Un policier parisien ni vichyste, ni nazi…mais Juste !

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Dossier n°

Un policier parisien ni vichyste, ni nazi…mais Juste !

 Le gardien de la paix Théophile Larue (Arch. fam. J-Y Gouël)

 

Justice pour Théophile Larue et pour son épouse, Madeleine. Ce gardien de la paix s’est vu refuser toute décoration après la libération car… « ce n’était pas résister que de sauver des persécutés raciaux » ! 
7 Justes parmi les Nations ont été reconnus officiellement par Yad Vashem et honorés ce 2 juin à Paris (Mairie du 3e Arrondissement).
Les résumés très succints des dossiers ayant permis cette reconnaissance, figurent sur la page 43 de ce blog.

Voici, en complément, trois discours aussi sincères qu’émouvants, prononcés à la mémoire du couple formé par Théophile et par Madeleine Larue.

Discours prononcé par Monsieur Alain LARUE :

« Au nom de toute notre famille, nous vous remercions tous de votre présence, nous remercions particulièrement :
– Monsieur Pierre Aidenbaum, Maire du 3ème arrondissement de Paris, et l’ensemble du Conseil Municipal,
– Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur d’Israël en France, Monsieur le Ministre Peleg Lewi et l’ensemble de la mission diplomatique Israélienne,
– Madame Irena Steinfeldt Directrice du Département des «Justes parmi les Nations» en Israël,
– les membres de Yad Vashem de Jérusalem, et ceux de Yad Vashem en France,
– les personnes qui ont adressé les témoignages nécessaires et engagé les démarches pour faire reconnaître nos parents comme «Justes parmi les Nations».

C’est un très grand honneur pour nous leurs enfants, leurs petits enfants, l’ensemble des membres de notre famille de recevoir pour eux à titre posthume cette haute distinction qui à la fois honore l’exemplarité de nos parents et implique pour nous tous un important devoir de mémoire.
Toute sa vie notre père, notre grand-père a œuvré, et s’est investi pour défendre, et venir en aide à des gens faibles et en difficulté.

Je rappellerai ici quelques exemples de sa bravoure à la sombre époque de l’occupation alors qu’il était un simple et courageux Gardien de la Paix : il prévenait au hasard dans la rue ou le métro des familles juives des opérations de rafles, il accompagnait en uniforme des petits groupe de personnes d’origine juive dans les gares pour prendre le train, les faire fuir parfois au nez et à la barbe des soldats allemands qui étaient heureusement respectueux de sa tenue de Policier.

Un jour de novembre 1941, rentrant de service, il apprend l’arrestation de Mme Tobjasz suite à un contrôle d’identité simplement et pour ne pas avoir porté l’étoile jaune apparente.
Il se rend alors immédiatement au dépôt en tenue de Policier à ses risques et périls pour la faire sortir.
Il menace verbalement le fonctionnaire en charge du dépôt, tempête, soutient avec l’aplomb dont il était capable que cette personne est la marraine de baptême de sa propre fille ! et finalement la fait libérer.

Il était également un résistant actif, malheureusement non reconnu par la République Française et ce malgré de nombreux témoignages écrits, prouvant sa participation à des actions de résistance : renseignements divers et production de faux papiers, combats de la libération de Paris autour de la place Saint-Michel.

Bien entendu notre mère a également participé en toute complicité avec notre père à sauver en cachant chez elle pendant des mois, des familles juives, partageant avec eux et son mari les terribles conséquences possibles de leurs actions.

Nos parents ont toujours considéré avoir accompli leur devoir.
Après s’être vu par deux fois refuser la Légion d’Honneur ou une quelconque reconnaissance officielle, notre père en avait été profondément blessé, on avait même osé lui écrire je cite de mémoire « l’assistance à des persécutés raciaux ne constitue pas un acte de résistance »… Il avait fait du proverbe « bien faire et laisser dire » sa devise.

L’unique reconnaissance honorifique qu’ils ont à ce jour c’est cette émouvante médaille d’honneur de Juste parmi les nations.
Nous espérons qu’il sera toujours possible de trouver des Justes dans notre monde actuel, des gens de cœur, humainement capables de risquer leur vie de façon désintéressée pour sauver celle des autres.
Il existe certainement encore de nombreuses personnes inconnues, ou disparues de nos jours qui méritent les mêmes honneurs, nos pensées sont pour eux et pour nos parents.
Merci à vous tous. »

Madeleine Larue (Arch. fam. J-Y Gouël)

Discours prononcé par Monsieur Jean-Yves GOUËL :

« Mes chers grands-parents,
Je ne vous ai jamais dit « merci » pour l’exemple que vous m’avez donné,
pour votre courage exemplaire et votre honnêteté.
Je ne vous ai jamais dit « merci » pour votre fidélité à votre Foi,
pour avoir incarné la lumière là où était l’obscurité, la liberté là où était la déportation, la vie là où était la mort.
Je ne vous ai jamais dit « merci » pour avoir tendu votre main et façonné à notre France un visage plus humain.
Pour avoir traversé ces épreuves de cette façon même si, chaque jour, vous risquiez votre vie et celle de vos enfants.
Je ne vous ai jamais dit « merci » pour toutes vos angoisses, vos peurs de la dénonciation, de l’arrestation, de la torture.

