Maxime Steinberg, historien de la persécution des juifs de Belgique

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Dossier n°

Maxime Steinberg, historien de la persécution des juifs de Belgique

Reconnu « Mensch » de l’année en Belgique
cet historien est aussi celui qui démonta pièce par pièce 

la « captation de mémoire »

de « Survivre avec les loups »

Maxime Steinberg (Arch. privées. DR).

Le Centre Communautaire Laïc Juif de Belgique vient d’attribuer à Maxime Steinberg le titre de « Mensch » de l’année 2009 pour ces motifs :

– « Ancien enfant caché (1), enseignant (2) et historien de la déportation des Juifs en Belgique (3), liant la passion de l’archive à la volonté de donner un visage aux victimes et d’enfin faire justice (4), Maxime STEINBERG est depuis trois décennies l’auteur indispensable à toute compréhension de la « Solution finale » dans notre pays. »

Ce beau titre humaniste honore celui qui, non par les méthodes mais par l’ampleur de son travail de mémoire sur la Shoah, est reconnu en Belgique au même titre que Serge Klarsfeld en France.

Contacté pour qu’une page de ce blog lui soit consacrée, Maxime Steinberg a souhaité une description du processus par lequel fut prouvé, voici une année, que « Survivre avec les loups » n’était hélas qu’une fausse (totalement fausse) autobiographie d’une soi-disant victime de la Shoah. Car Maxime Steinberg fut à la base de la mise à jour de cette… comment écrire ? sinistre supercherie.

 

En 1999, Robert Laffont publie « Survivre avec les loups » sous la signature de Misha Defonseca. Pocket l’éditera ensuite en format Poche. En voici le 4e de couverture :

– « Dans cet ouvrage autobiographique, l’auteur raconte son enfance pendant la Seconde Guerre Mondiale. Petite fille juive, elle est recueillie par une famille belge après que ses parents aient été arrêtés par la Gestapo. Mais ceux qui la cachent étant sur le point de la livrer aux nazis, la petite Misha décide de fuir. Recueillie par des loups, dans une Europe à feu et à sang, Misha découvre la violence des hommes et l’humanité des bêtes. Au terme de son périple, elle retrouve le monde de ses semblables. Parvenir à y vivre sera une nouvelle épreuve. »

A en croire cette présentation, il s’agit donc d’une autobiographie, de petite juive, aux parents déportés, avec une famille la trahissant et fuyant la guerre en se réfugiant auprès des loups.

De la littérature, cette histoire passe au cinéma dans une réalisation de Vera Belmont.

 


Dans Le Monde, Jean-Luc Douin réserve au film une critique on ne peut plus favorable :

– « L’histoire est authentique. Elle a été racontée par Misha Defonseca, dans un livre traduit en dix-sept langues. Juive, d’origine belge, la petite Misha, 8 ans, est hébergée (…) dans une famille de Bruxelles après la disparition de ses parents dans une rafle. Elle assiste à l’arrestation du couple de fermiers chez lesquels elle se sent en sécurité et s’enfuit à travers la campagne. Elle erre ainsi à pied durant trois ans, traversant l’Allemagne, puis la Pologne, pour être recueillie en Ukraine en 1945. Elle se réfugie dans les bois, les forêts, vole de temps à autre un peu de nourriture et des vêtements dans des maisons isolées, se nourrit de vers de terre et de chairs sanguinolentes en compagnie d’une meute de loups. Endure le froid, la neige, la faim, la menace des soldats allemands qui traquent des mômes échappés du ghetto de Varsovie…Sur ce défi-là – comment raconter l’holocauste aux enfants -, cette épopée (par instants nimbée d’expressionnisme) trouve ses accents les plus poignants. »
(15 janvier 2008).

Donc une biographie, authentique, une gamine juive de 8 ans ayant ses parents raflés à Bruxelles. Puis traversant toute l’Europe et restant en vie grâce à des loups. Le tout permettant de raconter concrètement la Shoah à travers une histoire personnelle et bouleversante.

Mais la sortie en salles du film va entraîner des réactions en chaîne. D’abord sous la signature d’un médecin spécialiste des loups, Serge Aroles qui sur son site internet, estime plus qu’impossibles les scènes décrites entre l’enfant en errance et les loups.
Ensuite de Belgique, pays où se serait réfugiée la famille juive de Misha avant l’occupation.

