L’Ecole Orgemont et les Justes d’Argenteuil

Accueil/Articles et documents/L’Ecole Orgemont et les Justes d’Argenteuil

Dossier n°

L’Ecole Orgemont et les Justes d’Argenteuil

None

L’école mixte Orgemont, place des Vosges à Argenteuil (Ph. BCFYV / DR).

Cécile et Arthur Magnier
Justes parmi les Nations pour avoir sauvé
Charlotte et Paulette Storch

Sur une page précédente vous avez pu découvrir les souvenirs toujours vivaces de Charlotte Barillet-Storch, enfant cachée. Concrètement, celle-ci les avait mis par écrit afin qu’ils constituent l’une des bases du dossier de reconnaissance comme Justes parmi les Nations de Cécile et d’Arthur Magnier.
Ce début février 2010, une cérémonie concrétisait cette reconnaissance par la remise de la Médaille et du Diplôme aux petites-filles de ces deux Justes.

A l’invitation du Maire d’Argenteuil, Philippe Doucet, de l’Inspecteur d’Académie Jean-Louis Brison, du Directeur de l’école d’Orgemont (1), Jean-Michel Polge (2), ainsi que des deux délégués du Comité Français pour Yad Vashem, Viviane Saül (2) et Paul Ejchenrand, cette cérémonie eut pour cadre l’école même, au centre de cette histoire lumineuse au milieu des horreurs de la Shoah.

None

 

A la tribune, de g. à dr., Philippe Doucet, Maire d’Argenteuil et Viviane Saül, déléguée du Comité Français pour Yad Vashem (Ph. BCFYV / DR).

Synthèse du dossier de Yad Vashem :

– « David Storch, né à Narol (Pologne) en 1901, arrive à Paris dans les années 1920. Il y rencontre Rivka Tepper avec laquelle il se marie en 1931 et de cette union naîtront trois enfants : Charlotte en 1933, Paulette en 1935 et André en 1939. La famille habite dans le 12e arrondissement.

En 1939, la guerre est déclarée. David reste à Paris et projette de s’engager comme volontaire dans l’armée mais il est réformé suite à un accident du travail. Le temps de l’exode, Rivka et ses enfants sont hébergés à Poiseux dans la Nièvre.

Le 14 mai 1941, le père est arrêté et interné à Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Motif de cet internement : « En surnombre pour l’économie nationale ». Il sera déporté à Auschwitz, sans retour, par le convoi n°5, le 27 juin 1942.

Le 16 juillet 1942, lors de la grande rafle du Vel d’Hiv, Rivka et ses enfants ne répondent pas à l’appel de leurs noms fait par les policiers venus les chercher. Par miracle, ils ne seront pas arrêtés et parviennent à se cacher pour la nuit chez une voisine.

Le 21 juillet 1942, les trois enfants sont conduits au Centre communautaire, rue Lamarck à Paris, dans le 18e arrondissement. Le 7 août, ils arrivent au Centre de la Croix-Rouge de la cité d’Orgemont à Argenteuil (Val d’Oise). Les deux fillettes resteront ensemble tandis que leur petit frère sera hébergé dans une autre famille.

Après bien des péripéties et changeant plusieurs fois de familles d’accueil, les fillettes parviennent chez leurs bienfaiteurs : Cécile et Arthur Magnier. Ceux-ci les protègeront, les dorloteront et les choieront comme leurs propres enfants.

Charlotte et Paulette resteront chez les Magnier unne année encore après la fin de la guerre. La séparation fut difficile. Elles ne les ont jamais oubliés et leur sont profondément reconnaissantes car si Cécile et arthur avaient été indifférents, avaient craint les risques envourus en les cachant ou n’avaient pas surmonté leur peur d’être dénoncés, elles n’auraient pas été sauvées d’une mort certaine.

 
Quant à Rivka, elle a survécu en se cachant et a finalement retrouvé ses trois enfants orphelins de leur père. »

None

A leur mariage, les deux futures Justes, Cécile et Arthur Magnier (Doc. BCFYV / DR).

Organisée par les deux délégués du Comité Français pour Yad Vashem, Viviane Saül et Paul Ejchenrand, la cérémonie du 4 février 2010 permit à un public fourni de suivre le discours d’ouverture par Philippe Doucet, Maire d’Argenteuil.
Celui de David de Rothschild, Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, était ensuite lu par Monsieur Paul Ejchenrand, délégué.
Viviane Saül, déléguée, retraça alors l’historique de Yad Vashem.
Puis à Jean Pierre Sarie, Inspecteur de l’Education Nationale, a succédé Jean-Michel Polge, Directeur de l’Ecole d’Orgemont.

