La liste des Justes s’allonge au Chambon sur Lignon
Exceptionnellement, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem a décerné en 1990 un diplôme d’honneur collectivement « aux habitants du Chambon-sur-Lignon et des communes voisines qui se sont portés à l’aide des Juifs durant l’occupation allemande, et les ont sauvés de la déportation et de la mort ». Cette plaque commémorative porte leur reconnaissance indéfectible (Ph. A. Karo / BCFYV/ Droits réservés).
Histoire d’une amitié plus forte que la Shoah :
celle de Jean Brottes et d’Yvon Herschowitz.
Ce 10 mai 2010, plus de deux cents personnes entouraient Jean Brottes à la Mairie du Chambon sur Lignon.
Haut dans les Cévennes, là où s’enracina le Protestantisme victime de tant d’intolérances, Jean Brottes vient de rejoindre non seulement sa Commune mais aussi toutes celles et ceux qui y portent déjà le titre de Justes parmi les Nations.
Synthèse du dossier Yad Vashem :
– « En 1933, M. et Mme Arthur Herschkowitz, juifs d’origine polonaise, et leur trois fils, Yvon, Marcel et Félix, fuient l’Allemagne nazie pour la France.
Arthur Herschkowitz ouvre un commerce de confection à Paris. En 1939, il exploite quatre boutiques dans Paris.
En 1940 la famille se réfugie en zone dite « libre ».
Yvon, lui, n’a qu’une idée en tête : rejoindre la vraie France Libre. En Février 1941, il parvient à quitter clandestinement Marseille pour l’Algérie, mais il est arrêté et incarcéré.
Libéré après quatre mois de détention, Yvon est appelé avec Marcel, son frère jumeau, aux Chantiers de la Jeunesse Française à Cavaillon (ces CJF sont un substitut du service militaire et destinés à des travaux d’intérêt général).
C’est là qu’Yvon et Marcel Herschkowitz se lient d’amitiés avec Jean Brottes et Raoul Mazoyer.
Jean Brottes est né au Chambon sur Lignon en 1921 et est l’aîné de six enfants. Il vient d’obtenir un baccalauréat technique en mécanique générale quand il est affecté aux Chantiers de la Jeunesse Française.
Les quatre jeunes gens deviennent vite inséparables, s’épaulant mutuellement.
En Juillet 1942, ils se quittent avec « une certaine nostalgie » comme en témoigne Jean Brottes. Il retourne à Intres en Ardèche chez ses parents, tandis qu’Yvon regagne Paris.
L’étau se resserre autour des juifs, les rafles s’intensifient.
C’est ainsi qu’à l’automne 1942, Jean Brottes reçoit la visite d’Yvon qui lui demande de lui « prêter » ses papiers d’identité et ses papiers d’incorporation aux Chantiers de la Jeunesse. Yvon espère ainsi pouvoir circuler plus librement et poursuivre son activité de résistant. Il sera d’ailleurs décoré de la Légion d’Honneur pour ses actions.
Jean donne sans aucune hésitation et dans la plus grand secret tous ses papiers à son ami.
Mais le risque est grand pour ce Cévenol, qui n’a plus la possibilité de justifier de son identité en cas de contrôle et qui refuse de partir pour le STO.
Jean décide alors de rejoindre le maquis avec lequel il se battra jusqu’à la fin de la guerre. »
Jean Brottes, Juste parmi les Nations (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).
Suite de la synthèse du dossier Yad Vashem :
– « Jean Brottes a également aidé ses parents, Charles et Célina, à cacher le Grand Rabbin de France Isaï Schwartz et sa famille, dans leur maison de Champignac en Ardèche (le Rabbin Schwartz sera ensuite hébergé chez la sœur de Célina Brottes. Judith Picot et son mari ont été honoré du titre de Justes parmi les Nations en 1999.
Jean Brottes se marie en 1953 avec Marcelle Barbereux au Temple d’Intres. Ils élèveront leurs cinq enfants dans la foi protestante.
Aujourd’hui, Jean Brottes est grand-père de onze petits enfants, il est huit fois arrière grand-père et assiste avec grand dévouement, son épouse Marcelle, dans sa maladie.
Les liens noués entre les quatre amis pendant cette période difficile ont perduré.
Toute sa vie, Yvon Herschowitz, qui a pris le nom de Hervais en 1952, a été reconnaissant à Jean Brottes de lui avoir sauvé la vie.
Les deux amis n’ont pas cessé de correspondre et comme le dit Jean Brottes :
« Il n’y a que la mort qui a interrompu notre correspondance ».
De g. à dr. : Annie Karo, Déléguée et Paul Schaffer, Président du Comité Français pour Yad Vashem (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).
Discours de Paul Schaffer, Président du Comité Français pour Yad Vashem :
– « Merci Madame Eliane Wauquiez-Motte, Maire de Chambon sur Lignon, de nous avoir conviés à cette cérémonie qui honore à la fois les Justes de votre ville et Israël.
Yad Vashem a pour mission principale d’honorer et de transmettre le souvenir des six millions de Juifs, dont un million cinq cent mille enfants, exterminés durant la dernière guerre et aussi de conserver la mémoire des milliers de communautés juives détruites à jamais.
