L’ ombre de Bouchard rend trouble la Piscine de Roubaix
L’affaire devrait être entendue. Le scupteur Henri Bouchard se voulut collaborateur des occupants et le prouva sans conteste.
Néanmoins, à Roubaix, le Musée de la Piscine s’obstine à occulter cette tache indélébile pour, au contraire, tenter de blanchir et même de magnifier ce personnage si peu glorieux.
En conséquence, le nom même de Bouchard devient un repoussoir aussi bien pour des artistes que pour des historiens… Et ce Musée en perd une partie de sa crédibilité, amputé même d’une exposition de qualité (1) mais aussi d’un colloque international !
Car en octobre prochain, un laboratoire de recherche de l’Université de Lille 3 proposera un colloque exceptionnel sur la barbarie et les lieux de la barbarie. Y apporteront leurs contributions des historiens, des sociologues, des écrivains, des critiques littéraires de différents horizons du globe, tous auteurs de créations et de travaux sur les systèmes barbares. Car les valeurs qu’ils partagent résident dans le refus des indifférences ou des complicités, voire plus encore des collaborations avec toute forme de barbarie en ce monde qui ne manque hélas point d’imagination et de mises en applications dans ce domaine.
Génocide des Arméniens (DR).
S’étendant sur toute une semaine, le programme de ce colloque comprend notamment une table ronde sur les génocides du XXe siècle. Animée par Danielle Delmaire, cette rencontre sera centrée sur des communications complémentaires et fondamentales telles que celles de :
– Claire Mouradian pour le génocide en Arménie (2),
– Yves Ternon pour le génocide au Rwanda (3),
– Pierre-Jérôme Biscarat (documentaliste à la Maison d’Izieu et doctorant sur la Maison d’Izieu) pour la Shoah.
De plus, deux diaporamas illustreront le travail mené en Ukraine par le¨P. Desbois (4) et l’arrestation des enfants d’Izieu (P-J Biscarat).
Les enfants d’Izieu (DR).
Toute une journée sera consacrée à la littérature, notamment celle d’Amérique latine, quand elle est confrontée à la barbarie, la décrit, la dénonce, la combat par la plume et par l’encre d’imprimerie. Et si la Shoah, l’Arménie, le Rwanda, l’Amérique latine ont déjà été cités, les Noirs ne seront pas oubliés, eux dont l’esclavage sera évoqué par des poèmes récités par Julien Delmaire.
Or il était initialement prévu qu’une journée ce colloque international d’une semaine pleine ait pour cadre le Musée de la Piscine. Mais après lecture notamment de l’article du Monde publié le 15 juin (5) et après réflexion, Danielle Delmaire, membre du comité d’organisation, a prévenu celui-ci de l’importance exceptionnelle donnée aux oeuvres d’Henri Bouchard dans le Musée même. Eu égard au profil collabo de ce dernier, le comité a été unanime pour retirer des murs de la Piscine la journée de ce colloque qui y était prévue. Et éviter ainsi que ce dernier ne soit obligé de cotoyer un contre-exemple inacceptable.
Pour en voir le coeur net, Danielle Delmaire, professeur honoraire de Lille 3 et directrice de publication de TSAFON (6), a visité l’actuelle exposition provisoire de la Piscine. Elle en a ramené ce compte-rendu pour le comité organisateur du colloque. Une confirmation sans appel du bien-fondé de refuser que ce colloque sur la barbarie ne puisse servir d’alibi à l’accueil réservé par ce Musée de Roubaix à un Henri Bouchard infréquentable.
Danielle Delmaire :
– « Un été de sculpteurs. Exposition au Musée de la Piscine à Roubaix.
Compte rendu d’une visite.
Cette exposition temporaire présente les œuvres de trois sculpteurs : Jedd Novatt, Carlo Sarrabezolles (1888-1971) et Henri Bouchard (1875-1960).
