Lettre d’un jeune lycéen à un survivant de la Shoah

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Dossier n°

Lettre d’un jeune lycéen à un survivant de la Shoah

 

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Auschwitz-Birkenau (Graph. JEA / DR).

 

« Lors de notre arrivée sur le site d’Auschwitz, nous nous sommes engagés directement sur le chemin qui fut le vôtre… »

 

Xavier Dufau est lycéen, en terminale à Revel. Sa signature est portrée au bas d’une lettre adressée à Paul Schaffer.
« Le soleil voilé. Auschwitz 1942-1945 » (1), donne tout son sens au courrier de ce jeune à un survivant de la Shoah. En effet, dans ses souvenirs, Paul Schaffer rappelle comment des gendarmes français l’ont arrêté à Revel, le 26 août 1942. Avec ses parents et sa soeur Erika, il fut d’abord interné au camp de Noé. Pour se retrouver transféré le 1er septembre à Drancy de même que sa mère et Erika (la santé de son père empêchant tout transport). Puis, dès le 4 septembre, mis tous les trois dans le convoi n° 28.
Mère et fille furent mises à mort dès leur arrivée à Auschwitz. Paul Schaffer se retrouva dans un camp annexe, celui de Tarnovitz. Ensuite le camp « plus sinistre encore » de Schoppinitz. En novembre 1943, l’adolescent est tatoué à Birkenau : dorénavant, il portera le matricule 160 610. Après sept mois dans l’horreur absolue de Birkenau, il est désigné avec environ 250 hommes et 35 femmes pour le camp annexe de Brobek. Une usine de Siemens. Là, Paul découvrit les ressemblances entre une autre déportée, Simone Veil, et sa soeur Erika…
Le 18 janvier 1945, débute « la marche de la mort » jusqu’au camp de Gleiwitz. Paul Schaffer s’évade avec son ami Zev. Ils marchèrent et marchèrent jusqu’à une patrouille de jeunes soldats soviétiques. Quand finalement, il revint dans un Revel libéré, ce fut pour y apprendre la décès de son père, libéré pour cause de santé de Noé mais qui n’avait pas supporté la déportation de tous les siens…

 

Aujourd’hui, Paul Schaffer (2) est « citoyen d’honneur » de Revel. Il y propose régulièrement des conférences scolaires. A la suite de l’une d’entre elles (préparant une découverte scolaire d’Auschwitz), un lycéen, Xavier Dufau, a pris sa plume la plus sincère.

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Matricule 62 766 à Auschwitz (DR).

 

Xavier Dufau :

– « Chaque voyage est une expérience unique : des souvenirs, des images et des sensations qui nous prennent et que l’on veut partager, transmettre. Cette journée passée en votre compagnie revêt un caractère historique, particulier et très fort. Lorsque notre professeur a évoqué l’idée de ce projet d’étude à Auschwitz, je me suis vu trouble, ne sachant comment envisager les choses. Mais je voulais aller plus loin et savoir. Ce projet fut riche en émotions et cette journée en Pologne sera a jamais inscrite en moi.

Lors de notre arrivée sur le site d’Auschwitz, nous nous sommes engagés directement sur le chemin qui fut le vôtre. Les rails. C’est par le train, de nombreux trains, que vous et tant d’autres, ont été débarqués au camp, à cent dans ces wagons sombres de transport d’animaux où le voyage lui-même était meurtrier. Nous avons marché ensemble vers le camp, et pas à pas vers l’entrée, cette entrée que nous connaissions. Mais les photos sont loin de transmettre les vibrations d’un lieu aussi bouleversant.

 

L’entrée, les rails et le camp.

Un camp, plat, dont on ne voit pas les frontières, un camp immense. Quelques baraques et les miradors, les barbelés et une armée de cheminées nues qui témoignent des anciens bâtiments. Nous avons pris le chemin des chambres d’extermination et à travers cette marche, nous touchions aux derniers instants de vie de familles entières, ignorant leur destin proche. Accompagnés par des photos et des visages, nous nous sommes rendus au cœur de la machine de destruction nazie.

L’entreprise de la mort et les étapes savamment orchestrées de l’élimination d’un peuple.

Voir. Toucher. Sentir. Autant de mots qui prennent toute leur dimension dans un lieu aussi fort que celui d’Auschwitz. Vivre une telle expérience est bouleversant, touchant au plus profond, et laisse émerger des sentiments inconnus.

 

Pour moi cette journée fut riche en émotions diverses, partagées entre dégoût, colère, honte et appréhension.

Je pensais trouver une atmosphère chargée d’électricité, une place fantôme, déserte, où les vestiges de la catastrophe nous auraient envahis. Mais mes premières impressions ont été troublantes, comme si cette atmosphère s’était évanouie depuis longtemps. Je me suis donc projeté dans celle-ci, grâce aux photos et aux témoignages, et le coup de fouet d’émotions que je m’étais imaginé, m’envahit seulement au fur et à mesure de notre parcours. Plus les instants passaient, plus je ressentais la force de ce lieu, de ces murs et de ces sols.

 

C’est à mon retour que j’ai pris conscience de l’impact de cette journée sur moi, quand, figé dans mes pensées, je restais muet et triste. Triste de savoir, d’avoir vu ce que l’homme, dans ses moments de grande folie, peut faire par haine envers les siens. Triste de ce constat, triste pour tous ces gens, triste et amer.

Ce que nous avons vu ce jour-là, on se doit de le dire, de témoigner pour la mémoire de ceux qui sont morts pour ce qu’ils étaient, pour leurs différences. On se doit de transmettre l’Histoire comme vous le faites avec d’autres qui ont survécu à l’horreur nazie. On se doit de trouver les mots justes et de définir le terme de « Shoah ». On se doit d’être pédagogue, d’être témoin, d’être révolté. On se doit de ne pas laisser les choses se reproduire et on se doit d’éduquer. On se doit de se souvenir et on se doit d’être conscient. On se doit de réagir, de ne pas rester passif et tout cela on vous le doit ; à vous, à eux, à tous ceux qui ont souffert et souffrent encore de la folie des hommes. Tout cela nous le devons car nous savons.

 

Je vous écris cette lettre pour vous dire que nous n’oublierons pas, car la mémoire et tout ce que j’ai à transmettre; un témoignage face aux fous des temps passés, présent et à venir; un témoignage pour un futur aux hommes meilleurs.

Je vous prie de croire à mon sincère respect.

Xavier Dufau. »

 

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Auschwitz (Graph. JEA / DR).

 

NOTES :

(1) Paul Schaffer, Le soleil voilé. Auschwitz 1942-1945, Préface de Simone Veil, Société des Ecrivains, 2002, 231 p.
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(2) Paul Schaffer est Président du Comité français pour Yad Vashem.