Sauvetage de la mémoire des Justes
Deux Justes parmi les Nations : Abel et Suzanne Fournier (Arch. fam. Gisèle Fournier / Montage JEA / DR).
Origine du partenariat entre :
les ateliers de la création de Radio France
et
le Comité Français pour Yad Vashem.
Ce 22 octobre, Le Nouvel Observateur a publié des extraits de deux dossiers portant sur des Justes parmi les Nations. Signé par Jean-Pierre Guéno, ce travail historique a trouvé son origine dans un partenariat avec le Comité Français pour Yad Vashem qui en a plus particulièrement chargé Corinne Melloul.
Les motifs et bases ainsi que les buts et finalités de ce sauvetage de la mémoire des Justes, sont rassemblés dans cette synthèse :
– « Nous sommes à l’origine du premier corpus de témoignages de Justes. En effet, pour qu’un dossier visant à la reconnaissance de « Juste parmi les Nations » soit constitué, un minimum de deux témoignages de personnes sauvées est obligatoire.
C’est sur la foi de ces témoignages de juifs sauvés que la médaille des Justes parmi les Nations est attribuée. A ce jour, sauf exceptions, il n’existe pas dans les dossiers de témoignages écrits de Justes parmi les Nations.
Au titre de la mémoire mais aussi de l’historiographie, il est précieux de posséder ces témoignages. En effet, les sauvetages pour lesquels sont honorés ces Français ne se trouvent pas dans les archives écrites. Pour des raisons de clandestinité, de discrétion, de précaution, il n’était donc pas question de laisser de traces écrites. En effet, il faut rappeler que ces Justes parmi les Nations risquaient leur vie et celle de leurs proches.
Alors, comment connaître l’attitude de ces Français, comment écrire l’histoire de cette partie de l’opinion publique sous Vichy et enfin comment transmettre la mémoire de cette période à la future génération si on n’a aucun document ?
Les Justes parmi les Nations sont âgés et n’ont jamais, sauf quelques rares exceptions, témoigné.
Leur témoignage est précieux en tant que source historiographique mais aussi au titre de la sauvegarde de la mémoire.
Les témoignages des personnes sauvées mettent en lumière un aspect du sauvetage et portent un regard sur la persécution des juifs. Les témoignages de Justes parmi les Nations complètent la description de ces événements. Ils apportent des précisions sur les conditions de ces sauvetages (un passeur décrit la région, les réseaux d’entraide, une femme veuve de guerre peut préciser dans quelles circonstances elle a accueilli un enfant juif…).
Lorsque les personnes sauvées étaient des enfants, il est nécessaire de posséder le témoignage du Juste parmi les Nations car les enfants ne savaient pas, en général, quelles étaient les conditions de leur accueil, ni qui, parmi les adultes, fournissait les faux papiers ou comment le lien était maintenu dans certain cas avec un membre de sa famille. Voici quelques exemples qui montrent l’intérêt des témoignages des Justes parmi les Nations.
D’autre part, ces témoignages de Justes parmi les Nations permettent de connaître les motivations de ces Français qui ont sauvé des juifs. On apprend, en effet, à quel milieu ils appartenaient, quel était leur métier ou leur engagement (instituteur, paysan, résistant…) leurs aspirations (républicain, communiste, pacifiste, catholique, protestant…).
Tous ces éléments sont précieux si on veut comprendre pourquoi certains ont été collaborateurs et pourquoi d’autres ont choisi – même s’ils n’ont pas pris les armes dans la résistance – de désobéir à Vichy, risquant ainsi leur vie pour sauver d’autres vies. Ce deuxième aspect pourrait se résumer sous cette forme : « la banalité du bien en opposition à la banalité du mal ».
Si nous avons fort heureusement beaucoup commémoré, écrit, transmis toute l’horreur de la Shoah il semblerait inestimable de transmettre aussi cette mémoire comme la trace d’une France citoyenne, républicaine, humaniste.
La reconnaissance de Justes parmi les Nations (plus haute distinction civile de l’Etat d’Israël) a mis à jour ces histoires de Français. Ceux-ci, jusqu’à la reconnaissance, ont été très discrets, considérant la plupart du temps leurs actes comme « normaux ».
Grâce aux dossiers constitutifs de la reconnaissance, nous pouvons retracer et recueillir les témoignages nécessaires à la préservation de cette mémoire.
Devant l’urgence de recueillir les témoignages de Juste parmi les Nations, ceux-ci étant très âgés, et devant l’ampleur du travail car ils sont dispersés sur toute la France, il fallait agir vite. »
Maurice Arnoult, Juste parmi les Nations (Arch. Blog CFYV / Montage JEA / DR).
– « Les ateliers de Radio France et le Comité français pour Yad Vashem ont initié la première collecte de témoignages de Justes parmi les Nations. C’est au titre du devoir de mémoire et de son rôle de service public que les ateliers de Radio France ont mis des compétences et des moyens pour que ne disparaîsse pas cette mémoire.
