Hommage à Jenny Laneurie

Dossier n°

Hommage à Jenny Laneurie

 

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Diplôme amplement mérité par Jenny Laneurie (DR).

Un Communiqué du Comité Français pour Yad Vashem marquait sa première réunion le 17 mai 2010.
En conclusion, on pouvait y lire :
– « Une courte cérémonie très émouvante a permis de remettre un diplôme de remerciements à M. et Mme Gérard Goldenberg et à Madame Moscovic, délégués de province pour leur dévouement inlassable au service de YAD VASHEM. 
Madame Jenny Laneurie, ancienne secrétaire générale n’ayant pas pu être présente, son diplôme lui sera remis en main propre ultérieurement. »

Lors de la dernière réunion du Comité directeur, Jenny Laneurie a reçu ce document marquant toute l’estime, l’attachement et la gratitude qui l’entourent, elle qui n’a jamais mesuré ses si bons et loyaux engagements auprès de Yad Vashem.

Essai de biographie :

Jenny est née en mai 1939 à Charleville. Première enfant de Raphaël Fresco et de Solange Niégo, tous deux d’origine judéo-espagnole.
De la péninsule espagnole, leurs ancêtres avaient été chassés au XVe siècle par les couronnes d’Aragon et de Castille vers Constantinople. 
Puis en 1914, la branche Nessim Fresco émigre vers la France. Suivie par la branche Namer.

La fin de la Première guerre mondiale laisse les Ardennes françaises à l’état de ruines. Les Fresco ouvrent un magasin de bonneterie « Aux dentelles modernes », rue du Palais à Charleville. Victor Namer et son épouse Annette, née Fresco, tiennent un magasin Cours Aristide Briand…
Fils aîné des Fresco, Raphaël fait les marchés dont celui de la Place Ducale. Solange partage avec lui ce travail ambulant.

Quand frappe la guerre, les Ardennes doivent être évacuées de peur que la population ne revive les sévices et atrocités de 1870 puis de 1914-1918. Les Fresco décident de partir vers la même ville refuge que leur voisin, un boucher : Laval, dans la Mayenne. Leur exode passe volontairement par Fontainebleau où ils emportent Jeannette Niégo, veuve et mère de Solange.
Le 8 route d’Angers à Laval va devenir le nouveau foyer familial. Jacky, fils de Victor et d’Annette Namer, est le compagnon de jeu de Jenny.

Avec la guerre, Victor se trouve mobilisé. Certes il naquit en 1913 en Turquie mais ayant effectué son service militaire en 1931 sous l’uniforme français, il avait été reconnu citoyen français.
Quant à Raphaël, né en 1908, il est toujours de nationalité turque mais il s’est engagé volontaire dans la défense passive. Ambulancier à Charleville, il y retourne une fois les siens mis à l’abri à Laval.

Avec la percée de Sedan en mai 1940, les Ardennes sont encore et toujours mises à feu et à sang. La synagogue de Sedan est bombardée. Les réfugiés fuient les zones de combats. La Mayenne se trouve submergée sous un flot humain et désespéré de plus de 150.000 exilés. Pris dans le mouvement, Jenny et les siens abandonnent Laval pour Lonzac en Saintonge. Mais les envahisseurs vont toujours plus loin et plus vite. Leurs uniformes polluent la Mayenne dès le 17 juin. L’armistice est signée le 22. Le lendemain, les Allemands occupent la Charente-Inférieure. Les Fresco reviennent alors sur leurs pas et retrouvent le 8 de la route d’Angers à Laval.

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Jacky et Jenny à Laval (Arch. fam. / BCFYV / DR).

Puis tombent les premières mesures antisémites. La famille, parce que juive, se trouve interdite de toute activité commerciale. A partir du 7 juin 1942, il leur faut – pour ceux âgés de plus de six ans – retirer à Laval une « étoile jaune » rendue obligatoire et remise contre un ticket textile…
Suivent les rafles. En Mayenne, une troisième vague est organisée les 9 et 10 octobre 1942.
Le 10 à 6 heures du matin, le monde bascule pour les Fresco. Pas moins de sept Feldgendarmes (plus leur interprète) viennent les embarquer pour un rassemblement près du stade de Laval puis un transport jusqu’au camp de Mulsanne-Le Mans.

