Dossier n°

Rutka Laskier

Elle avait 14 ans. Avec sa famille, elle était enfermée dans le ghetto de Bedzin. Son « Journal » couvre les quatre premiers mois de 1943. Avant Auschwitz.

Présentation par les Ed. Laffont :

 

– « 1943. Dans le ghetto de Bedzin, en Pologne, une jeune fille de quatorze ans tient son Journal… Comme beaucoup d’adolescentes, elle y relate ses premiers émois, les petites histoires intimes et troublantes d’une jeune fille. Mais malgré son jeune âge, Rutka est très consciente de la situation générale. Avec une incroyable lucidité elle raconte aussi la vie dans une communauté dont les membres, amis et parents, disparaissent peu à peu. Elle parle, entre autres horreurs, de l’existence des chambres à gaz et pressent qu’au bout de la route l’attend la mort. En août 1943 les nazis liquident le ghetto de Bedzin. Rutka périt un mois plus tard à Auschwitz.
Avant d’être déportée, Rutka a eu le temps de glisser son cahier sous le plancher de sa maison. Dans une cachette qu’elle avait révélée à Stanislawa, son amie polonaise catholique. La jeune femme le retrouvera et le gardera dans un tiroir sans en parler à personne… Jusqu’à ce que, soixante-cinq ans plus tard, elle le fasse lire à son neveu après une discussion animée sur la Shoah. Le jeune homme comprend que ce journal appartient à l’Histoire et encourage la vieille dame à le donner pour publication au musée de Yad Vashem.
Ce journal est un récit poignant en même temps qu’un témoignage historique unique, enrichi par une passionnante préface de Marek Halter. Né à Varsovie, celui-ci a toujours été impressionné par la relation complexe que les Polonais ont entretenue avec les millions de juifs qui ont partagé leur histoire depuis plus de dix siècles. En une soixantaine de pages il raconte cette relation, faite d’amour et de haine. Une exceptionnelle réflexion sur ce « monde d’hier » et sur la mémoire judéo-polonaise qui habite son œuvre. »

 

Extraits. 5 février 1943 :

– « Rutka, tu as dû devenir complètement folle: tu en appelles à Dieu comme s’il existait ! La parcelle de foi que j’avais jadis s’est complètement brisée. Si Dieu existait, il ne permettrait pas que l’on jette les gens vivants dans des fours. Ou que l’on fasse exploser la tête des petits enfants avec des carabines. Ou qu’on les mette dans des sacs pour les gazer… On pourrait penser que ce sont des histoires de bonnes femmes quand on entend cela. Les gens qui ne l’on pas vu de leurs yeux ne le croiront pas. Et pourtant, ce ne sont pas des histoires, mais la vérité! Rien que, par exemple, ce vieillard qu’ils ont battu jusqu’à ce qu’il perde conscience juste parce qu’il avait mal traversé la rue… Ce qui est drôle, c’est que tout cela n’est rien tant qu’il n’est pas question d’Auschwitz… de la carte verte… de la fin… Quand arrivera-t-elle…? »

20 février 1943 :
– « J’ai le sentiment que j’écris pour la dernière fois. Il y a une rafle en ville. Je n’ai pas le droit de sortir et je deviens folle : emprisonnée dans ma propre maison ! Toute la ville suspend son souffle et attend. Cette attente est pire que tout et je souhaite que cela finisse vite ! Ce supplice est infernal. J’essaye de chasser ces pensées, mais le lendemain elles continuent de me harceler comme des mouches. »

 

Page du manuscrit en date du 19.I.1943

 

Le Nouvel Observateur :

– « Le cahier s’arrête un jour d’avril, quand la famille doit déménager dans le ghetto fermé de Kamionka, dernière étape avant la déportation. Rutka voulait que ces pages lui survivent: elle avait chargé une amie de le récupérer, sous la dernière marche de l’escalier. A l’automne, Stanislawa Sapinska trouva le journal à la place dite. Rutka, elle, était morte à Auschwitz, comme son petit frère, sa mère et sa grand-mère. Son père, seul survivant, partit s’installer en Israël. « (6 mars 2008)

 

Libération :

– Pr Robert Szuchta : « On a récemment retrouvé à l’Institut historique juif (ZIH) de Varsovie un récit… tragique de ses derniers moments.
C’est Zofia Minc, une codétenue arrivée à Auschwitz, le 16 décembre 1943, qui rédige ces lignes, en 1946, dans un orphelinat pour enfants juifs : « Dans notre block, je dormais à côté de mon amie, Rutka Laskier, de Bedzin. Elle était tellement belle, que même le Dr Mengele l’avait remarquée. Une épidémie de typhus et de choléra a alors éclaté. Rutka a attrapé le choléra. En quelques heures, elle est devenue méconnaissable. Elle n’était plus qu’une ombre pitoyable. Je l’ai moi-même transportée dans une brouette au crématoire. Elle me suppliait de l’amener jusqu’aux barbelés pour se jeter dessus et mourir électrocutée, mais un SS marchait derrière moi avec un fusil et il ne m’a pas laissé faire.» (10 mars 2000, Enquête)

 

 

Marek Halter dans sa postface « Les Juifs et la Pologne » :

– « Le texte est publié par Yad Vachem en 2007. Ce témoignage-là nous surprend soixante-cinq ans après la Shoah, tel un cri retenu ou bloqué dans la gorge de l’Histoire. Le père de Rutka, qui a survécu, ignorait l’existence du Journal. Il est mort en Israël en 1986.

Comment se fait-il que Stanislawa Sapinska ait rangé le cahier de son amie Rutka sans en parler à quiconque soixante-cinq ans durant ? N’a-t-elle pas compris qu’il s’agissait de la dernière lettre d’un condamné ? N’a-t-elle pas pensé que la famille, ou ce qu’il en restait, aurait souhaité y avoir accès ? A-t-elle cherché à savoir si quelque parent de Rutka avait survécu ? Apparemment non. 
Les rapports de Stanislawa et de Rutka disent à eux seuls la relation complexe qu’entretiennent, à de rares exceptions près, les Polonais avec les juifs polonais. Indifférence ? Haine ? Honte ? Donc censure. Pour le régime, les Polonais juifs sont juifs avant tout. C’est-à-dire en marge, extérieurs, comme en exode. Morts, en revanche, ils sont priés d’être polonais et d’incarner la souffrance nationale. »