Soucieuse de rencontrer les mises en cause de cette « autobiographie », la représentante en Europe de Misha Defonseca consulte Maxime Steinberg et reçoit cette réponse (5) :

– « Vous me demandez de prendre position sur une question d’authenticité. Je vous répondrai, en m’en tenant aux faits actuellement connus et documentés. 
Sur cette base, je constate que Monique Dewael, alias Misha Defonseca, n’était pas la fillette juive qu’elle a prétendu avoir été pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle ne figure pas au registre des Juifs établi en décembre 1940 à Schaerbeek. Ni elle-même, ni ses parents n’ont fait l’objet de persécutions antisémites en Belgique occupée.
De ce point de vue, le « témoignage » de Misha Defonseca pose une question de déontologie et d’éthique au-delà de toute polémique. Le livre Survivre avec les loups est une captation de mémoire au sens où l’auteure témoigne d’une histoire qui n’est pas la sienne.
C’est, au sens propre du terme, un faux témoin qui de surcroît donne un faux témoignage car les déportations de Juifs de Belgique débutent le 4 août 1942 et seulement à destination d’Auschwitz en Haute-Silésie, et non pas en Ukraine, ce qu’on sait en Belgique dès 1943. S’agissant d’enfants juifs, il faut noter qu’un déporté racial sur six est un enfant de moins de 15 ans. La plus jeune enfant juive déportée, Suzanne Kaminski, est un bébé de 40 jours.
Survivre avec les loups fait débuter ces déportations près d’un an avant qu’elles ne commencent pour décrire la traversée de l’Europe nazie qu’aurait entreprise, seule, une petite fille juive de 4 ans. Ce récit littéraire ne tient pas la route de l’histoire.
Pour le reste, je ne suis pas un spécialiste des légendes sur le commerce des loups avec des enfants, mais les arguments avancés par Serge Aroles me confirment le caractère entièrement fallacieux d’une entreprise de manipulation littéraire exploitant tous les fantasmes de la mémoire et de la crédulité. »
(Lettre du 20 février).

 

Via la presse, réaction de Mme Defonseca :

– « Si les spécialistes qui m’accusent, savent si bien tout, alors qu’ils me disent aussi ce que sont devenus mes parents, car ils ont bel et bien été arrêtés et je ne les ai jamais retrouvés ».
(Le Soir, 22 février).

 

Il ne faut pas un jour pour lire la réponse de Marc Metdepenningen, journaliste au Soir :

– « Misha Defonseca, de son nom de naissance (à Etterbeek le 2 septembre 1937) Monique Dewael, avait quatre ans et 21 jours lorsque ses parents, Robert Dewael et Joséphine Donvil furent arrêtés, le 23 septembre 1941 à leur domicile de Schaerbeek, 58 rue Floris.
À cette époque, Robert Dewael était rédacteur à la commune de Schaerbeek…
Il fut déporté à la forteresse de Sonnenburg, en Pologne, à 15 kilomètres de la frontière allemande, où il fut fusillé, selon le certificat de décès établi à la commune de Schaerbeek, le 3 ou le 4 mai 1944 (…). La mère de Monique Dewael est décédée dans une période, selon son certificat de décès, « comprise entre le 1er février 1945 et le 31 décembre 1945 ». Il est probable que son corps n’ait pu être identifié parmi les 819 prisonniers exécutés par les nazis à Sonnenburg le 31 janvier 1945 alors que les Russes s’apprêtaient à prendre la forteresse.
Privée de ses parents, Monique Dewael fut alors, selon les documents administratifs, confiée à la tutelle de son oncle Ernest qui sollicita, dès 1947, pour sa nièce alors âgée de 10 ans, le bénéfice d’une pension d’orpheline, perçue jusqu’à l’âge de 18 ans…
Les registres scolaires de l’école schaerbeekoise de la rue Gallait confirment également qu’au cours de l’année scolaire 1943-1944, Monique Dewael était scolarisée aux côtés d’une Marguerite Levy, qui n’était autre que la sœur de son futur mari.
Ces précisions semblent démontrer que :
– Monique Dewael n’était pas juive ;
– les parents de Monique Dewael n’ont pas été arrêtés en tant que « juifs » mais bien comme résistants (6) ;
– âgée de 4 ans au moment de leur arrestation, elle fut confiée à la tutelle de son oncle Ernest. Et non à celle des loups de son récit. »
(Le Soir, 23 février).

