Rafle du Vel’ d’Hiv’ : de l’amnésie au « consensus »
70 ans après l’arrestation de plus de 13.000 Juifs en région parisienne par la police française, Annette Wierviorka revient sur la relation complexe de la France avec ce passé. Interview.
Photo prise en 1942 de juifs internés dans le camp de Drancy après avoir transité par le stade du Vélodrome d’Hiver à Paris. Le 16 juillet 1942 et les jours suivants, près de 13.000 Juifs – dont 4.115 enfants – sont arrêtés à leur domicile à Paris et dans la région parisienne sous les ordres de René Bousquet, chef de la police de Vichy. (AFP)
Le 16 juillet 1942, 13.000 Juifs sont arrêtés à Paris avec la collaboration active de l’administration française. Il faudra toutefois attendre 1995 pour que le président Jacques Chirac reconnaisse la responsabilité de la France.
Ce lundi 16 juillet, devant l’ancien camp de Drancy, se déroulent les cérémonies marquant les 70 ans de la Rafle du Vel’ d’Hiv’. François Hollande participera à la commémoration de l’événement le 22 juillet. Et s’inscrira à son tour dans l’histoire complexe que la France entretient avec cette date et son passé vichyste. Eclairage avec l’historienne Annette Wieviorka.
Comment le nouveau président s’inscrira-t-il d’après vous dans l’histoire de la commémoration du Vel’ d’Hiv’ ? N’est-il pas, sur ce point, quelque peu handicapé par l’héritage de François Mitterrand ?
– Je ne le crois pas car je ne pense pas que la position de François Mitterrand sur ces questions soit un héritage : la différence de génération entre les deux hommes est importante. En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a prononcé au Vél d’Hiv’ un discours dans la lignée de celui de Chirac.
C’est pendant les années Jospin que la Mission Mattéoli – dépendant du Premier Ministre et installée par Alain Juppé – a travaillé et que des mesures très importantes ont été prises : la reprise des indemnisations, la rente attribuée aux orphelins de la déportation, la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
François Hollande appartient à une génération qui a vu le jour bien après la guerre et qui n’a pas été impliquée dans les questions posées par le conflit. Le positionnement du nouveau président sera, je pense, en adéquation avec le consensus actuel autour de la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs et de celle de l’action des « Justes parmi les nations ». Son discours devrait faire écho à ceux prononcés par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’ et le 18 janvier 2007 lors de l’hommage aux « Justes de France » au Panthéon.
Les présidents de l’après Seconde Guerre mondiale ne se sont jamais résolus à assimiler les actions de Vichy à celles de l’Etat français, jusqu’à ce que Jacques Chirac mette définitivement fin à cette ambiguïté. Quels éléments permettent de l’expliquer ?
– La question de la déportation et du génocide des Juifs n’anime pas le débat public jusqu’à la fin des années 70. C’est à ce moment-là seulement qu’est progressivement réévaluée la responsabilité de Vichy, sous l’impulsion des travaux de Serge Klarsfeld, Michael Marrus et Robert Paxton, ou du documentaire de Marcel Ophüls, « Le Chagrin et la Pitié ». La Shoah devient un sujet de polémique et fait l’objet de différentes revendications : une inscription dans les programmes scolaires et un geste du président de la République, auquel on demande de reconnaître la responsabilité de l’Etat.
C’est ce que réclame, en 1992, le « comité Vel’ d’Hiv’ 1992 » lors d’une cérémonie de commémoration très houleuse – qui n’est à l’époque pas organisée au niveau national mais par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). François Mitterrand, venu déposer une gerbe – il est le premier président de la République à assister à la commémoration – y a été hué, avant que Robert Badinter ne prenne à parti les manifestants, déclarant : « Vous m’avez fait honte ! « .
C’est tout de même François Mitterrand qui, en 1993, instaure par décret une « Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite ‘Gouvernement de l’Etat français' », et qui décide de l’érection d’un monument commémoratif quai de Grenelle.
Le discours du Vel’ d’Hiv’ de 1995 avait marqué une rupture très saluée à l’époque, il reste aujourd’hui un acte symbolique de la présidence Chirac. En 2007, Nicolas Sarkozy déclarait à son propos : « Il a dit ce qu’il fallait dire et je pense qu’il n’y a rien à retrancher et rien à rajouter au très bon discours qu’il avait fait à l’époque ». 17 ans après, il paraît difficile pour un président de « faire mieux »…
– Ce discours, inspiré par Serge Klarsfeld, était superbe, bien écrit, de très haute tenue et extrêmement juste d’un point de vue historique. Il est en effet difficile de faire mieux.
Toutefois, celui-ci avait été pondéré par le second discours de Jacques Chirac en hommage aux « Justes » prononcé en 2007. Car certains contestaient que la « France » avait, selon les termes de Jacques Chirac, « commis l’irréparable ». Quelques voix gaullistes comme celles de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet s’étaient élevées contre cette allocution du Vel’ d’Hiv’, considérant que la France n’était pas à Vichy. En 2007, Jacques Chirac distingue l’Etat et la Nation. Il place cette dernière du côté des « Justes ».
Où en est la mémoire de la Shoah aujourd’hui en France ?
– Les choses ont radicalement changé depuis trente ans : la Shoah était en marge de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, elle est aujourd’hui mise au centre. D’absente des programmes scolaires, elle est devenue présente à tous les niveaux de l’enseignement. La recherche a énormément progressé : en France, des dizaines d’historiens travaillent sur le sujet, ils sont des milliers à travers le monde. Des plaques commémoratives ont été posées dans pratiquement toutes les écoles dont des élèves ont été déportés et il ne se passe pas une semaine sans que ne paraisse un ouvrage ou que soit diffusée une émission sur le sujet. La mémoire de la Shoah occupe aujourd’hui une place très importante.
Interview d’Annette Wierviorka, historienne spécialiste de la Shoah et de l’histoire des Juifs au XXe siècle, et co-auteur avec Michel Laffite de « A l’intérieur du camp de Drancy » (Perrin, 2012) par Audrey Salor – Le Nouvel Observateur. Le 16 juillet 2012.
Audrey Salor
source: http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120715.OBS7323/rafle-du-vel-d-hiv-de-l-amnesie-au-consensus.html du 16/07/2012