Je n’y pensais pas, tout cela était, passé, bien loin, normal et pourtant…
Et pourtant il y avait aussi ma mère qui, aujourd’hui encore, les larmes aux yeux, peut parler de ses petits amis envoyés à la mort, de toutes ses « petites cousines qui passaient à la maison ». Dieu merci ! il y a aussi aujourd’hui Anna et Josiane, Louis et Lisa, et puis Daniel dont les parents ont malheureusement connu une fin tragique et tous ceux dont nous ne connaîtrons jamais le sourire.

Ma chère grand-mère, mon cher grand-père,
C’est aujourd’hui toute une Nation, celle d’Israël, qui, par delà le temps et l’espace, vous dit «merci».
Elle le fait avec l’acclamation des millions de voix de tous les déportés, de tous les torturés, de tous les orphelins de la folie barbare nazie, de toutes les victimes de cette intolérante vanité de l’homme poussée à sa dernière extrémité celle du désert moral intellectuel et spirituel, celle de la négation absolue du caractère sacré de la vie humaine.

Vous êtes l’honneur de notre famille et l’honneur de notre pays.
Je vous revois mon cher grand-père avec un clin d’œil rieur après l’une de vos légendaires tempêtes colériques.. avec votre générosité, votre affection et votre aplomb.

Dans ce Paris occupé, dans cet univers bouleversé, vous n’êtes rien et pourtant vous devenez le seul recours de très nombreuses personnes, vous devenez ce petit maillon essentiel de la grande chaîne humaine, vous êtes cet homme qui pense et dont la pensée lui assure, comme le disait Pascal, une supériorité propre sur l’univers pourtant infiniment plus puissant que lui.

Mes chers grands-parents, nous transmettrons votre message et de tout cœur nous vous disons MERCI. »

Discours prononcé par Madame Anna Osman :

« C’est un grand honneur de représenter la famille Osman pour rendre hommage à M. et Mme Larue.
Si je parais, aujourd’hui, devant vous, c’est grâce à M. et Mme Larue, qui ont aidé activement mes parents, dès les premières exactions anti-juives, en les cachant dans leur immeuble de mai 1941 à juillet 1942, et qui les ont prévenu de l’imminence de la grande rafle du Vel d’Hiv.
Par leur action, ils ont évité à mes parents, et à de nombreuses familles amies, le voyage vers les camps de déportation.

Je ne saurais oublier ici, les nombreuses autres familles françaises, particulièrement en Creuse, qui nous ont hébergés et cachés lors de notre difficile parcours, entre les années 1942 et 1944, et je désire aujourd’hui les associer à cette cérémonie, au moins par la pensée.
A l’époque j’avais 5 ans et j’ai peu de souvenirs de cette longue marche pour passer en zone libre, mais je ressentais l’inquiétude de mes parents et de l’ensemble du groupe.
Notre destination finale était la Creuse, région de Gueret, où nous avons posé nos pauvres bagages, et avons été hébergés par plusieurs familles en fonction des évènements, sans que rien ne nous soit demandé.
Que toutes ces personnes soient ici remerciées.

Je ne comprenais pas que nous étions protégés par des familles bienveillantes et humanistes qui formaient une chaîne silencieuse efficace.
Vivre libre, dans la dignité, au risque de sa propre vie et de celle de sa famille, c’est le choix qu’elles ont fait en toute simplicité, sans attendre de reconnaissance.

Depuis cette période, beaucoup d’eau a coulé sous le pont Mirabeau, et je peux témoigner que ma famille a connu une vie heureuse, que mes sœurs et moi les avons suivi dans cette voie, nous avons créé une famille, donné la vie à d’autres héritiers, et vécu en Paix.

Que Monsieur Théophile Larue et Madame Madeleine Larue en soient grandement remerciés et nous assurons leurs enfants, petits enfants et arrières petits-enfants que nous n’avons jamais oublié le geste d’amitié et d’abnégation qu’ils nous ont manifesté et que leur souvenir est gravé dans nos cœurs.