« J’ai eu une deuxième naissance grâce à eux » : qui étaient les Justes, Jean et Jeanne Philippeau, qui seront enfin honorés

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Dossier n°

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Article France 3 Région Écrit par Valentine Samel

L’hommage aux Justes Jeanne et Jean Philippeau dont la cérémonie aura lieu le 16 juin 2025. Sauvée par le couple durant la guerre, Arlette Testyler-Reimann raconte, émue, la chaleur et le courage de ceux à qui elle doit la vie.

Pour Arlette Testyler-Reimann, 92 ans, il y a un avant et un après été 1942. Elle a neuf ans lorsqu’elle arrive chez Jean et Jeanne Philippeau, un couple de jeunes Vendômois, modestes, qui acceptent de cacher trois enfants juifs, elle, sa sœur Madeleine et un autre garçon, Simon Windland.

C’est la guerre. C’est l’Occupation. Mais chez les Philippeau, la peur semble s’évaporer. « À Paris, j’avais l’étoile jaune. J’étais une enfant qu’on montrait du doigt. À Vendôme, j’étais comme tout le monde. »

« Je suis née à Paris, mais ma vraie naissance, c’était à Vendôme »

« C’était des gens simples. Mais ils ont fait quelque chose de grand. » Arlette se souvient de Jeanne, nourrice de métier, et de Jean, qui travaillait dans une usine de sabots. Handicapé d’une jambe, il pédalait d’une seule jambe sur son vélo. « Il était d’une douceur immense. Il ne s’énervait jamais, » se rappelle Arlette, qui est restée deux ans chez les Phillippeau. « Ils savaient qu’on était pourchassés. Mais ils n’ont rien dit. Ils ont risqué leur vie sans jamais penser à la leur. Je suis née à Paris, mais ma vraie naissance, c’était à Vendôme. C’était comme une deuxième naissance, c’était la liberté. »

Ils n’ont jamais posé de questions. Ils n’ont pas demandé pourquoi ni comment. Ils ont juste ouvert leur porte. Et protéger des vies. « J’ai vécu sans papiers, je n’étais pas recensée dans la ville de Vendôme : ils ont risqué leur vie pour moi, pour nous ».

« On vivait comme des pirates à l’air libre »

Arlette se rappelle les rues de Vendôme, les champs alentour, les chars à foin dans lesquels ils grimpaient, les pommes et les raisins volés au bord des chemins, le charbon récupéré sur les rails des trains pour chauffer la maison. « C’était la vie simple, mais c’était la belle vie. On vivait comme des pirates à l’air libre. »

Je n’avais plus peur. Même quand je croisais les gendarmes, je ne tremblais pas. Je me sentais protégée, ici, loin de Paris.

Arlette Testyler-Reimann, cachée par Jean et Jeanne Philippeau pendant la Seconde Guerre mondiale

Pas d’école, il n’y avait pas d’instituteur, mais un quotidien rythmé par les découvertes : « Les Philippeau m’ont appris à tuer un lapin. Jean m’a montré comment poussent les carottes, les asperges. Moi, la petite parisienne sans famille paysanne, j’ai découvert la nature. »

Elle rit encore en repensant aux gros mots qu’elle a appris dans cette maison pleine de tendresse. « Jeanne jurait comme un charretier, mais elle était pleine de douceur. »

« Je leur dois la vie »

En 2022, le titre de Justes parmi les Nations leur a été décerné par Yad Vashem, l’institut international de la mémoire de la Shoah. Une reconnaissance longtemps attendue. Jean et Jeanne Philippeau recevront la médaille, à titre posthume, de Justes parmi les Nations, le matin du 16 juin 2025.

« Avec ma sœur, on a dû faire sept ou huit demandes. C’est la plus haute distinction qu’on puisse recevoir en Israël. Il faut avoir sauvé une vie, sans contrepartie. », explique Arlette.

Ils ont sauvé une vie, et en ont créé des dizaines. Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai six arrière-petits-enfants. Si je suis là, c’est grâce à eux.

Arlette Testyler-Reimann, cachée par Jean et Jeanne Philippeau pendant la Seconde Guerre mondiale

En Centre-Val de Loire, 259 personnes ont été décorées de la médaille Juste parmi les Nations selon le Comité Français pour Yad Vashem.

Des vies qui se séparent, une mémoire qui reste

Après la guerre, chacun a repris sa route. La mère d’Arlette n’a pas survécu. Son père non plus. Elle est devenue pupille de la Nation et elle a été placée en internat, dans la Sarthe. Arlette n’a pas gardé le contact avec les Philippeau, faute de moyens. « À l’époque, on n’avait pas d’argent. Je venais de perdre ma famille. Et eux, ils ont eu des enfants, refait leur vie. »

Mais la reconnaissance n’a jamais quitté son esprit. « Je pense à eux tout le temps. Ce qu’ils ont fait, c’est plus que de la bravoure. C’est ma France. Celle qu’on m’a appris à aimer. Celle que mon père aurait défendue. »

Une cérémonie attendue… après la polémique

Initialement prévue le 28 mars 2025, la cérémonie d’hommage avait été repoussée, ce qui a déclenché une vive controverse.

Finalement, la mairie de Vendôme a confirmé que la médaille des Justes parmi les Nations sera remise en juin 2025. Le matin du 16 juin selon le Comité Français pour Yad Vashem.

C’est Arlette elle-même qui la remettra. Elle est aujourd’hui présidente de l’Union des déportés d’Auschwitz. « Quand j’ai appris qu’ils allaient être médaillés, j’ai pleuré. J’étais en train de terminer mon dernier livre. J’étais folle de joie. »

Pour elle, ce moment aura valeur de reconnaissance, de transmission aussi.

« On ne les a pas oubliés. Et on ne les oubliera jamais. »