« Je me suis trouvée là au bon moment », Juste parmi les nations, Odette Bergoffen reçoit les insignes d’officier de la Légion d’honneur

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Dossier n°

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Article Écrit par Céline Dupeyrat

En 1942, en Maine-et-Loire, Odette Bergoffen a risqué sa vie pour protéger une mère juive et ses deux enfants. Christophe Béchu, maire d’Angers lui remet les insignes d’Officier de la Légion d’honneur, ce samedi 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

Odette Bergoffen a 100 ans. Elle en parait bien vingt de moins. La mémoire vive, le verbe humble, elle est une dernière « Juste » française encore en vie. Un titre rare par Yad Vashem, l’institut international pour la mémoire de la Shoah. En 1942, cette résistante alors âgée de 18 ans a risqué sa vie pour aller chercher Jean-Claude Moscovici, 6 ans, et sa sœur Liliane, 2 ans. Elle les a arrachés à l’enfer du camp de Drancy où ils avaient été déportés pour les ramener puis les cacher avec leur mère dans un petit village du Maine-et-Loire. 80 ans plus tard, Odette ne semble pas réaliser la force et l’immense beauté de ses actes.

« Elle se considère comme une bonne citoyenne dans des conditions où les citoyennetés étaient bafouées de tous les côtés. Elle considère qu’elle a fait ce qu’une personne normale doit faire dans le sens de la solidarité, de l’entraide aux enfants en particulier. Et puis de l’entraide aux personnes persécutées aussi », explique Alain Jacobzone, historien spécialiste de l’Occupation en Maine-et-Loire.

Odette rencontre Ephraïm Moscovici dans les années 30. Juif originaire de Roumanie, il vient de s’installer avec sa femme Louise dans le petit village de 1000 habitants de Vernoil, près de Saumur. Elle fait sa connaissance alors qu’il soigne son grand-père très malade qui ne survivra pas à la maladie.

« J’ai eu beaucoup de chagrin et, monsieur et madame Moscovici m’ont prise en amitié. Je les voyais fréquemment », se souvient la centenaire.

Les Moscovici, ont deux enfants, Jean-Claude en 1936 et Liliane en 1940.

Le 16 juillet 42, toute la famille Moscovi est réfugiée dans une grande propriété. Deux Allemands et deux gendarmes arrêtent les trois frères. Ils sont déportés via le sinistre convoi N° 8 parti d’Angers à Auschwitz.

Louise Moscovici échappe à une seconde rafle en septembre. Elle obtient l’autorisation d’aller chercher des vêtements pour les enfants confiés à un voisin, vétérinaire. Elle en profite pour enfourcher une bicyclette et s’enfuir. La jeune femme veut récupérer son fils et sa fille. Elle tambourine à la porte du vétérinaire, mais par peur de représailles, il n’ouvre pas la porte. Alors, elle fait appeler Odette.

Les deux femmes sautent dans un train direction Tours, en Indre-et-Loire, à une centaine de kilomètres. Odette veut confier Louise à sa tante qui vit à Esvres. Elle contacte Jean Meunier, un des chefs de la résistance qui, à Angers, possède une imprimerie convertie dans l’impression de fausses pièces d’identité. Louise passe en zone libre « avec quand même pas mal de difficultés, parce qu’il fallait passer un ruisseau, un petit ruisseau. Elle a eu pas mal de difficultés, et à un moment il y a eu un policier français qui s’est retrouvé au bord, il l’a attrapée, puis il l’a fait passer », se remémore Odette.

Environ deux mois plus tard, les enfants de Louise Moscovici sont arrêtés, internés dans une prison d’Angers puis envoyés au camp de Drancy. Ils y retrouvent miraculeusement leur oncle Michel qui parvient à les faire sortir.

Les enfants sont remis en liberté et transférés dans un home tenu par l’Union générale des israélites de France. L’établissement est connu des autorités, donc peu sûr.

Alors Odette kidnappe les petits et les conduit à l’abri en Touraine. Ils échappent ainsi à la déportation et probablement à la mort. La résistante, en dépit des risques énormes, reste cachée avec eux jusqu’en janvier 1943.

Ils débarquent à Morannes chez une tante qui tient une épicerie. « Elle ne pouvait pas nous loger dans un commerce, ce n’était pas possible. Alors, elle est allée voir le curé, il a très bien compris la situation. Alors, il a trouvé un dortoir. C’étaient les vacances, il n’y avait pas d’enfants. Il y avait plein de lits, et puis au fond, il y avait comme un petit appartement, une pièce, une petite cuisine que les gens nous ont aménagée. Un petit truc, et puis on était là-haut, dans notre perchoir », décrit la centenaire.

Elle part alors chercher Louise Moscovici et la ramène à Tours auprès de ses enfants. Pendant les derniers mois de l’Occupation, Odette Blanchet vit avec les trois Moscovici chez son oncle et sa tante au village de Morannes.

Jean Meunier leur fournit des faux papiers et des cartes d’alimentation. La famille rentre à Vernoil-le-Fourrier en mars 1945. Il attestera dans un document du comité de la libération d’Indre-et-Loire avoir employé Odette Blanchet (son nom de jeune fille) à son service sous le pseudonyme « Michèle », matricule 95.607.

« Elle a été pendant plusieurs années mon agent de liaison et a assuré la garde de document très compromettant. Elle a apporté un dévouement inlassable à la lutte contre l’occupant en favorisant l’évasion d’internés et d’israélites », confirme le courrier officiel.

Héroïne de l’ombre qui déteste la lumière, la centenaire est d’une modestie exceptionnelle. Elle, qui a cœur de transmettre la mémoire, n’a jamais fait une gloire de cet épisode. La guerre a pourtant bouleversé son existence. Son mari Léon a été déporté à Auschwitz. Avec lui, elle a écumé les écoles et les lycées pour lutter contre l’oubli.

Odette Bergoffen recevra son insigne dans les salons de la mairie devant un parterre d’invités. « Ça prend du sens dans le contexte international et dans le contexte français. Que l’on distingue des gens qui se sont portés au secours d’enfants juifs, ça prend un sens dans la situation actuelle, puisque la multiplication des actes antisémites est quand même extrêmement spectaculaire depuis quelque temps. Ça va aller contre une tendance de la société française à verser dans un antisémitisme banal qui tente à oublier ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale », salue Alain Jacobzone.

Ce 8 mars, le petit Jean-Claude Moscovi âgé aujourd’hui de 88 ans, sera là pour assister à la remise de l’insigne d’Officier de la Légion d’honneur. Il vit désormais dans la maison où sa famille avait été raflée en 1942. Lui sait mieux que personne ce qu’Odette Bergoffen a permis et qu’aucune cérémonie ni aucune médaille ne suffiront à honorer sa force et son courage.