Une extension de Musée pour un membre du groupe « Collaboration »

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Dossier n°

Une extension de Musée pour un membre du groupe « Collaboration »

A Roubaix, le Musée de la Piscine s’agrandit  pour Henri Bouchard,
Président du « Salon des Artistes français »  tout au long de l’occupation

Henri Bouchard dans son atelier (Photo : « Nice Matin »).


Dans « Le Monde » , Clarisse Fabre a rendu publique une forme muséale de réhabilitation pour un collaborateur très officiel :

– « Faut-il transférer l’atelier d’Henri Bouchard (1875-1960), sculpteur académique qui a fait le voyage en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale et qui a exprimé sa sympathie pour l’occupant nazi, au musée de La Piscine, à Roubaix ? Et l’artiste est-il important au point que ce musée du Nord engage des travaux d’extension pour reconstituer son atelier – installé jusqu’en 2007 dans le 16e arrondissement de Paris – et accueillir ses 1 296 oeuvres, des sculptures mais aussi des dessins ? Ces deux questions sont déjà tranchées, et le débat n’a pas eu lieu. Le passé de Bouchard n’a jamais été évoqué dans la longue chaîne de décisions qui a précédé le décret ministériel de décembre 2006, autorisant le transfert de propriété de l’atelier qui appartenait à l’un des fils du sculpteur, François Bouchard. Seuls les Verts de Roubaix ont tenté de barrer la route au projet, en vain.

(…)

Dernière question : pourquoi l’oeuvre de Bouchard, natif de Dijon – dont le Musée des beaux-arts possède des sculptures – atterrit-elle à Roubaix ? La réponse est sans doute la clé de l’histoire : la belle-fille du sculpteur, Marie Bouchard, est devenue conservatrice pour préserver au mieux l’atelier – qui sera classé « musée de France » en 1985. Elle s’est liée d’amitié, entre autres, avec Bruno Gaudichon, du musée de Roubaix, et Antoinette Le Normand-Romain, aujourd’hui directrice générale de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Cette dernière a eu l’idée d’envoyer l’atelier à Roubaix. Elle le reconnaît : « Cette sculpture a longtemps été snobée pour son académisme. Aujourd’hui, nous formons une petite famille. » Très soudée. » (14 juin 2008)

« La Voix du Nord » répond à cet article. Sur le ton de la mise en cause d’une Parisienne manipulée politiquement, une journaliste cherchant à travers le sculpteur… le Musée même :

– « …À moins que la polémique vise davantage à faire du tort à La Piscine, jeune musée (ouvert en 2001) qui se retrouve cette année classé 5e au palmarès national des musées… « La journaliste du Monde a été bien briefée par les Verts de Roubaix, qui se sont toujours opposés à l’extension du musée », note, amer, Jean-François Boudailliez (1). La meilleure façon de trancher est encore de se faire sa propre opinion : La Piscine organise à partir de samedi et jusqu’au 20 septembre une exposition de dessins et croquis de Bouchard. » (18 juin)

Les lecteurs comprendront que sur ce blog, il n’est pas question de céder à des sirènes politiques. Pas plus que de prononcer des jugements esthétiques ou de vouloir mettre en cause l’importance d’un Musée, soit-il du Nord ou d’ailleurs.

Par contre, tout travail de mémoire sur l’époque de la Shoah appelle ici des échos. Sans recherche de revanche. Mais par esprit de justice et de respect pour celles et ceux qui ont été persécutés, qui ont osé résister.

Or, au nombre des « sympathies » d’Henri Bouchard pour le nazisme, figure bien l’incontournable voyage officiel à Weimar (en novembre 1941). A dix kilomètres du camp de Buchenwald.

De retour, le sculpteur passe la brosse à reluire sur les bottes de ses hôtes. Dans « L’Illustration » du 7 février 1942 et sous le titre : « La vie de l’artiste dans l’Allemagne actuelle », il signe quatre pages non équivoques. Henri Bouchard y salue :

– « … la vie presque féerique que le gouvernement du Reich sait faire à ses artistes qui semblent être là les enfants chéris de la nation » ;

et conclut :

– « … c’est ainsi qu’un grand pays estimant la valeur et l’effort de la création artistique, comprenant sa nécessité dans les fastes de son histoire met sur un piédestal l’artiste, son savoir, son bonheur, sa culture intellectuelle, ses œuvres et la dignité de sa vie ».

