« Le Péril Juif » selon Simenon

Accueil/La vie du Comité/Actualités/Actualités de Paris/« Le Péril Juif » selon Simenon

Dossier n°

« Le Péril Juif » selon Simenon

Au long de quatre semaines, Le Monde 2 va consacrer des dossiers à Simenon. Et les « obsessions » de ce voyageur viennent d’être publiées…
Mais comme des bulles remontant de la boue antisémite, reviennent alors en mémoire les articles de Simenon sur « Le Péril Juif ».

(Simenon. 1920. DR)

 

Simenon se métamorphose-t-il en marronier de l’été ? 
A partir du 9 août, Le Monde 2 l’adopte comme thème porteur de ses ventes. 
De plus, La Quinzaine littéraire-Louis Vuitton, dans la collection « Voyager avec », publie un « Georges Simenon. Les obsessions du voyageur » dont les critiques commencent à rendre compte en termes généralement laudateurs.

Mais il y a des noms d’auteurs qui engendrent un dégoût certain. Celui provoqué par leur lecture complète. Quand ils plongeaient leur plume serve dans l’encre de l’antisémitisme. Et Simenon, indéniablement, est du nombre.

Spécialiste s’il en est, Danielle Bajomée assume la direction du « Centre d’études Georges Simenon » de l’Université de Liège (ville natale de l’écrivain). Elle ne dissimule en rien les infâmies du journaliste Sim(enon) à La Gazette de Liège. Journal ultra-catholique lié à l’Evêché. Quotidien qui va proposer à ses lecteurs, à partir de juin 1921, une vision du « Péril Juif » (1) revu et corrigé par Sim(enon) :

– « Le Péril Juif », une série de 17 articles pugnaces, radicalement et effroyablement antisémites… Ces articles repèrent les personnalités juives les plus influentes, prétendent utiliser de manière critique « Le Protocole des sages de Sion » et s’ingénient à construire l’idée d’une conspiration mondiale judéo-maçonnique…
Pour Simenon, les Juifs sont souvent banquiers ou diamantaires, ils ont le nez crochu, les cheveux crépus et dégagent une odeur désagréable. » (2)

 

Extraits signés par Sim(enon) :

– « Tout se tient, tout se précise dans ce mouvement néfaste qui menace le vieux monde : les Juifs, dans leur rage de destruction et aussi dans leur soif de gains, ont enfanté le bolchevisme. L’Allemagne s’en est servie pour affaiblir et réduire à merci un ennemi gênant… »

– « Les Catholiques seuls ont gardé leur indépendance et, avec les patriotes clairvoyants, ils restent les ennemis de l’idéal juif. »

– « Ainsi, la pieuvre juive étend ses tentacules dans toutes les classes de la société, dans toutes les sphères où son influence ne tarde pas à se faire sentir. Et il en sera ainsi jusqu’à ce que le monde se décide enfin à réagir. À moins qu’alors, il ne soit trop tard. »

L’intégralité de ces articles a été rassemblée par l’historien Jean-Charles Lemaire. A lire avec des gants mais à lire si l’on veut savoir ce qui se cache derrière les dénégations ultérieures d’un Simenon affirmant n’avoir fait qu’obéir aux ordres de la rédaction (3). Comme si le journalisme n’était qu’un métier de mercenaire, ici au service d’une cause sans excuse : l’antisémitisme.

 

 

Présentation (prudente) de l’Editeur :

– « Entre janvier 1919 et décembre 1922. Georges Simenon, qui sort de l’adolescence, exerce les fonctions de journaliste (ou de  » reporter  » comme il aime lui-même à le dire) à La Gazette de Liége. Cette première expérience professionnelle lui permet d’aiguiser un talent d’écriture que l’avenir confirmera de manière éclatante.

Dans ce grand quotidien catholique et conservateur. le jeune homme participe à toutes les activités journalistiques courantes : il rend compte des conseils communaux ou de diverses activités culturelles (comme les conférences). relate les faits divers, transcrit des dépêches. Bientôt, séduit par les dispositions naturelles de son nouveau collaborateur, le directeur de la publication lui confie une tâche plus alléchante : la rédaction régulière de billets d’humeur. Dans ces textes, le futur romancier révèle une maturité intellectuelle et des dons littéraires exceptionnels. Mais il traduit aussi des opinions très arrêtées et adopte un certain nombre de positions philosophiques et politiques qui ne manquent pas de surprendre : à un antisémitisme redoutable mâtiné d’antimaçonnisme, il allie d’autres convictions réactionnaires du plus mauvais aloi.

Pour comprendre la genèse d’une œuvre romanesque considérable, la lecture de ces premiers écrits se révèle primordiale. Aussi, le présent ouvrage édite-t-il une sélection éclairante des billets et articles marqués par l’engagement de leur auteur. Dans sa partie introductive, Jacques-Charles Lemaire, fin connaisseur de l’œuvre simenonienne, propose du comportement souvent déroutant du jeune « Sim » une explication qui, dans une perspective scientifique dénuée de tout esprit polémique, pourra permettre à tous les admirateurs du romancier de mieux appréhender les mobiles intellectuels et moraux d’une personnalité en train de se construire. » (4)

 

Critique de Didier Pasamonik, Regards :

– « Tour à tour antisocialiste, anticommuniste et anti-maçonnique, il est aussi antisémite. Sa prose est une prose de combat mise au service d’une presse nationaliste et réactionnaire. Mais c’est surtout dans l’antisémitisme que l’indéniable précocité de son génie trouvera à s’ébrouer avec le plus de volupté.

Dans une série de quinze articles parus entre le 19 juin 1921 au 13 octobre de la même année, intitulés « Le Péril Juif », il démarque le fameux faux tsariste Les Protocoles des Sages de Sion pour égrener dans un feuilleton où le ton est à la fois docte et haineux (il puise si l’on peut dire, aux meilleures sources de l’antisémitisme de son époque), un concentré efficace et dévastateur de propagande antijuive. Dans une analyse où ni les Juifs, ni les Protestants ne sont épargnés, sans parler des Francs-Maçons, il dénonce la mainmise de la finance juive sur le monde, citant le « banquier juif anglais » Ricardo et le « Juif allemand » Karl Marx comme les inspirateurs d’une conception « mystico-judéo-économique », d’une « internationale de l’Or et du Sang », résultat de l’alliance entre la finance puritaine protestante et le socialisme. »

 

Notes :

De l’océan des biographies rédigées par des simenologues distingués, émerge la somme de Pierre Assouline : Simenon, éd. revue et augmentée, Gallimard, 1997 (Folio).

(1) Marcel Jouhandeau retiendra le même titre de « Péril juif » pour une plaquette publiée en 1936 (Fernand Sorlot éditeur).

(2) Le Soir, 14 février 2003, article de Marc Vanesse.

(3) Lamentable défense de Simenon en septembre 1985 : « Toute ma vie, j’ai eu des amis juifs avec lesquels je m’entendais parfaitement y compris le plus intime de tous, Pierre Lazareff. Les locataires polonais et russes en pension chez ma mère étaient pour moitié des Juifs avec lesquels je me suis toujours parfaitement entendu. »

(4) Jacques-Charles Lemaire, Simenon jeune journaliste. Un « anarchiste » conformiste, Ed. Complexe.