Loon-Plage : Georgette Franchois, une Juste pour mémoire.

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Dossier n°

Loon-Plage : Georgette Franchois, une Juste pour mémoire.

dU 16/11/2018

 

 

 

La commune de Loon-Plage, 6297 habitants aujourd’hui, est à moins de 13 km de Dunkerque. Samedi 10 novembre 2018, une partie de la municipalité, les habitants et les enfants des écoles ont honoré le souvenir de Georgette Franchois qui en 1942 n’a que 18 ans. Au péril de sa vie, de celle de sa famille et de tout le village de Loon-Plage, elle sauve de la déportation Maurice Baran-Marszak alors âgé de 9 ans. Depuis ce samedi, un square où désormais, jouent sans crainte les enfants, porte le nom de cette simple jeune fille du village, alors gouvernante chez la famille Baran qui quelques temps avant, a fui les bombardements allemands de 1940 sur Dunkerque où elle habite, et s’est réfugiée  à Lille.

Itinéraire d’un enfant sauvé…

Maurice Baran-Marszak. Il avait 9 ans

Depuis le 15 juin 1940, les Juifs du Nord et du Pas-de-Calais dépendent de l’administration allemande de Bruxelles. Les lois antisémites de 1940 les excluent peu à peu de toutes les possibilités de vie normale. Tout leur est interdit y compris au petit Maurice qui malgré le port de l’étoile jaune et grâce à Georgette, peut tout de même aller au cinéma, au parc de jeu, son étoile jaune cachée sous le revers de son col de manteau…Samedi 10 novembre, la cérémonie est d’autant plus émouvante que Maurice Baran-Marszak est présent. Il raconte avec une réelle émotion son sauvetage, et celui de son petit frère Michel, alors âgé de 3 mois. Nous sommes le 11 septembre 1942, la veille de Roch Hashana. Dès 6H00 du matin, les Juifs du Nord et du Pas-de-Calais sont raflés. Tous, femmes, enfants, vieilles personnes sont amenés par la police française et la gestapo à la gare de Lille-Fives. Ils attendent dans la peur et les cris, le train qui les transportera vers Malines, en Belgique d’où, ils seront déportés à Auschwitz. Mais pour l’heure, ils ne savent pas. Enfin, je crois ! Jankiel le père de Maurice et de Michel a été arrêté le 25 juillet. Même destination : gare de Lille-Fives, direction la Caserne Dossin à Malines dans la banlieue d’Anvers puis Auschwitz dans le convoi n°1 en partance de Belgique…Il ne reviendra pas…Ce jour de Roch Hashana, plus de 600 juifs s’entassent sur le quai et fait incroyable, les cheminots de la gare, tous des Justes !, sauvent plus de cinquante enfants et bébés. Ils retarderont aussi le départ train, prétextant une panne… Maurice et son frère sont collés à Fanny, leur mère. La scène n’est pas sans pleurs, sans déchirements. Maurice nous dit qu’il s’accroche une dernière fois à la robe de sa mère qu’il ne reverra plus…C’est Georgette qui l’a décidé et qui a demandé à sa mère d’amener Maurice avec elle. Fanny accepte non sans douleurs. Georgette passe avec Maurice le barrage de police. L’agent les laisse passer. Il sait ? Il ne sait pas ?, toujours est-il qu’il semble fermer les yeux, comme on dit. Maurice est sauvé. Son petit frère l’est aussi par Melle Neubert une infirmière suisse de la clinique Ambroise Paré qui le met dans un sac à dos. Il passera la guerre dans ce centre de soins…Les deux frères se retrouveront après le conflit…

Maurice : cht’i juif ou juif cht’i ?

Georgette amène Maurice chez ses parents, Madeleine et Marcel qui habitent alors le hameau de pont-à-Roseaux qui jouxte Loon-Plage. Ils accueillent sans sourciller cet enfant juif dans ce village un peu à l’écart, au cœur de la Flandre. Peu à peu, avec la complicité de tous les habitants, oui, je dis bien tous !, le petit Maurice apprend à devenir un vrai cht’i. C’est donc dans ce hameau collé à Loon-Plage et qui en fait partie, que Maurice va grandir, enfin, façon de parler puisqu’il n’a pas décidé de gagner les centimètres nécessaires pour devenir aussi grand que ses nouveaux amis, tout cela dit-il encore aujourd’hui, pour que sa mère puisse le reconnaître au cas où elle reviendrait…Là, il rencontre les autres enfants de la famille qui deviendront ses copains d’enfance. Ils jouent au milieu des champs et des watergangs qui comme les routes et les chemins, relient les villages de cette côte de la mer du Nord. La famille est simple, presque pauvre, mais fière, travailleuse mais quand il y a du travail, et chaleureuse par-dessus tout. Une vie de paysans quoi !, que partage Maurice au fil des saisons, des moissons, entre poules, cochons, chèvres et jeux de guerre…Les Allemands ne sont pas loin. Ils occupent une station de radio bien camouflée à moins de 300 mètres de la maison. Au fur et à mesure que les alliés progressent, la famille déménage de village en village avec toujours Maurice comme fils à part entière, devenu un vrai petit ch’ti dont l’usage du patois lui permet de se fondre dans la population locale. Ainsi lui-dit-on souvent : « min pti fiu, t’es des nôtes à st’heur ». Tour cela, toute cette histoire simple, belle et émouvante se passe au milieu d’une guerre où toute sa famille a été déportée et exterminée, Maurice a raconté son histoire dans un livre[1] qui reste un document majeur pour les gens du Nord. La vie d’un petit juif cht’i ou d’un cht’i juif pendant la guerre et que toute une famille, même plus, que tout un village a caché, de 1942 à 1945. Ils savaient tous du curé à l’instituteur, en passant par le maire et les habitants…, que le petit Maurice, l’enfant « adopté » par le village, était juif. Personne n’a jamais rien dit. Décidemment,  Loon-Plage est une ville de Justes !

Plus d’une centaine de personnes sont présents. Eric Rommel, le maire, sa première adjointe, Isabelle Fernandez, d’autres élus, la fanfare, enfin, tous celles et ceux qui de près ou de loin ont encouragé et participé à cette commémoration qui est plutôt une remémoration car c’est par elle que nous pouvons mettre au travail la mémoire et l’histoire. Il y a aussi les autres habitants qui retrouvent ou découvrent enfin l’histoire de Georgette Franchois épouse Vandenabeelle, déjà élevée avec ses parents Madeleine et Marcel (eux deux, à titre posthume) au titre de Justes parmi les nations depuis le 29 novembre 1990. Désormais, c’est toute une ville des Hauts-de-France, département où l’on a recensé 80 Justes, qui honore d’un square à son nom et d’une sculpture qui représente par deux mains qui se tendent, le geste courageux de Georgette Franchois dont chaque  Loonois peut être fier.

Jean-Marc Alcalay

Maurice Baran-Marszak, Histoire d’un enfant caché du Nord. Familles entre amour et silence (1942-1947), préface de Serge Klarsfeld, Editions Le Manuscrit, 2014.