Jean-Michel Polge :

–  » C’est un moment un peu exceptionnel que celui que nous vivons actuellement, en nous retrouvant réunis dans la Maison-Ecole de la République.
Nous célébrons le sauvetage d’enfants juifs, et pourtant la République ne sait pas ce qu’est un juif.
Nous célébrons un acte de désobéissance et pourtant l’école n’enseigne pas la désobéissance.
Nous célébrons deux personnes pour leur courage, alors qu’en ces lieux, les courages furent multiples et divers.

Pendant ces heures noires de l’histoire de notre pays, alors que la République avait dû céder la place à l’Etat français, il y avait deux écoles dans le quartier d’Orgemont.
L’école des filles, occupée par les troupes allemandes, n’accueillait plus d’élèves. La directrice s’est illustrée par son courage en résistant.
L’école des garçons, par un fonctionnement à mi-temps, accueillait alternativement filles et garçons. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que le directeur de cette école était pour le moins conformiste, et adhérait aux idées officielles de l’époque. Il a d’ailleurs eu quelques soucis à la Libération… Tout n’est cependant pas si simple, puisqu’il s’arrangeait pour soustraire ses élèves menacés aux contrôles les jours de perquisition.
Ce n’est sans doute pas un hasard si, sur le registre matricule de l’école des garçons, nous avons trouvé des mentions stigmatisantes alors que le registre de l’école des filles, pour cette période, a tout simplement disparu.
Le registre matricule, pour ceux qui ne le savent pas, c’est ce livre dans lequel sont consignés les arrivées et les départs de tous les élèves de l’école. On y trouve leurs noms et prénoms, leur date de naissance, les noms, adresses et professions de leurs parents, et parfois des mentions qui permettent de savoir d’où viennent et où vont ces élèves.
C’est un document officiel, et quand, comme dans notre école, son origine remonte à 1931, cela devient un document historique.
C’est donc tout naturellement qu’il y a maintenant dix ans, Christine POLGE et Nathalie QUERRIEN, enseignantes de CM2, s’étaient penchée sur l’histoire locale de ce quartier et de cette école.
Le point d’entrée: les espaces urbains de notre quartier. Place Chauvelot, place du Lt Moreels et Square du Cdt Doué. Trois points de passage que leurs élèves traversaient ou habitaient depuis des années sans même imaginer qu’il s’agissait de héros locaux d’une Résistance qui prenait tout à coup un visage.
L’atelier d’histoire d’Argenteuil proposait alors ses services pour rencontrer les enfants des écoles.
Dès la première rencontre, des pistes s’ouvraient, plus nombreuses que prévues, puisque Moreels et Chauvelot avaient eu des filles et que parmi les intervenantes de l’atelier, se trouvaient deux enfants cachées, Charlotte Barillet et Liliane Marton.
On ne savait pas à ce moment que dans le quartier d’Orgemont, des enfants persécutés avaient été cachés. La notion même d’enfant caché était une découverte pour nous et nos élèves. Les protagonistes de cette rencontre sont pour la plupart dans cette salle aujourd’hui.

 

