Policiers exemplaires , Justes parmi les Nations
Deux policiers reconnus comme Justes parmi les Nations étaient à l’honneur le 22 juillet à Strasbourg, parmi une longue liste d’hommes et de femmes qui ont sauvé des juifs pendant la guerre. Deux noms cités par Manuel Valls qui ont réveillé les mémoires.
Alfred Thimmesch, tout à droite (avec les guêtres), devant le commissariat de la rue de la Nuée-Bleue à Strasbourg. Document remis L’un de ses fils, Michel Thimmesch, pose soixante-quinze ans plus tard, rue de la Nuée-Bleue à Strasbourg. À quelques pas de l’ancien commissariat. Photo DNA — Milan Szypura
Le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls a profité de son passage à Strasbourg pour rappeler que sous le régime de Vichy, des policiers sont entrés en résistance et ont sauvé des Juifs. Photo DNA — Cédric joubert
Alfred Thimmesch en 1943 à Voiron, avant son arrestation, en compagnie de ses trois fils. Document remis
« Dans les rangs de notre police, il y eut aussi de nombreux héros et des Justes. Je tiens à rappeler les noms de deux fonctionnaires de police originaires d’Alsace et Justes parmi les Nations : Alfred Thimmesch, mort en déportation à Mauthausen, et Urbain Haag ». À sa manière, le ministre de l’Intérieur a tenu à rappeler que les faits historiques ne sont ni blancs ni noirs. Le rôle sombre d’une partie de la police française qui exécuta les ordres du régime de Vichy en arrêtant des juifs ne doit pas faire oublier ceux qui ont tout entrepris, au péril de leur propre vie, pour les sauver.
Les deux policiers strasbourgeois étaient de ceux-là.
Plusieurs années de recherches
C’est en 2003 que débutèrent les recherches de Michel Thimmesch sur son père Alfred. Commissaire de police strasbourgeois, celui-ci refusa de servir les Allemands et obtint sa mutation à Périgueux, puis à Voiron où il fut arrêté. « J’ai attendu d’être à la retraite, confie son fils, car il m’a fallu consulter des archives à Grenoble et à Voiron, ainsi qu’à Bad Arolsen, en Hesse. J’ignore si je parviendrai un jour à retrouver les PV des interrogatoires par la Gestapo ». Ce travail de bénédictin aboutit en tout cas à la remise de la médaille des Justes à titre posthume à son père, en février 2010 à Paris.
« Dans le bureau voisin de mon père, un collègue qui appartenait à la milice »
Thérèse Kirstin et Danielle Bijaoui, deux adolescentes sauvées pendant la guerre avec leur frère Raphaël Borenszstajn par Alfred Thimmesch, ont participé à la cérémonie organisée par le comité français de Yad Vashem. « Pendant la guerre, mon père a délivré de fausses pièces d’identité et de faux certificats de résidence à des juifs. Parmi eux, un couple et ses trois enfants originaires de Pologne. Ils ont pris contact avec lui, car ils ne possédaient que des papiers portant la mention « Juif ». Dans le bureau voisin du commissaire strasbourgeois travaillait un collègue qui s’est révélé appartenir à la milice. C’est lui qui, plus tard, a dénoncé mon père ». Michel a pu en avoir la preuve.
Alfred Thimmesch faisait partie du réseau de résistants (NAP, noyautage des administrations publiques). Il a également apporté son aide à des maquisards et à des jeunes fuyant le STO, service obligatoire du travail en Allemagne. Arrêté le 15 février 1944 à 23 h à son domicile 14 place du Maréchal-Pétain à Voiron, Alfred Thimmesch fut emprisonné au fort de Montluc à Lyon, de sinistre réputation, puis déporté à Mauthausen, où il mourut gazé. Mais sa famille ne l’a appris que bien plus tard…
« Après l’Armistice, ma mère m’a envoyé régulièrement à la gare de Voiron, où arrivaient les déportés toujours en vie. Je me souviens encore de la micheline qui les amenait (*). Ce sont finalement des camarades déportés de mon père qui nous ont appris la vérité ». Comble de cynisme, les nazis avaient trouvé le moyen de faire parvenir à la famille une carte post-mortem dans laquelle Alfred Thimmesch disait à ses proches : « Je suis en bonne santé. Écrivez-moi pour me rassurer ».
Période très difficile après la guerre
La période d’après-guerre a été particulièrement difficile pour la veuve d’Alfred Thimmesch, qui s’est retrouvée seule et sans argent avec trois garçons à charge âgés de 7, 4 et 2 ans. Le traitement (salaire de fonctionnaire) de son mari avait été supprimé en février 1944 par l’administration française. Après la guerre, la situation mit du temps à être régularisée. « Au début, nous avons logé chez ma grand-mère maternelle, dans la Grand-Rue à Strasbourg, car nous ne pouvions avoir accès à notre ancien appartement qui avait été attribué à d’autres personnes ».
Une rue à son nom à Strasbourg
Sitôt la guerre finie, la famille juive reconnaissante avait tenté de retrouver son sauveteur en s’adressant à la mairie, Mais le contact avec les Thimmesch, revenus à Strasbourg, n’a pu être établi. Thérèse Kirstin et Danielle Bijaoui ont promis de venir assister à l’inauguration de la rue Alfred Thimmesch, près de la Clinique Sainte-Anne à Strasbourg. La date n’est pas encore fixée.
Urbain Haag a sauvé au moins six personnes
L’autre policier cité par Manuel Valls, Urbain Haag, brigadier-chef à Périgueux, eut plus de chance. Il a échappé aux griffes de la Gestapo. Suite à l’occupation de l’Alsace par les nazis, il fut licencié de ses fonctions — il avait débuté sa carrière comme gardien de la paix avant d’être nommé brigadier-chef, puis expulsé à Périgueux en novembre 1940, où il sauva de la Déportation Henri Schwab, sa femme et ses quatre enfants. On n’en sait pas plus sur le détail des actions d’Urbain Haag, décédé en 1962, qui lui ont valu la médaille des Justes.
(*) autorail de l’époque
Laurence Rey
soure: http://www.dna.fr/edition-de-strasbourg/2012/07/29/policiers-exemplaires du 29072012
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