Hommage à Samuel Pisar
Samuel Pisar au diner de gala CFYV 2012
« Ainsi, Ô grand Dieu d’Abraham, c’est avec respect pour les croyances de tous, et sans malice aucune, que je me prosterne vers Jérusalem l’éternelle, ses synagogues, ses églises, ses mosquées, son mur des lamentations et son mémorial de Yad Vashem – le mémorial sacré des martyrs et des héros de la Shoah – pour te chanter ma fervente prière d’espoir puisée dans des torrents de sang. Renouvelle tes liens avec nous, Seigneur, guide-nous sur le chemin de la réconciliation, de la tolérance et de la paix, sur cette petite planète, fragile et divisée, notre maison à tous. Amen ! Amen ! Amen! » Texte de Samuel Pisar sur la symphonie Nº3 Kaddish de Léonard Bernstein.
Samuel Pisar, un des plus jeunes rescapés de la Shoah, déporté à l’âge de 13 ans à Maïdanek, Auschwitz et Dachau, est né en 1929 à Bialystok en Pologne. Sa mère Helen, son père David et sa petite sœur Frieda ont été assassinés par les nazis. Après la guerre, il est devenu un des principaux conseillers de plusieurs dirigeants du gouvernement américain, y compris le président John Fitzgerald Kennedy. Né dans une famille aisée et cultivée de Bialystok, où l’on parlait, en plus du polonais et du Yiddish, l’anglais, le russe et le français, il vécut une enfance heureuse au sein d’une importante communauté juive de 80.000 personnes.
La guerre surprend le jeune Samuel qui se retrouve soudain confronté à l’horreur des camps et devra son existence à une capacité d’adaptation exceptionnelle ainsi qu’il la décrit lui-même : « ma colonne vertébrale intellectuelle et physique était si souple qu’elle ne s’est pas brisée ».
Recueilli après la guerre par des membres de sa famille en France et en Australie, il fera de brillantes études de droits à l’Université de Melbourne en Australie, la Sorbonne à Paris et Harvard aux Etats-Unis. A partir de 1955 Samuel Pisar entame une carrière d’avocat international et de conseiller auprès de prestigieuses institutions. Il est, tour à tour, attaché à l’Organisation des Nations Unies, conseiller juridique à l’UNESCO, conseiller auprès du Président Kennedy, du département d’Etat et auprès de plusieurs Commissions du Sénat.
Avec sa première épouse, Norma, il aura deux filles, Alexandra Pisar-Pinto et Helaina Pisar-McKibbin, et avec sa seconde épouse, Judith, Léah Pisar-Haas. Il élève également le fils de Judith, Antony Blinken. Léah et Antony suivront d’ailleurs la voie de leur père et seront également conseillers auprès de plusieurs gouvernements américains. C’est notamment Antony qui écrivit le fameux discours du Président Bill Clinton lors de l’enterrement de Itzhak Rabin qui se conclut par « Shalom ‘Haver ».
Pendant toute sa carrière juridique et diplomatique, Samuel Pisar n’a cessé de prôner un monde de paix et d’œuvrer pour la compréhension mutuelle et la liberté. C’est lui qui fut le premier artisan pour que s’établissent des relations entre l’Est et l’Ouest, lorsque le monde était encore plongé dans la guerre froide et que le rideau de fer partageait l’Europe. Il réussit à obtenir la libération de plusieurs Refuznik ainsi que de plusieurs intellectuels aux prises avec des régimes totalitaires, en URSS ou ailleurs. Il fut également l’un des premiers à établir des liens entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.
