Une cérémonie de remise de médailles des Justes aurait dû se dérouler à la mairie de Vendôme. Mais, finalement, elle aura lieu, après de nombreuses discussions, à la sous-préfecture. Explications.
Par François-Guillaume Lorrain

En 2015, Arlette Testyler, une des deux dernières « raflées » encore vivantes du Vél’ d’hiv. © Pierre Le Masson MAXPPP PHOTOPQR VOIX DU NORD
« Je suis déçue, malheureuse, hors de moi. Je ne suis pas née à Paris en 1933, je suis née à Vendôme en 1942, quand les Philippeau m’ont cachée chez eux, au 71 rue de la Mare, avec ma sœur… » Le 7 avril, Arlette Testyler-Reimann, présidente de l’Union des déportés d’Auschwitz, apprend que la cérémonie de remise de médailles des Justes parmi les nations en hommage à Jean et Jeanne Philippeau, savetiers à Vendôme, n’aura pas lieu dans cette ville. n mettant les formes – « c’est avec un profond regret » –, le directeur de cabinet de la ville, Jean-Philippe Boutaric, annonçait à Paul Sebaoun, le délégué régional du Comité français pour Yad Vashem (CFYV), organisme coorganisateur des cérémonies pour les Justes, « la décision prise collégialement par les élus de la ville de ne pas accueillir la cérémonie de remise de la médaille des Justes ». Une première en France.
Première étape : le report
Le 18 mars, Paul Sebaoun avait été reçu à la mairie de Vendôme par le maire UDI, Laurent Brillard, et son directeur de cabinet, Jean-Philippe Boutaric : « Il y avait eu un bon accueil, se souvient Paul Sebaoun. Nous étions tombés d’accord sur une date à confirmer, le 28 mai ; le maire n’avait pas d’objection à cette date-là. Nous avions évoqué deux salles municipales possibles, l’une d’une capacité d’une centaine de personnes, l’autre de 300. » Le maire promet alors de revenir vers lui car il doit en référer à sa majorité. Le 23 mars, le délégué du CFYV reçoit un courriel de Jean-Philippe Boutaric qui lui apprend que le maire en a donc conféré avec les élus de son camp, une alliance LR-UDI-DVD, et qu’ils ont exprimé le souhait d’un report de la cérémonie après les élections municipales, soit après mars 2026. Deux raisons sont alors invoquées : « La proximité des élections locales, qui risque de limiter la pleine mobilisation de la municipalité et de la population locale autour de cet événement majeur… Le contexte géopolitique actuel, marqué par le conflit opposant l’État d’Israël et le Hamas, qui suscite des sensibilités particulières au sein de nos différentes communautés. »
Deuxième étape : la discussion
Après avoir pris l’avis de Patrick Klugman, le président du Comité français pour Yad Vashem, et de son vice-président, François Guggenheim, Paul Sebaoun adresse une réponse le 30 mars afin d’inciter la mairie de Vendôme à revenir sur sa décision. Son premier argument : « Pour Arlette Testyler-Reimann, âgée de 92 ans, le temps est compté et son témoignage, très valorisant pour Vendôme, précieux… ». « Cela aurait dû être un honneur pour Vendôme, confirme l’intéressée. Je voulais organiser une grande fête, remercier aussi cette ville. »
Deuxième argument d’évidence avancé par Paul Sebaoun. « Nous sommes loin des élections locales, qui se tiendront dans un an. Par ailleurs, une cérémonie qui met à l’honneur le Vendômois dans sa diversité ne peut être que fédératrice. » Face au raisonnement de la mairie qui souligne l’existence de différentes communautés, allusion sans doute à la communauté turque de la ville ou à des « Fuck Israël » tagués dans un quartier, le CFYV parle au contraire d’une occasion donnée de rassembler des juifs et des non-juifs, comme c’est le cas chaque année en France lors de ces cérémonies de remise de médailles. Dernier argument : « Dans un contexte national et international marqué par la résurgence inquiétante d’un antisémitisme totalement désinhibé – l’agression récente du rabbin d’Orléans nous le rappelle – le courage dont ont fait preuve les Justes, dans des circonstances bien plus périlleuses, et les valeurs universelles dont ils sont porteurs sont aussi une façon d’affirmer, en étant présents en première ligne, notre attachement aux principes fondateurs de notre République et aux valeurs universelles. »
Troisième étape : la fin de non-recevoir
Le 7 avril, il ne s’agit plus pour la mairie de surseoir, mais de délivrer une fin de non-recevoir. Contacté par Le Point le 8 avril, le directeur de cabinet met en avant les questions de sécurité. Le maire, lui, souligne d’abord les risques d’amalgame entre le conflit actuel entre le Hamas et Israël et la cérémonie de remise de médailles. Allusion à la présence d’un drapeau israélien qui voisine avec le drapeau français dans ces cérémonies, une tradition puisque la médaille des Justes est la plus haute récompense civile de l’État d’Israël. De plus, lors de chaque cérémonie, l’hymne israélien est joué, ainsi que la Marseillaise.
