ce n’était pas le cas du reste de la famille. « Il a alors cherché et trouvé cette ferme à Megève, où nous sommes arrivés en septembre 42. À cet endroit il n’y avait presque rien à l’époque, on descendait au village à ski.
Nous sommes restés jusqu’en 1944 »
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Puis papa Gumpel est parti tenter de passer en Italie laissant sa femme et sa fille derrière lui par prudence. « Ils sont arrivés jusqu’à Nice, on les a alors mis au rez-de-chaussée d’un hôtel. Ils ont vu passer les Allemands et ont pu partir par la fenêtre. Deux mois après, il était revenu à Megève ».
Jusqu’en 1946, les deux familles restent très proches, et puis la vie s’en est mêlée, participant à couper un peu la communication. « Nous sommes restés en contact surtout épistolaire, on s’est échangé des photos. » Jusqu’à se revoir début août à Megève, pour cette cérémonie si importante, lourde en symbole et en émotions.

source: http://www.lemessager.fr/Actualite/Faucigny/2012/09/09/article_francois_et_jeanne_allard_desormais_just.shtml du06/09/2012