Si près de Buchenwald, évoquer une « vie féérique » et parler de « dignité » !!! Pas un mot pour tous les artistes stigmatisés comme Juifs, chassés des sphères de la musique, du cinéma, du théâtre, de la peinture, dont les livres ont été brûlés, aux oeuvres traitées avec barbarie, et qui ont été finalement exterminés dans les camps… Au grand bénéfice d' »artistes » aryens bien en cour auprès des nazis, eux qui inventèrent les termes d' »art dégénéré »…

Autres glorieux « pélerins » français de Weimar : des écrivains au nombre desquels Brasillach, Chardonne, Drieu La Rochelle, Fernandez et Jouhandeau (DR).

La célébrité d’Henri Bouchard étant objectivement relative, juste quelques dates pour jalonner sa carrière :

– 1901 : Prix de Rome ;

– 1902 – 1906 : pensionnaire de la Villa Médicis à Rome ;

– 1914-1918 : passe la guerre dans les rangs de la Section de camouflage à Amiens ;

– 1924 : installe son atelier 25 rue de l’Yvette à Paris 16e ;

– 1929 -1945 : enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris ;

– 1930 : monument « Au génie colonisateur français » pour marquer le centenaire de la colonisation de l’Algérie ;

– 1941-1944 : Président du Salon des Artistes Français ;

– 1942 : membre du « Comité d’Honneur » de l’exposition Arno Breker à Paris (voir photo) ;

– 1944 : à la Libération, reconnu comme collaborateur par le comité directeur du Front National des Arts réuni sous la présidence de Picasso.

Mai 1942, discours inaugural d’Abel Bonnard (2) pour l’ouverture de l’exposition Breker (3) à l’Orangerie des Tuileries (Photo : LAPI/Roger-Viollet. DR).

Sur son portail, « Paris 16e et vous » présente Henri Bouchard comme prolifique mais grand méconnu :

– « Artiste libre et indépendant mêlant académisme et innovation art déco, Henri Bouchard, sculpteur du début du XXème siècle, étonne par la pureté et le dépouillement de ses sculptures.
On lui doit l’apollon de la terrasse du palais de Chaillot et la façade monumentale de l’église saint-Pierre de Chaillot. Henri Bouchard a laissé derrière lui un nombre incalculable d’oeuvres : façades d’immeuble, monuments aux morts, statues pour les parcs publics, décorations d’église…Malgré cette oeuvre féconde, son nom reste très peu connu… »

Silence prudent sur les années d’occupation. A la lumière de sa collaboration et de son comportement de courtisan pour installer une « corporation » des artistes, les mots « libre et indépendant » sont plutôt inadéquats. Et si « son nom reste méconnu », n’est-ce par aussi parce que ce nom est définitivement lié à une collaboration active et sans excuses ?

Dans une étude publiée au Seuil sous le titre : « L’art de la défaite. 1940-1944 », Laurence Bertrand Dorléac, elle, n’avait pas laissé Henri Bouchard dans l’ombre et le flou artistique.

Au contraire, elle y précisait la personnalité de ce sculpteur et son comportement sous la double férule de Vichy et des occupants. Une (re) lecture s’impose pour retrouver les hommes et les faits qui ont marqué cette époque où d’aucuns perdirent toute dignité devant les uniformes allemands.

Interrogée sur l’article de Clarisse Fabre publié dans « Le Monde », Mme Bertrand Dorléac ne se range pas derrière les suspicions des Amis du Musée relayées par « La Voix du Nord » (chercher à nuire à un nouveau Musée). Pour ce blog, elle commente :

– « A vrai dire, je n’ai vraiment rien à ajouter. L’article du Monde ne fait pas état de la participation du sculpteur au groupe Collaboration mais pour le reste, il résume bien la situation. » (Courriel, 15 juin).

Car effectivement, Henri Bouchard était membre d’un groupement au nom devenu synonyme de bassesse devant l’occupant : « Collaboration ». Fondé fin 1940 par Alphonse de Châteaubriand (4), ce groupe fut autorisé début 1941 par Otto Abetz (5).

