Justes parmi les Nations : rencontre avec Pierre-François Veil, Président du Comité français pour Yad Vashem

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Dossier n°

Justes parmi les Nations : rencontre avec Pierre-François Veil, Président du Comité français pour Yad Vashem

Du 27/06/2018

 

 

 

 

 

« Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs une place (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés », Isaïe 56, 5.

Le 22 juillet prochain, au cours de la cérémonie nationale de commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, la France rendra hommage aux Justes parmi les Nations. Le Crif s’est entretenu avec Pierre-François Veil afin de mieux connaître l’histoire de ce titre et la place que les Justes ont peu à peu pris dans le récit national français.

Au début du mois de mai, Pierre-François Veil nous reçoit dans ses bureaux du 8ème arrondissement de Paris. Président du Comité français pour Yad Vashem, notre hôte est un habitué des entretiens journalistiques. Son discours est construit et ses connaissances sur les problématiques liées à la Shoah utilisées avec la plus grande pertinence. On lui reconnait une attention particulière pour le mot juste et un certain penchant pour la précision du discours, que l’on retrouve chez les bons avocats.

Nous rencontrons Pierre-François Veil pour l’entretenir du sujet des Justes parmi les Nations, sujet qu’il nous semble important d’aborder de manière détaillée, convaincus du relais nécessaire que vont constituer peu à peu les témoignages d’enfants cachés, et sauvés.

 A notre demande, notre interlocuteur ouvre l’entretien en nous parlant d’abord du Comité français pour Yad Vashem et ses missions.

« Nous sommes avant tout le relai de ce qui se fait à Yad Vashem » explique t-il avant d’exposer les objectifs du mémorial de Jérusalem.

Le premier est de retrouver et d’identifier les noms des 6 millions de victimes. Cette mission s’inscrit d’ailleurs dans le nom même de Yad Vashem*. Aujourd’hui, après 70 ans de recherches, on connait plus de 4,5 millions de noms, que l’on peut découvrir dans la salle des noms du musée.

Le deuxième objectif concerne l’éducation. « C’est une mission qui a beaucoup évolué, au fil de l’histoire et des traumatismes qui ont suivi celui de la Shoah. » précise Pierre-François Veil. Le mémorial travaille sur le phénomène génocidaire, notamment au sein de l’Université de recherche de Yad Vashem.

Enfin, la troisième mission de Yad Vashem concerne les Justes parmi les Nations, de la constitution du dossier par une personne sauvée à la remise de la médaille des Justes, en passant par les Commissions de Yad Vashem consacrées au sujet.

La Médaille des Justes, la plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël

« Il faut bien comprendre ce qu’est un Juste. Un Juste, c’est d’abord une personne physique. Il ne peut pas s’agir ni d’un groupe de gens, ni d’une institution. Une personne physique donc, non juive, qui – au péril de sa vie et/ou de celles des siens – a sauvé ou aider à sauver un ou plusieurs Juif(s) pendant la guerre, sans contrepartie. »

Nous demandons quelques détails sur le processus d’attribution de la Médaille des Justes, la plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël.

 « Un dossier complet est présenté à une première Commission du mémorial. Le dossier doit être composé de témoignages directs de gens ayant vécu l’événement, le sauvetage et les conditions du sauvetage. Yad Vashem fait preuve d’une grande minutie lors de l’examination de ces dossiers. » explique Pierre-François Veil.

Il précise que « la décision est prise par une Commission dédiée à Yad Vashem, présidée par un membre de la Cour Suprême de l’Etat d’Israël. »

Le Comité français, lui, présente des missions analogues à celles de Yad Vashem. Il y a un travail d’identification des victimes, un travail d’éducation et de mémoire, et un travail sur les Justes parmi les Nations.

Concernant les Justes, le Comité français a une mission particulière d’aide aux personnes qui présentent leur dossier. « Nous avons la chance d’avoir des bénévoles qui les aident à constituer leur dossier, transmis ensuite pour examen à Yad Vashem. C’est un travail méticuleux, qui se fait grâce à l’aide précieuse de nos bénévoles. » raconte Pierre-François Veil.

Une fois le dossier envoyé à la Commission, l’instruction dure entre 10 et 18 mois, selon les cas. Le processus peut cependant être accéléré quand le dossier concerne un Juste encore  vivant.

Lorsque la Commission prend la décision d’octroi d’une Médaille à un Juste français, le Comité français est en charge d’organiser la cérémonie de remise, à laquelle participe un délégué de l’Etat d’Israël. L’organisation et la coordination de la cérémonie est entièrement prise en charge par le Comité français.