Quand nous avons évoqué auprès de lui la vingtaine de cérémonies qui ont lieu chaque année en France, dans des villes aux communautés bien plus diverses qu’à Vendôme, comme récemment à Lyon ou à Lille, pour célébrer ce que Jacques Chirac, dans son discours du Vél’ d’Hiv’, à propos des Justes, avait qualifié de « tradition de la France, d’une certaine idée de la France, du génie de la France », ce qu’il avait défini aussi comme « les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance, qui fondent l’identité française et nous obligent pour l’avenir », Laurent Brillard nous a répondu qu’il n’avait évidemment rien contre ces valeurs. Puis il en est revenu à un problème de dates : « Nous n’avions rien promis, c’était trop court avant l’été, puis, durant l’été, il n’y a personne. Après l’été, en septembre, commence la période de réserve pour les élections municipales, ce n’est pas nous qui avons défini cette période de réserve. »
Quatrième étape : l’intervention de l’État
Dans un premier temps, Patrick Klugman, le président du CFYV, a réagi : « Les Justes sont honorés partout où ils ont œuvré et ils sont reconnus jusqu’au Panthéon. Pour le respect que nous devons à l’histoire et à la mémoire, j’espère que l’injuste précédent né à Vendôme ne sera plus jamais répété ailleurs. »
Arlette Testyler-Reimann, présidente de l’Union des déportés de France, ne s’est, elle, pas avouée vaincue. « On ne me fera pas reculer. Je ne suis pas du genre à faire des vagues, mais je ne baisserai pas la tête, je ne me coucherai pas. Cela fait quinze ans que je témoigne, je vais dans toute la France, qui est magnifique, mais je vois bien qu’en ce moment la frilosité est en train de monter, qu’on a peur d’honorer des Français qui ont aidé des juifs parce qu’ils étaient juifs. Pour la première fois en quinze ans, deux enseignants de la banlieue parisienne qui devaient m’accueillir m’ont avertie qu’ils étaient lâchés par leur hiérarchie. » Elle s’est donc adressée à qui de droit auprès du cabinet de François Bayrou, qui a incité la sous-préfecture du Loir-et-Cher, toujours à Vendôme, à prendre le relais de la ville.
À cette occasion, l’État a réaffirmé l’une des valeurs universelles que nous enseignent les Justes, le courage, ainsi que la nécessité en ces temps de regain antisémite de réaffirmer l’obligation morale due à ces Justes. La cérémonie devrait donc avoir lieu au mois de juin dans les salons de la sous-préfecture. La ville prendrait désormais en charge un vin d’honneur à l’issue de la cérémonie.
« La France que j’aime »
En ce 11 avril, Arlette Testyler-Reimann est soulagée. Mais elle a bien conscience qu’il faut désormais se battre pour organiser des cérémonies pour des Justes entrés collectivement au Panthéon en 2007. Que l’État doit rappeler aux éventuelles communes qui voudraient esquiver ces engagements de la nation qu’il ne faut pas céder aux peurs et aux pressions communautaristes. Telle est la leçon de Vendôme. « Les Philippeau, résume Arlette Testyler-Reimann, c’est une France qui n’avait rien, toute simple, mais qui nous a sauvées. Aujourd’hui, j’ai six arrière-petits-enfants, ils leur doivent la vie. Je voulais les remercier là où ils ont agi, à Vendôme. Les Justes, c’est la France que j’aime, que mon père aimait quand il a dit, après avoir reçu sa convocation au commissariat le 14 mai 1941, ce sont les dernières paroles que j’ai entendues de lui : “Mais qu’est-ce que je risque ? Je me suis battu pour la France de Voltaire, de Diderot, de Zola.” »
Tout est dans la dernière phrase : se battre pour la France de Voltaire, de Diderot et de Zola…