En 1979, poussé par son épouse Judith, dans un contexte où les négationnistes commençaient à se faire entendre dans le discours public, il décide enfin de rédiger son témoignage sur sa terrible expérience pendant la Shoah. Lui qui voulait sans cesse aller de l’avant et mettre en sourdine le passé, le voilà contraint de revenir sur cette obscure période de l’histoire. Cela donnera naissance à son ouvrage fondamental : « Le sang de l’espoir » en 1979, suivi de « La ressource humaine » en 1983 et « Le chantier de l’avenir » en 1989. Installé à Paris tout en continuant son activité d’avocat international, il décide également de fonder avec d’autres survivants de la Shoah – Sylvain Caen, Charles Corrin, Joseph Zauberman, Paul Schaffer – le Comité français pour Yad Vashem dont la première mission est de mobiliser des soutiens financiers qui permettront de participer à la construction de la Vallée des communautés de Yad Vashem. Situé sur le site de Yad Vashem à Jérusalem, ce monumental mémorial creusé dans le Mont du Souvenir, est un hommage aux milliers de communautés juives qui furent totalement ou partiellement anéanties pendant la Shoah.
Désormais, Samuel Pisar deviendra un des grands témoins de ce siècle pour la transmission de la mémoire de la Shoah, aussi bien auprès des grands de ce monde qu’auprès des jeunes générations. Comme l’a dit Avner Shalev, Président de Yad Vashem en apprenant son décès : « De nombreux rescapés de la Shoah ont, à un moment ou à un autre de leur vie, réussi à extérioriser leur terrible expérience. Très peu d’entre eux cependant sont ce que l’on appelle des « grands témoins ». C’est ce statut exceptionnel qu’a atteint Samuel Pisar par sa stature internationale et universelle qui lui a permis, par-delà les barrières des langues et des mentalités, de transmettre son message à toutes les générations ». Et de fait, ce n’est pas par hasard si, en 2012, l’UNESCO a nommé Samuel Pisar Ambassadeur Honoraire pour l’enseignement de la Shoah dans le monde. Il est en outre Officier à l’Ordre des Arts et des Lettres, Grand Officier de la Légion d’Honneur, Officier à l’Ordre du Mérite d’Australie et Commandeur à l’Ordre du Mérite Polonais.
En tant que Président d’Honneur du Comité français pour Yad Vashem, Samuel Pisar n’a cessé de promouvoir l’enseignement de la mémoire de la Shoah comme ultime rempart face à un monde toujours enclin à retomber dans ses anciens démons. Lors d’un récent diner de gala à Paris il déclarait : « Personne ne peut avoir vécu ce que nous avons vécu sans ressentir le besoin d’alerter nos enfants face aux dangers qui peuvent détruire leur univers comme ils ont, jadis, détruit le nôtre. (…) C’est pourquoi il est nécessaire, voire impératif, que nous soutenions et garantissions la pérennité de l’Ecole Internationale pour l’Enseignement de la Shoah de Yad Vashem à Jérusalem ».
Samuel Pisar fut et demeurera pendant longtemps une des grandes autorités morales incontestables de notre temps. Comme l’a exprimé Miry Gross, Directrice des Relations avec les pays francophones pour Yad Vashem, très émue à l’annonce de sa disparition : « Il restera à jamais dans le cœur de ceux qui ont eu l’honneur de le côtoyer, ainsi que dans celui des nombreux lecteurs qui continueront à tirer des forces à la lecture de ses ouvrages ». Et elle poursuit : « Malgré ses nombreuses responsabilités au plus haut niveau, il a toujours su garder un abord si humain et si amical ». C’est cette humilité qui caractérise les êtres d’exceptions. « Il y a en moi un enfant sauvage qui se moque des beaux costumes, de la renommée et des mondanités, disait-il, une sorte de conscience ». Ainsi, après avoir fait entendre sa voix dans toutes les capitales du monde, c’est à Yad Vashem, en 2009, qu’il fut le plus ému en interprétant son « Kaddish » sur la Symphonie de Léonard Bernstein : « Ici, je sens que c’est pour ma grand-mère, pour ma famille et pour mon peuple que je dis le Kaddish ».
Intervention de Samuel Pisar au dîner de Gala du Comité Français pour Yad Vashem en 2012