Le travail a débuté en 2002. Anne-Marie Amoros, pour les ateliers Radio France, coordonnait le projet. Corinne Melloul, du Comité Français pour Yad Vashem était associée à ce travail. Toutes deux sont, par ailleurs, historiennes.
La première étape a permis d’élaborer un fichier informatique (recueil de données sur les Justes parmi les Nations). Cette base de travail est devenue un outil développé au sein du Comité comme source d’information, enrichie et mise à jour régulièrement. C’était le début de la constitution d’une base de données indispensable au Comité mais aussi à la préservation de la mémoire.
De ce premier travail, deux documents d’une centaine de pages chacun ont été édités. Ils sont constitués de fiches détaillées avec l’identité des Justes vivants, acceptant de témoigner, un résumé du sauvetage, des extraits de témoignages de personnes sauvées.
La deuxième étape a consisté à recueillir les témoignages.
Une équipe spécifique a recueilli les témoignages, partout en France. Il a été fait appel, sur la base du volontariat, aux radios locales de Radio France.
(Pour l’aspect matériel : utilisation des studios et des techniciens de Radio France Paris.) Participation de l’Atelier mémoire pour centraliser les demandes techniques ; la réception et l’envoi des fiches ainsi que les enregistrements.
Un questionnaire ainsi qu’une fiche sur le témoin accompagnaient chaque entretien.
Le questionnaire a permis de recueillir des données pour constituer un document d’archive, la fiche servait de support à l’interviewer afin qu’il puisse recueillir le témoignage le plus exhaustif possible. C’est pourquoi les entretiens commencent tous avec la présentation du Juste parmi les Nations, des éléments sur son environnement familial, ses appartenances religieuses, politiques…
Ces données sont, en effet, précieuses pour de futurs chercheurs. L’entretien laisse ensuite une place assez longue au témoignage et se conclut toujours sur les motivations du sauveteur ainsi que sur ses relations avec les sauvés.
Les entretiens durent en moyenne une heure, certains pouvant être plus courts lorsque le témoin est âgé et beaucoup plus long (jusqu’à deux heures) lorsque celui-ci le souhaitait.
Une soixantaine d’entretiens ont été réalisés dans toute la France. Ceux-ci se présentent sous la forme de bande, mini-disc CD, et DAT.
Ceux-ci ont fait l’objet d’une retranscription Verbatim réalisée par Corinne Melloul.
Ce corpus donne une grande diversité tant du point de vue géographique que du point de vue des sauvetages. Certains Justes parmi les Nations agissaient dans la zone dite « libre », d’autres en zone occupée avec une spécificité parisienne. Les Justes parmi les Nations sont paysans, secrétaires de mairie, veuves de guerre de 14-18, femmes de prisonnier de guerre de 39-45, instituteurs, passeurs, résistants, religieux catholiques, protestants, étudiants… Les sauvetages, eux aussi, sont d’une grande variété : sauvetage d’enfants, de famille entière, fabrication de faux papiers, hébergement temporaire ou durant toute la guerre, convoyages d’enfants en zone libre et placements, convoyages d’adultes, aide pour échapper au STO, aide pour sortir d’un camp d’internement…
La richesse de ce travail réalisée par Radio France initie la première base de données pour l’historiographie du sauvetage des juifs en France par des civils. Il faut rappeler que le nombre de juifs déportés en France est inférieur à celui des pays voisins et c’est en grande partie grâce à l’action de la population civile. Cependant nous n’avions pas de telles données jusqu’à ce jour.
L’ensemble de ces archives va être remis au Comité Français pour Yad Vashem afin de le doter d’un véritable outil mémoriel. Ce corpus pourra être utilisé pour des chercheurs mais aussi au titre de la mémoire de la reconnaissance de Justes parmi les Nations ainsi que dans le cadre de tout type de travaux qui exigeraient une source fiable de ces actes de sauvetages (support pédagogique, commémoration, édition …).
Ainsi, Radio France vient de doter le Comité d’un fonds d’archives sonores ayant l’ambition d’apporter une première pierre à l’édifice de la mémoire de cette France courageuse et modeste mais aussi de cette reconnaissance israélienne.
Ce premier fond d’archives réalisé avec les moyens de Radio France et gratuitement pour le Comité pourra être le premier pas vers une vraie prise en compte de l’urgence de préserver cette mémoire et servir à développer un travail analogue dans les autres Pays Européens.
Le gouvernement français, au travers de la loi Le Garrec Marcovich, a instauré une journée de mémoire aux Justes depuis 2002. Le Président de la République Jacques Chirac a rappelé le courage de ces français au Chambon-sur-Lignon (la seule commune française reconnue Juste parmi les Nations avec une néerlandaise, un épisode de la série y est consacré) en juillet 2004.
Il était urgent de doter l’avenir d’un fond mémoriel, c’est ce que les ateliers de Radio France ont jugé important de mettre en œuvre en partenariat avec le Comité Français pour Yad Vashem. »
Deux Françaises Justes parmi les Nations : Charlotte Olinger et Marguerite Farges (Arch. Blog CFYV / Montage JEA / DR).
– « Les archives seront remises dans leur intégralité au Comité Français pour Yad Vashem. »