Qui sauve une vie…

Dossier n°

10271

Qui sauve une vie…

Jeudi 20 septembre dernier, à l’école Jeanne d’Arc à Chamonix, avait lieu une cérémonie officielle de remise d’une médaille des Justes parmi les Nations et l’inauguration d’une plaque commémorative, en l’honneur de deux chamoniards, des héros ordinaires, qui cachèrent et sauvèrent une petite fille juive au péril de leur vie pendant la seconde guerre mondiale.

Grégory Morand, directeur actuel de l’école avait longuement préparé cet événement avec Jean-Yves et Christine Slon, le fils et la belle-fille de cette petite fille-là, qui, grâce à ces deux belles personnes put avoir des descendants. et c’est avec une émotion réelle qu’il accueillait, en présence du Maire de Chamonix Eric Fournier, d’Annie Karo, , déléguée régionale pour le Comité Français de Yad Vashem, de nombreux élus, la famille et les amis venus assister à la cérémonie.

Mais qu’est ce qu’un Juste et qu’avaient fait ces deux habitants, Fernande et Camille Claret-Tournier de si extraordinaire pour mériter cette distinction, même à titre posthume? L’histoire remonte à 1943 et prend racine au cœur d’une famille, les SADKOWSKI, des juifs polonais arrivés en France comme immigrants a la fin des années 20. La débâcle les contraint à se réfugier dans la banlieue de Lyon, avec leur fille Berthe, née à Belfort en 1932. Ils rejoignirent alors un membre de la famille qui vit à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon. Une famille particulière, qui avait décidé de refuser la fatalité et de se battre, L’atelier de tailleur de Monsieur SADKOWSKI devint rapidement un lieu de rendez-vous clandestin et une cache d’armes pour des résistants communistes juifs – dans la mouvance de la MOI. Une cousine servait de courrier et transportait des armes. Un autre cousin, âgé de 17 ans, fut arrêté et déporté par le dernier convoi qui partit de Lyon. Sentant le danger se rapprocher, la famille décide alors de mettre leur fille Berthe a l’abri, tout d’abord dans un orphelinat du Secours Catholique puis en acceptant de l’envoyer à Chamonix dans une famille d’accueil, les CLARET-TOURNIER. Comme d’autres familles de Chamonix, les CLARET-TOURNIER s’étaient portés volontaires auprès de la déléguée du Secours Catholique local pour héberger gratuitement des enfants. Fernande et Camille CLARET-TOURNIER avaient eux-mêmes un fils, Daniel, âgé alors de quelques mois . Berthe trouva dans ce foyer accueil, affection et protection, et plus encore…
Dans une prise de parole très émouvante, Jean Yves Slon, le fils de Berthe, mit en lumière, juste avant la remise de la médaille à Daniel Claret-Tournier l’histoire singulière de sa mère dans le contexte de l’époque:  » Peu après l’arrivée de ma mère, Fernande CLARET-TOURNIER, comprenant que cette petite fille, excellente élève, venait d’un milieu éduqué, décida de l’inscrire, à ses frais, à l’école privée catholique Jeanne d’Arc de Chamonix, dont le niveau était supérieur à celui de la communale. Au bout de quelques semaines, ma mère confia à Mme CLARET-TOURNIER qu’elle n’était pas à l’aise dans cette école car elle se sentait différente des autres élèves tout en souhaitant leur ressembler. Ma mère expliqua donc qu’elle était juive et qu’elle voulait se convertir au catholicisme. Deux conditions étaient posées, que M. et Mme CLARET-TOURNIER soient ses parrain et marraine et que ses parents soient d’accord. Mes grands-parents ayant donné leur accord par courrier, la marraine organisa la cérémonie de baptême à l’église de Chamonix en tout petit comité (une amie d’école, le prêtre) malgré le danger, compte-tenu de la proximité de la Kommandantur. Après cette démarche, ma mère se sentit psychologiquement mieux intégrée, protégée, tout en préservant ses racines, puisqu’elle avait inventé une prière en yiddish pour la protection de ses parents qu’elle récitait mentalement le soir et pendant la messe.
Ma mère est restée cachée dans cette famille jusqu’à la fin de la guerre. Après la Libération, ma grand-mère est revenue la chercher pour la ramener à Villeurbanne. Ma mère est retournée à Chamonix en vacances en 1947, et depuis le lien n’a jamais été rompu avec ce couple qu’elle a continué à appeler parrain et marraine. Mon épouse, mes enfants et moi-même sommes toujours en relation avec eux et les appelons aussi parrain et marraine.
Camille et Fernande CLARET-TOURNIER, étaient chamoniards de souche. Camille était porteur en montagne de profession (entre-autre il a fait partie de l’équipe de porteurs lors du tournage du film de Frison-Roche) et tenait un refuge l’été avec son épouse Fernande. Une famille très discrète, très modeste, avec très peu de moyens financiers mais avec une intelligence, un cœur et une générosité immenses. Ils comptaient de nombreux guides parmi leurs ascendants. Pour eux la mission de sauvetage d’une personne en danger était un geste naturel accompli dans l’humilité et la discrétion, même au prix du risque encouru pour soi ou sa propre famille, ce dont ils étaient pleinement conscients dans le cas de ma mère.
A l’époque octogénaires, ils avaient été très affectés par la mort de ma mère. Ils avaient été touchés que nous entreprenions les démarches pour leur faire attribuer le titre de Justes parmi les Nations mais jamais ils n’ont voulu se revendiquer comme des héros, estimant que leur action pendant la guerre était somme toute bien normale et bien ordinaire. Camille était d’ailleurs également actif dans la lutte contre les Allemands. Sa mission consistait à ravitailler (à dos d’homme) les maquisards postés en haute-montagne. »
Ce sont ces belles personnes, nobles et dignes, auxquelles Jean Yves et Christine Slon, son épouse, et toute leur famille ont voulu témoigner leur reconnaissance en constituant un dossier auprès du Yad Vashem, en charge de l’attribution par l’Etat d’Israël de la plus haute distinction décernée à des non juifs. C’est à leur fils, Daniel , qu’Annie Karo, au nom du Comité Français de Yad Vashem, remit la médaille et le diplôme d’honneur, conférant le titre de Juste parmi les Nations à ses parents décédés.
Cette cérémonie est le point d’orgue de toute une vie passée à témoigner de la noblesse et du courage de ces « justes de l’ombre », n’ayant pas même revendiqué la moindre reconnaissance pour ce qui leur semblait être de l’ordre de l’évidence. Cette évidence-là, reproduite à des centaines d’exemplaires, par des Français refusant la « barbarie à visage humain », c’est ce qui a permis à tant de juifs de ce pays d’être sauvés. Alors, oui : « Qui sauve une Vie sauve l’humanité entière ». Cette phrase tirée du Talmud brillera pour les siècles des siècles, espérons-le, pour rendre grâce à ces êtres de lumière qui ont fait barrage au chaos absolu, par leur courage et leur abnégation.

Sylviane Sarah Oling

 
source:http://www.paperblog.fr/5818652/qui-sauve-une-vie/ du 20/09/2012