Il a aussi deux autres missions importantes :
Rappeler et honorer l’héroïsme des Juifs qui ont combattu sur tous les fronts, durant cette période tragique.
Et enfin rendre hommage aux « Justes parmi les Nations ».
Tout cela incombe à l’Institution de YAD VASHEM, créée et édifiée sur le mont du Souvenir à Jérusalem, à la suite d’une décision prise dès 1953 par le parlement Israélien. Le nom de YAD VASHEM repose sur le verset du prophète ISAÏE :
« Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial YAD et un nom SHEM qui ne seront pas effacés ».
Nul autre lieu de mémoire au monde ne constitue une aussi importante sépulture virtuelle pour ses martyrs.
Jamais et en aucun lieu, on a élevé à un degré si haut, la noblesse et la reconnaissance à des femmes et des hommes qui ont su spontanément, en toute simplicité, au péril de leur vie et de celle de leur famille, porter secours à d’autres hommes et femmes. Ils ont su sauver des enfants dans la détresse, persécutés parce que juifs, qui sans leur aide, étaient voués à la mort.
Ils ont fait preuve de bonté, de civisme et d’abnégation. Israël les a nommés :
« Justes parmi les Nations ».
Leur dignité durant ces années noires nous a permis de garder une lueur d’espoir dans l’humanité. Ils ont aidé la civilisation occidentale qui a sombré dans le néant, à renaître des cendres d’Auschwitz.
Et c’est ne pas seulement en ma qualité de président du Comité Français, mais aussi et surtout en tant que rescapé de cet enfer que je tiens à vous assurer que si nous ne pourrons jamais oublier le mal qui nous a été infligé, nous ne pourrons pas d’avantage oublier ces 3 158 Justes que nous honorons à travers la France. 3158 parmi les 23 226 de tous les pays, qui ont subi le joug de l’occupation nazi.
Nous savons que si la mémoire est la racine de la délivrance, l’oubli est celle de l’exil !
Chambon sur Lignon, en tant que ville de France est la seule à partager avec 3 autres lieux en Europe, la reconnaissance du peuple juif sous la forme d’une plaque commémorative, située dans les jardins et parmi les arbres plantés à la mémoire des justes, à Jérusalem.
Sous le texte en hébreux on peut lire en français sur cette plaque :
AUX HABITANTS DU CHAMBON SUR LIGNON
ET DES COMMUNES VOISINES
QUI ONT SAUVE LA VIE DE NOMBREUX JUIFS
La lumière que vos habitants, Madame le Maire, ont fait briller sur votre commune, marquera à jamais notre mémoire. Elle restera aussi inoubliable comme symbole de la résistance de toute la région.
Avec le souvenir de ce passé, vous forgerez sans aucun doute, le meilleur des avenirs.
Chambon sur Lignon fait honneur à la France.
Aucun homme, qu’il soit chef d’Etat, personnalité religieuse ou politique, ne peut visiter Yad Vashem sans s’incliner avec respect devant ce sanctuaire et en sortir indifférent.
Comme le président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy l’a souligné : « J’ai changé quand j’ai visité ce mémorial »
Quant à vous Monsieur Jean BROTTES, permettez-moi d’évoquer en quelques mots seulement votre immense mérite.
Vous avez sauvé la vie à Yvon Herschkowitz, qui ayant entendu l’appel du général de Gaulle quitte clandestinement Marseille le 28 février 1941, caché dans la cale d’un bateau. Mais arrêté, il est transféré à la prison de Toulon. Libéré, il est appelé à rejoindre le chantier de jeunesse, où il a la chance de vous rencontrer. Le sachant en danger, vous lui avez donné vos papiers d’identité.
Restant vous même sans papiers, ce qui était évidemment très risqué, vous ne le dite jamais à vos parents, pour ne pas les inquiéter.
Votre geste lui a permis de circuler librement, de poursuivre son activité de résistant et monté un maquis dans le sud de la France. A ce titre il a été décoré en 1999 de la Légion d’honneur.
Monsieur Jean Brottes, vous lui avez non seulement sauvé la vie, vous lui avez donné la liberté de faire son devoir.
Son Excellence Monsieur Daniel Shek, Ambassadeur de l’Etat
d’ Israël vous remettra tout à l’heure le diplôme et la médaille de JUSTE. »
De g. à dr. : Madame Eliane Wauquiez-Motte, Maire de Chambon sur Lignon et S. E. Monsieur Daniel Shek, Ambassadeur d’Israël en France (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).
Madame le Maire Éliane Wauquiez-Motte :
– « Cette cérémonie qui vient de rappeler l’histoire de la montagne protestante, doit aussi rappeler, à chaque instant, combien chacun devra garder à jamais le souci permanent de préserver la paix, la liberté et la fraternité, indispensables à l’évolution de nos enfants et à l’équilibre de notre monde fragile. »
Au premier rang de l’assistance, à g. : les époux Brottes (Ph. A. Karo / BCFYV / DR).
Article lié au Dossier 11646