Derrière les barbelés, se serrent les coudes :
– la grand-mère maternelle Jeannette Niégo, 
– les grands-parents Nessim et Eugénie Fresco,
– les enfants de ces derniers, Raphaël (avec son épouse Solange et leur petite Jenny, 3 ans),
– Annette Namer et son fils Jacky, 4 ans (le père, Victor, est prisonnier de guerre au Stalag XIII),
– Samy, le cadet.

Au quatrième jour, les Allemands font sortir 35 juifs du camp eu égard à leur nationalité turque. A ces libérations s’ajoute celle des Niégo-Fresco-Namer… Alors qu’en réalité, seuls quatre d’entre eux ont leur nom sur les fichiers de la Préfecture avec la mention : « Turcs »… 
La famille retrouve le 8 route d’Angers, tandis que la Shoah frappera les autres déportés de ce camp de Mulsanne.

Le 24 janvier 1944 reste une date marquante. Parvient une lettre de Paris et signée du père de Victor Namer. Pour transmettre cet avis affiché par l’Ambassade de Turquie : « A partir d’aujourd’hui, les Juifs Turcs seront considérés comme les Juifs Français. »
Raphaël cherche aussitôt comment échapper à une nouvelle arrestation suivie immanquablement d’une déportation…

Un forain oriente Raphaël vers un garagiste d’Ernée, Pierre Le Donné (résistant notoire). Ce dernier trouve un logement à Saint-Pierre des Landes dans la ferme de la famille Rousseau. Annette, Jacky et Salomon y sont accueillis. Le reste de la famille est hébergé au « Petit Poirier », une ferme du Rollon et appartenant aux Lambert mais exploitée par les Fauque. Ces derniers vont prendre tous les risques pour les persécutés.

Ce « Petit Poirier » ne comprend qu’une pièce unique surmontée d’un grenier accessible par une échelle. Et Annette, Jacky ainsi que Salomon finissent par y rejoindre la famille. Celle-ci porte désormais le nom de Fauque et passe pour des cousins de Paris ayant préféré se mettre au vert près de leur famille en Mayenne.
Commence une existence précaire. Avec l’obligation de nourrir sans tickets de ravitaillement 9 bouches nouvelles tout en échappant à la curiosité voire à la malveillance et même aux dénonciations. Une longue attente confine la famille derrière des couvertures tendues aux fenêtres et devant la porte d’entrée.

Puis les Alliés réussissent leur débarquement en Normandie mais cherchent ensuite longuement à percer les lignes allemandes. Le 5 août 1944, un résistant d’Ernée, René Justin, va guider les Américains. La ligne de front est mouvante et le « Petit Poirier » reste entre les deux ennemis trois jours encore…

Les Fresco auront finalement échappé à la Shoah. Ceux réfugiés en Mayenne. Hélas pas les oncles, ni une sœur de la grand-mère Fresco, ni une tante de Jacky, ni les Fresco de Lonzac-Reims.

Suite aux dossiers constitués par Jenny (devenue l’épouse d’un enfant caché, Jean-Yves Laneurie) ont été reconnus Justes parmi les Nations :
– Pierre Le Donné,
– Auguste et Marie-Louise Fauque,
– Michel et Françoise Rousseau.

Début 1992, alors qu’elle décrochait une licence en Hébreu (Langues O’ ), Jenny Laneurie devint bénévole du Comité Français pour Yad Vashem. L’exemple et les conseils amicaux de Louis Grobart jouèrent leur rôle dans cet engagement qui la conduisit aux responsabilités du Secrétariat général sous la Présidence de Richard Prasquier. 
Fin 2007, Jenny Laneurie souhaita qu’un blog vienne compléter le Site internet du Comité Français pour Yad Vashem. Voilà comment depuis janvier 2008, ce blog tente de répondre à cet honneur et à ce travail de mémoire : informer en temps réel et régulièrement, au nom du Comité, sur les nouveaux Justes de France et les persécutés sauvés de la Shoah.

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Remise à Jenny Laneurie de son diplôme (Ph. J-P Gauzi / BCFYV / DR).

NOTES :

– Pour une information complète sur l’histoire des Fresco, il vous est recommandé de lire 
Marc Betton, Histoire des familles Fresco, Namer, Niégo, de Charleville à Ernée et retour, 1939 à 1945, Ed. à compte d’auteur, Ernée, 2009, 52 p.

– Parmi les activités de Jenny Laneurie, se détache AKI ESTAMOS, l’Association des Amis de la Lettre Sépharade.