C’est lui qui se charge de l’organisation de toutes les remises de médailles en France. En revanche, ce n’est pas toujours pour un dossier dont il s’est occupé. « Le dossier peut venir d’un autre pays. Par exemple, quelqu’un qui vivrait en Israël aujourd’hui, mais qui aurait été sauvé par une famille française à l’époque ne se sera pas nécessairement adressé au Comité français pour le dossier. » précise t-il.

Trois France, trois Présidents

Nous interrogeons Pierre-François Veil sur la possibilité de repérer un moment « déclencheur » pour le travail sur les Justes. Son intuition le pousse à croire que le besoin de retrouver une vie normale pour les déportés et les Juifs cachés, et le caractère de banalité que les Justes attribuaient à leur acte de sauvetage, ont éludé la question des Justes parmi les Nations.

Pierre-François Veil nous dit d’ailleurs que le terme ‘enfants cachés’ est un terme récent. Parce que leur place dans l’histoire de la Shoah est particulière et que leur témoignage n’a pendant longtemps pas constitué une priorité, leurs histoires n’ont pas été connues tout de suite. « J’ai la sensation que les enfants cachés ont eu le besoin de raconter face aux demandes des nouvelles générations, celle des petits-enfants, et face aux temps qui passe et à l’urgence qui se fait sentir de témoigner. » explique-t-il.

Concernant la place de l’histoire des Justes dans le travail de mémoire de la Shoah, Pierre-François Veil met en évidence l’importance des modes intellectuelles, qui déterminent les sujets auxquels on s’intéresse.

Il parle aussi du regard national et collectif sur le sujet des Justes dans les années qui ont suivi la guerre. « Nous avons connu une première période pendant laquelle la Shoah n’intéressait personne ». D’un point de vue national et politique, Pierre-François Veil parle d’un consensus national, des Gaullistes aux Communistes, pour glorifier les Résistants et la France résistante. « L’idée à ce moment précis, c’est de mettre la France du côté des vainqueurs, une idée éminemment mise en avant par le Général de Gaulle. C’est un point de vue entièrement politique. » précise-t-il.

Dans un deuxième temps, on trouve « la France honteuse, la France collabo ». Il s’agit cette fois-ci d’une auto-flagellation de la génération des enfants vers celle de leurs parents.

« Et puis, reprend-il, vient un troisième temps, celui le discours de Jacques Chirac en 1995 qui fait prendre conscience aux gens que sur les 350 000 Juifs qui se trouvaient en France en 1940, 76 000 ont été déportés. Cela veut dire qu’un Juif sur quatre a été déporté en France, ce qui n’est le cas dans aucun autre pays de l’Europe occupée, au sein desquels la population juive a été déportée en quasi totalité. Les Justes seuls ne peuvent expliquer cela, mais ils peuvent en expliquer une partie. Les Justes ont permis de sauver des milliers de Juifs, il ne faut pas l’oublier. »

« Ces trois attitudes de la France face à la Shoah correspondent à trois époques marquées par trois Président de la République, Charles De Gaulle, François Mitterrand, et Jacques Chirac, et ce n’est pas un hasard. » conclue t-il.

Les Justes parmi les Nations dans le récit national français

Lorsque Jacques Chirac reconnait la responsabilité de l’Etat, il permet précisément le détachement de cette responsabilité de l’Etat français de celle des Français. C’est bien ce qui rend possible la place des Justes dans le récit national, désormais détaché de celui de l’Etat.

On ne parle alors plus de l’Etat français, mais des Français eux-mêmes face à la Shoah. C’est là une nouvelle manière de penser la Shoah et la guerre.

Douze ans plus tard, en 2007, le Président Jacques Chirac – aux côtés de Simone Veil – appose une plaque dédié aux Justes français au Panthéon. « Aux grands Hommes la patrie reconnaissante » peut-on lire sur le frontont du bâtiment. La partie reconnaissante, oui, chaque citoyen français, aussi.

*Le nom de Yad vashem tient son origine dans la phrase biblique suivante : « Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs une place (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés », Isaïe 56, 5.

Marie-Sarah Seeberger

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Témoignage d’Eliane Yadan, enfant cachée par des Justes pendant la Shoah. Elle raconte comment elle a emmené « Maman et Papa Lolo » jusqu’au Jardin des Justes de Yad Vashem