Le travail était lancé. Charlotte et Liliane acceptaient de venir témoigner auprès des enfants, et la recherche des filles des trois fusillés d’Orgemont pouvait commencer.
Le directeur de l’école fut sollicité pour sortir les registres matricules, tous, ceux des filles et ceux des garçons, depuis 1931. Jacqueline Chauvelot et Nicole Moreels furent facilement identifiées, avec la mention « père fusillé », mais Charlotte comme sa soeur Paulette, qui pourtant étaient des enfants du quartier, restaient introuvables… et pour cause, puisque le registre des filles, de 42 à 44 avait tout simplement disparu. On peut bien entendu penser que c’est un hasard… mais pourquoi ne manque-t-il que celui-là ? Seule l’inscription, à la rentrée 1945, de leur petit frère André permettait de laisser une trace officielle de ce passage.
Sur le registre de l’école des garçons, le choc fut plus brutal. Tout avait été conservé : le livre, les noms, et les mentions qui s’y rapportaient : « enfant juif », « enfant de nationalité juive », « parents en camp de concentration »… toutes mentions qui n’ont rien à faire dans un registre officiel, et qui sont contraires à l’éthique de la République. Mais il est vrai qu’à cette époque, la République était entre parenthèses.
Après dix ans de rencontres et de recherches, Christine a pu estimer, à partir du registre de l’école des garçons, que ce quartier avaient dû cacher et protéger entre quarante et cinquante enfants. Cette extrapolation part du principe que le registre des garçons recensait les enfants de 6 à 12 ans, qu’il fallait multiplier ce nombre par deux pour avoir une image des 3/18 et qu’il était probable que le nombre de filles soit sensiblement équivalent.
Vous pouvez consulter dans cette salle une reproduction de ces pages.
Nous ne sommes pas historiens, et les découvertes que nous faisons, sont aussi celles de nos élèves. C’est ainsi que Charlotte, qui fut notre fil conducteur, est revenue à plusieurs reprises pour témoigner auprès des enfants, de sa vie de petite fille dans ce quartier d’Orgemont. Elle vous contera tout à l’heure son histoire, qui depuis dix ans fait aussi partie de celle de l’école.
Ce fut pour nos élèves l’occasion, de découvrir d’autres enfants cachés comme Jacques Patron qui a épousé la fille de ses bienfaiteurs, mais la volonté fut aussi très forte de laisser une trace de ces rencontres pour fixer cette mémoire. C’est ainsi qu’est née l’idée de la mosaïque que vous avez pu voir dans le hall de l’école, et qui fut entièrement conçue et réalisée par les élèves de CM1 et CM2 en 2007. Elle attendait bien sagement l’occasion d’apparaître en public.
Nous sommes donc aujourd’hui réunis pour remettre à Arthur et Cécile Magnier, par l’intermédiaire de leurs petites filles, anciennes élèves de l’école, la médaille des Justes. C’est, semble-t-il, la première fois qu’une telle médaille est décernée au sein d’une école, et comme élèves et enseignants de cette école, nous nous en réjouissons. »

None
            

Cécile et Arthur Magnier (Doc. BCFYV / DR).

–  » En effet, au-delà de la seule personnalité des époux Magnier, c’est le courage de tout un quartier que nous célébrons, avec ses habitants qui ont hébergé, ses enfants qui ont su tenir leur langue, ses autorités locales qui ont sans doute un peu fermé les yeux, ses enseignants et directeurs qui, malgré des différences importantes, ont pensé que la vie de leurs élèves prévalait sur toute autre considération.
C’est un courage simple et ordinaire, pas de celui qu’on retrouve dans les livres ou sur les stèles.

Souhaitons qu’il puisse faire école.
Pour conclure, comment ne pas évoquer l’ironie de l’histoire et le paradoxe de l’école, dans cette situation.
Ironie de l’histoire donc :
Il y a soixante-cinq ans, le directeur conformiste qui se permettait d’écrire dans le registre matricule « enfant de nationalité juive » s’était pourtant arrangé pour soustraire des perquisitions de la police et dissimuler aux forces d’occupation ses élèves menacés.
Aujourd’hui, et depuis le mois de décembre, après une pression administrative forte, les élèves de l’école ont été inscrit sur un fichier informatique national. Fichier anodin à ce qu’il semblerait, mais qui, s’il avait existé à l’époque que nous évoquons aujourd’hui, aurait suffit pour tracer ces élèves et les auraient condamné au destin le plus tragique.
Paradoxe de l’école aussi : ce qui a fondamentalement permis de sauver ces enfants, c’est la désobéissance. Désobéissante, Régina, la mère de Charlotte qui ne répond pas aux sollicitations de la police française, désobéissants les habitants du quartier qui ont protégé ces enfants en les cachant, désobéissants, les enseignants mais aussi le directeur de l’école qui les ont soustraits aux recherches administratives… Obéissant, David, le père de Charlotte qui, faisant confiance à la République française, s’est inscrit comme « Juif » sur les listes du commissariat, a porté son étoile jaune puis s’est rendu à la convocation pour aller en camp de travail et ne jamais revenir.
C’est pourtant au sein de cette école de la République que nous rendons aujourd’hui cet hommage… qu’il puisse au moins aider chacun d’entre nous à rester vigilant. »

None
                

De g. à dr. : Charlotte Storch (2), Marcelle Magnier, Paulette Storch en 43-44 (Arch. fam. Charlotte Barillet / DR).

Notes :

(1) Pour découvrir le site de l’école mixte Orgemont et plus particulièrement un reportage vidéo de la cérémonie, cliquer :ICI .
(2) Nos remerciements à Charlotte Barillet, enfant cachée, à Jean-Michel Polge, directeur, pour leurs contributions à cette page 204.