 

La parole est à la défense, Marc Uyttendaele, avocat, publie un communiqué :

–  » Ceux qui aujourd’hui se prévalent de l’une ou l’autre invraisemblance dans le récit de Madame DEFONSECA pour la discréditer sont soit animés d’un sentiment bas de vengeance, soit essayent de tirer profit d’une pseudo croisade pour s’offrir une publicité indue, soit encore font injure à sa souffrance. En effet, affirmer que le témoignage de Madame DEFONSECA ferait le jeu du négationnisme revient à nier l’évidence de sa souffrance et la réalité intangible du dossier, à savoir qu’une petite fille, élevée dans la culture juive, a perdu à jamais ses parents au début de la guerre et en a subi un traumatisme irrémédiable. »
(Le Soir, 28 février).

 

Mais le même jour à 18h, la faussaire elle-même, abandonne, Le Soir :

– « Misha Defonseca, l’auteure contestée du livre « Survivre avec les loups », admet, dans une communication au « Soir » que l’histoire de son épopée à travers les forêts d’Europe qu’elle aurait parcourues en 1941 avec une meute de loups n’est qu’une œuvre de fiction, pas un récit autobiographique comme elle le prétendait depuis dix ans. »
(28 février, 18h).

Monique Dewael n’est pas juive, n’est pas née de parents juifs, elle n’avait pas 4 ans mais 8 quand elle resta scolarisée régulèrement à Bruxelles après l’arrestation de ses parents. Leur histoire est totalement étrangère à la Shoah. La fillette n’a jamais connu d’odyssée pédestre à travers une Europe dévastée par la guerre. Quant aux loups, ce ne sont que des masques derrière lesquels elle a dissimulé une faussaire.

Se basant sur un argumentaire bien plus complet et plus fouillé que la lettre rendue publique ici, Maxime Steinberg se plaça sur les plans de l’éthique et de la déontologie. C’est tout lui, résumé en deux mots.
Convaincus par cet argumentaire et par les mises en cause de Serge Aroles, le Centre Communautaire Laïc Juif de Belgique, le chroniqueur Paul Hermant, le journaliste du Soir Marc Metdepenningen, des journaux parlés et télévisés de la Radio Télévision Belge d’expression Française, le blog « Judenlager des Mazures » n’eurent ensuite de cesse que cette lamentable supercherie prenne fin.

Avant dernier opus de Maxime Steinberg, La Persécution des Juifs en Belgique (1940-1945), Ed. Complexe, 2004, 317 p. La somme des travaux de cet historien qui rappelle néanmoins dans son avant-propos : « En histoire, on n’écrit jamais le dernier mot ». 
Ce 24 mars vient de sortir en librairie un ouvrage essentiel dont il est le co-auteur :
« Mecheln-Auschwitz. 1942-1944 ».
Présentation :
– « C’est une série trilingue (néerlandais, français, anglais) en quatre volumes portant sur la persécution et la déportation des Juifs et des Tsiganes du SS-Sammellager, situé dans la Caserne Dossin à Malines, vers Auschwitz. 
De 1942 à 1944, la caserne Dossin a servi de camp de rassemblement des Juifs et des Tsiganes de Belgique et du Nord de la France en vue d’une déportation sans retour. » 

 

NOTES :

(1) Les parents de Maxime Steinberg ont été déportés par le Convoi XI depuis Malines. Seul son père est revenu (Auschwitz, mine de Jawisowitz, Gross Rosen, Buchenwald, Theresienstadt).
(2) Docteur en Histoire, il est professeur à l’Institut d’Etudes du Judaïsme (Université Libre de Bruxelles).
(3) Lire notamment L’Etoile et le fusil, en 3 Tomes, Ed. Vie Ouvrière (actuellement Ed. Vista), 1983-1987.
(4) Expert pour les parties civiles au procès de Kiel (novembre 1980-juillet 1981). Etait jugé un lieutenant SS, Kurt Asche, poursuivi pour complicité dans la mort de milliers de juifs déportés de Belgique.
(5) Lettre publiée avec l’accord de Maxime Steinberg.
(6) Marc Metdepenningen découvrira que le père, arrêté comme résistant, a trahi ses compagnons et n’a été abattu qu’une fois les Allemands l’estimant devenu inutile. Après guerre, les rescapés de son réseau de résistance ont refusé que son nom figure sur le monument aux morts de la Commune.