Les œuvres des deux premiers sont exposées dans deux salles moyennement grandes pour ce musée qui ne dispose pas de véritables grandes salles. En revanche, la salle qui abrite les œuvres de Bouchard est petite mais cette exposition se prolonge sur un côté du bassin de la Piscine où sont montrées des œuvres d’amis de Bouchard qui sont en possession de la famille Bouchard. C’est dire que c’est une très petite partie de l’œuvre de Bouchard qui est présentée au public et que, contrairement à ce qu’écrivait le journaliste de La Voix du Nord (18/06/2008, site de la Voix du Nord), il est difficile « de se faire sa propre opinion » sur l’œuvre et le personnage.
D’autant plus que, contrairement aussi à ce que Bruno Gaudichon, « conservateur du musée de La Piscine et initiateur du rapprochement avec le musée Bouchard » (La Voix du Nord -7-, même source), aurait dit : « rien de tout cela ne sera dissimulé aux visiteurs » (La Voix du Nord, même source) – tout cela c’est-à-dire la collaboration du sculpteur avec l’Allemagne nazie – rien de « tout cela » n’est signalé aux visiteurs.
En effet, cette modeste exposition se limite à la présentation des dessins de Bouchard concernant les pièces de camouflage d’espions français durant la Première Guerre mondiale, et rien d’autres. Le visiteur peut donc apprécier l’imagination de Bouchard pour dissimuler un poilu qui observe l’ennemi caché dans un faux tronc d’arbre, par exemple, ou dans une borne kilométrique etc. Les dessins sont amusants et renseignent, très certainement, sur la manière de mener une guerre d’espionnage, côté français. A ce titre, la visite de cette petite salle pourra occuper la demi-journée d’un groupe d’élèves accompagnés de leur professeur d’histoire qui vient de leur parler de la Première Guerre mondiale. Mais ces élèves, que sauront-ils de Bouchard en particulier et de la collaboration artistique en général ? Rien, car rien n’est affiché à l’entrée ni à la sortie de la salle pour évoquer la présence de Bouchard auprès des nazis, ou son opinion sur la colonisation. Les concepteurs de l’exposition peuvent se camoufler derrière le prétexte que le thème porte sur la Première Guerre mondiale et non la Seconde. Si on évoque le Pétain de Verdun, il est inutile de se souvenir du Pétain de 1940 à 1944. Soit, dans ce cas « tout cela » n’est pas à dire. Mais ce mutisme laisse présager un même camouflage lors de la mise en place de l’exposition définitive de l’atelier de Bouchard.
Le plus comique mais aussi le plus navrant : la salle qui abrite les dessins de Bouchard s’ouvre sur le bassin de la Piscine où, juste en face, une vitrine contient les céramiques de Picasso. Or ce même Picasso présida le comité directeur du Front National (Résistance) des Arts, réuni le 3 octobre 1944, qui jugea et condamna Bouchard pour sa collaboration artistique. « Tout cela » pourrait donc être évoqué dans ce face-à-face presque emblématique.
Enfin, la visite est expliquée par un catalogue où les auteurs auraient pu faire une œuvre pédagogique pour expliquer ce que fut la collaboration artistique. Mais le catalogue guide le visiteur dans la petite exposition sur le camouflage donc rien n’est expliqué. Une chronologie biographique de Bouchard est très évasive. Trois dates sont retenues : 1941, son voyage en Allemagne est mentionné mais il n’est pas précisé que c’est Goebbels qui invite le groupe d’artistes ; 1942, il est rappelé que les Allemands ont ordonné la destruction de trois de ses œuvres ; 1945, discrètement enfin son éviction de l’Ecole des Beaux-arts et son interdiction d’exposer pendant deux ans ne sont pas oubliées. Or le blog de Yad Vashem (8) fait référence au livre de Laurence Bertrand Dorléac : L’art de la défaite, 1940-1944, paru au Seuil en 1993 (481 p.), qui est explicite sur l’engagement de Bouchard auprès des collaborateurs les plus notoires tels Alphonse de Chateaubriant et le groupe « Collaboration » autorisé par Abetz. Tout cela doit être dit. »
(S : Danielle Delmaire) (9)
(Façade du Musée de la Piscine. DR)
Notes :
(1)Claude Champi, Bernard Dejonghe, Philippe Godderidge, Jacqueline Lerat, Michel Muraour, Setsuko Nagassawa, Daniel Pontoreau et Camille Virot, céramistes, sculpteurs et verriers de grand renom refusent d’exposer à la Piscine pour cause de proximité avec Henri Bouchard.
