Les « enfants du P. Jacques » se souviennent
Du 27/05/2015
L’arrestation des enfants juifs de l’école d’Avon avec le P. Jacques , le 15 janvier 1944, inspira le film de Louis Malle Au revoir les enfants
Le 2 juin 1945, le carme Jacques de Jésus, arrêté pour avoir caché des enfants juifs, mourait après sa déportation au camp de Mauthausen.
François-Xavier de Siéyès est le dernier élève du P. Jacques à l’avoir vu dans la prison de Fontainebleau, le 5 mars 1944. « Dans le parloir où deux autres carmes et moi-même avions pu le rencontrer, il m’avait remis une image de sainte Anne, dédicacée de sa main, que j’ai toujours gardée », raconte cet ancien banquier de 86 ans qui se souvient parfaitement de ses cinq années, de 1941 à 1946, au collège d’Avon (Seine-et-Marne). Cette école pour garçons avait été fondée en 1934 par le P. Jacques, de son vrai nom Lucien Bunel, devenu le carme Jacques de Jésus.
Le P. Jacques, à la fois professeur de lettres et directeur du collège d’Avon, était, de l’avis de François-Xavier de Siéyès, « très intimidant, très cultivé et avec une très grande soif d’absolu ». Ce pédagogue écrivait en 1935 : « La seule éducation vraie, celle qui donne des résultats complets et définitifs, consiste à apprendre aux enfants à faire usage de leur liberté. Le vrai but de toute éducation doit être la sainteté. »
Déporté pour son implication dans la Résistance
C’est dans cette école d’Avon qu’il accueillit, pendant l’Occupation allemande, des réfractaires du STO ainsi que trois enfants juifs – sous une identité d’emprunt. Leur arrestation par la Gestapo, avec celle du P. Jacques, le 15 janvier 1944, inspira le film de Louis Malle Au revoir les enfants (1987). Déporté à Mauthausen et Gusen, en Autriche, du fait de son implication dans la Résistance, le religieux se dévoua auprès des prisonniers et des malades, mettant en place des « équipes de solidarité » pour répartir les rations et donner un peu plus aux plus faibles.
« Quand on rencontrait le P. Jacques dans un camp de concentration, on n’avait plus honte d’être un homme ; il vous réconciliait avec l’espèce humaine », témoigne Jean Gavard, ancien déporté à Gusen. « Le P. Jacques n’avait pas peur de tenir tête aux nazis », ajoute le P. Robert Arcas, prieur du couvent des carmes de Paris. Épuisé, le P. Jacques tomba malade peu avant la libération du camp de Gusen par les Américains et mourut à Linz le 2 juin 1945 ; il avait 45 ans.
Le dossier pour sa cause en béatification a été introduit à Rome en 1997 : « Le travail avance lentement », résume le P. Arcas, secrétaire de la cause dans sa phase diocésaine, qui rappelle que les nazis ne savaient pas que Lucien Bunel était religieux et prêtre : « S’ils l’avaient su, le P. Jacques aurait été envoyé à Dachau et n’aurait pas pu faire tout ce qu’il a fait à Mauthausen… »
À l’occasion du 70e anniversaire de sa mort, le Comité du P. Jacques organise un colloque puis une journée commémorative à Avon . Parallèlement, la mairie d’Avon invite à une Fête des Justes , en souvenir du carme mais aussi du maire d’Avon, Rémy Dumoncel, et du secrétaire de mairie, Paul Mathéry, qui furent arrêtés en 1944 et qui moururent également en déportation. Tous les trois ont été reconnus « Justes parmi les Nations » par Yad Vashem.
CLAIRE LESEGRETAIN