Contrairement à ce qui se dit et s’écrit actuellement à Roubaix, la « collaboration » de ce groupe ne fut pas « uniquement artistique ». Comme le prouvent ses statuts, cette « collaboration » se voulait pleinement idéologique :

– « 1. Pour rassembler les Français de bonne volonté qui souhaitent sincèrement établir une France nouvelle dans une Europe nouvelle ;

2. Pour réaliser ce dessein tel qu’il a été exposé dans les divers messages du maréchal Pétain ;

3. Pour soutenir la politique extérieure et intérieure de la France telle qu’elle a été définie par le Message du Chef de l’Etat du jeudi 10 octobre 1940, et au besoin pour le défendre ;

4. Pour établir dans les rapports franco-allemands cet esprit de collaboration tel qu’il a été défini et préconisé par l’entrevue de Montoire et pour mieux faire connaître aux Français l’Allemagne réelle. » (6)

A Roubaix, au Musée de la Piscine, ce sculpteur va bénéficier d’une reconnaissance et d’une mise en valeur dans une nouvelle aile. Comme trop souvent, d’une part s’accumulent les discours appelant au « devoir de mémoire », à la nécessité de ne pas « banaliser » l’occupation et ses zones d’ombres… tandis que d’autre part, les faits contredisent voire trahissent concrètement ces intentions publiques.

Reste au Musée de la Piscine à prendre langue avec celui de Nörvenich pour demander en prêt des sculptures de Breker afin qu’à Roubaix, Henri Bouchard se retrouve en bonne compagnie.

 A Roubaix, le Musée de la Piscine s’agrandit pour Henri Bouchard, Président du « Salon des Artistes français » tout au long de l’occupation.

Huit artistes refusent d’exposer à Roubaix pour cause de trop grande proximité avec un sculpteur-collaborateur.

La Piscine, musée de Roubaix, annonçait l’exposition à venir de huit artistes. Ceux-ci viennent d’annuler collectivement leur participation. Leur motif ? Protester contre la place accordée par ce musée au sculpteur-collaborateur Henri Bouchard. Pour de amples informations, (re)lire la page 51 de ce blog.

Claude Champi, Bernard Dejonghe, Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagassawa, Daniel Pontoreau et Camille Virot, sont des céramistes, des sculpteurs et des verriers de grand renom. Ils n’entendent pas avoir leurs noms associés avec celui d’Henri Bouchard. Et s’expliquent dans un communiqué de presse repris par Jean-Pierre Thibaudat sur son blog et publié par Rue 89 :

– « Nous nous étonnons qu’il soit donné une place aussi importante et aussi singulière à un artiste au sujet duquel nous apprenons qu’il a été l’un des rares artistes ayant été interdit d’enseignement dans les écoles de l’état après la guerre par un arrêté du 22 janvier 1945 ; cette interdiction semble avoir été motivée du fait de son attitude affichée de collaboration dite artistique jusqu’à la fin de la guerre, comme l’atteste un article de sa part sur Arno Brecker dans la revue Illustration de février 1942 et un rapport du 30 juin 1944 de la Propaganda Abteilung. »

Musée de la Piscine à Roubaix (DR).

Notes :

(1) Adjoint au maire de Roubaix, en charge de la culture.

(2) Autre membre du groupe Collaboration. Ministre de l’Education et de la Jeunesse à partir d’avril 1942. Surnommé « la gestapette » par Jean Galltier-Boissière. Exilé en Espagne après guerre. Exclu de l’Académie française.

(3) Arno Breker. Sculpeur préféré d’Hitler auquel il servit de guide dans Paris occupé. Au service du ministère de la propagande du IIIe Reich. Mort sans une once de regret, considérant jusqu’au bout que son « art » n’avait rien de « politique ».

(4) Président du groupe Collaboration. Directeur de « La Gerbe ». Parti dans les bagages des Allemands en déroute, est mort caché dans un monastère du Tyrol.

(5) Sous l’occupation, Ambassadeur de l’Allemagne à Paris.

(6) Jeannine Verdès-Leroux, « Refus et violences. Politique et littérature de l’extrême droite des années trente aux retombées de la Libération », Gallimard, 1996.