(2) Auteur notamment de L’Arménie, Que sais-je ? PUF, 3e éd. 2002.
(3) Guerres et génocides au XXe siècle, Odile Jacob, 2007.
(4) Patrick Desbois (Père), Porteur de mémoire. Un prêtre révèle la Shoah par balles. Michel Lafon, 2007.
(5) Article de Clarisse Fabre dans Le Monde du 15 juin 2008.
(6) TSAFON. Revue d’études juives du Nord.
(7) Rappel à propos de La Voix du Nord. Dans sa Lettre n°49 de janvier 2003, le Club de la Presse du Nord – Pas de Calais écrivait :
– « Bourde » calamiteuse ou dérive politique étonnante au service publicité-annonces de La Voix du Nord ? Toujours est-il que fin septembre, un responsable des avis de décès du quotidien a censuré le faire-part annonçant la mort d’une vieille dame de cent ans, membre connue d’une famille juive de Lens d’origine polonaise, arrivée en 1920 avec les mineurs. Ses neveux, qui habitent Paris, ont fait insérer dans plusieurs journaux, en hommage à leur tante, le nom de son premier mari, Abraham, en précisant qu’il fut « fusillé par la milice du Maréchal Pétain » et celui de son compagnon Fred, « rescapé des camps nazis ».
L’annonce passe intégralement dans Le Figaro et dans Le Monde. Mais, surprise, lorsque l’avis de décés est envoyé au quotidien régional, un responsable du service nécrologies demande de retirer deux mots : « milice du Maréchal Pétain » et « nazis ». Le nouveau texte proposé à la famille, qui l’accepte après un moment d’étonnement, est donc édulcoré et retient les expressions suivantes : « fusillé en otage » et « rescapé des camps de concentration ».
Etonné, un membre de la famille en informe Le Canard Enchaîné. Se faisant passer pour un proche, la rédaction téléphone à La Voix du Nord. On lui passe l’un des responsables de la publicité et des nécrologies, ayant un rang important dans la hiérarchie, précisent des journalistes du quotidien régional. Et celui-ci de répondre, selon les propos rapportés par Le Canard : « Nos lecteurs d’extrême-droite auraient pu nous reprocher les termes utilisés. Il y aura toujours des gens qui contestent l’existence des camps nazis »… Ou encore : « Des enfants de miliciens auraient pu se sentir visés… Et puis nous ne sommes pas là pour dire que Pétain a fait fusiller des gens. »
La direction de La Voix du Nord a précisé dans un communiqué avoir « pris connaissance avec stupeur des propos prêtés à son collaborateur ». Le journal a également présenté ses excuses à la famille et republié l’avis de décès dans sa version intégrale. Près d’un mois après avoir tronqué le premier texte, tout de même, et après que la « faute » ait été dénoncée par des journaux et des radios d’audience nationale. »
(8) Page 51 de ce blog : A Roubaix, le Musée de la Piscine s’agrandit pour Henri Bouchard, Président du « Salon des Artistes français » tout au long de l’occupation.
(9) Que Danielle Delmaire soit remerciée pour avoir autorisé la mise sur ce blog de son compte-rendu.
Dernière publication : Les Communautés juives de la France septentrionale au XIXe siècle (1791-1914). L’entrée dans la Nation. L’Harmattan. 2008.