Les 101 bougies d’un Juste parmi les Nations

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Dossier n°

Les 101 bougies d’un Juste parmi les Nations

Tout le Comité Français pour Yad Vashem
et ses sympathisants
allument 101 bougies
pour l’anniversaire de Maurice Arnoult
– Juste parmi les Nations –
né le 23 juin 1908…

 

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Cordonnier émérite, Maurice Arnoult (Arch. CFYV / DR).

 

Enfant puis adolescent, la vie ne lui réserve pas de cadeaux. Sa mère est tôt emportée par la tuberculose. Le père ne revient pas des tranchées de 14-18. La santé de Maurice Arnoult se confirme de très grande fragilité. Il est privé de scolarité.

Et le voici à 101 ans. Décoré de la Légion d’Honneur car reconnu Juste parmi les Nations. Autodidacte, toujours fier artisan et modeste sauveteur d’un petit juif dont la famille fut emportée sans retour vers Auschwitz. Homme de coeur à gauche. Honnête homme…

Cette page, grâce à Maurice Arnoult, est exemplaire de ces Français qui ne courbèrent pas le dos devant le nazisme, qui ne marchèrent point au pas en chantant « Maréchal, nous voilà. » Cette minorité de Français qui ne se complurent pas dans le fatalisme, qui ne hurlèrent pas avec les loups, qui ne profitèrent pas des malheurs accumulés par la guerre. Ces Français qui ne donnèrent pas la priorité à leur égoïsme mais préférèrent sauver la vie de persécutés en mettant en grand danger leur propre existence.

 

L’histoire de ce Juste est ainsi résumée par lui-même (1) :

– « Né le 23 juin 1908, le début du siècle disons, je suis venu au monde dans une famille non pas très pauvre mais qui le devient pendant la guerre de 14-18. Mes aïeux, des fermiers, de petits fermiers, avaient une terre en Seine-et-Marne depuis peut-être 400 ans car ma généalogie remonte à ce moment-là. De sorte que je vois la guerre (…). Nous attendions mon père qui avait été mobilisé mais il n’est pas revenu, ma mère meurt en 1916 donc ma grand mère me prend sous son aile jusqu’à l’âge de 13 ans.
(…)
La question avait été posée au niveau de la famille qu’est ce qu’on fait de ce gosse ? Alors il y a un démobilisé (…), il a dit j’ai ce qu’il faut pour lui, j’ai un ami à Paris qui est dans la chaussure (…). Alors voilà Maurice qui arrive à Paris – il a 13 ans, ne sachant ni lire ni écrire – chez un monsieur qui va lui apprendre le début, le tout début du métier qu’on appelle cordonnier. Cordonnier, ce ne veut pas dire réparer vos chaussures non, cordonnier ça veut dire « couardonnier » en vieux français : la personne qui sait faire des chaussures, en utilisant le cuir de Cordoue. Là je suis très pointilleux là-dessus. Je ne suis pas un colleur de talon ni de semelle, c’est comme si vous mélangiez vous confondiez un médecin, un professeur en médecine avec celui qui va faire votre lit : ça va pas ça, mais souvent, il se produit dans l’esprit des gens une déformation. Ca, ça ne me plaît pas.
(…)
Je m’étais donc établi deux ans avant la déclaration de guerre. J’avais embauché une jeune fille, une femme comme ça qui cherchait du travail, qui avait certainement mon âge : 31 ans, Alice (…). J’avais remarqué qu’on pouvait lui confier n’importe quoi, c’était fait avec intelligence, qu’on pouvait lui faire confiance, une personne droite (…).
Je devais partir le deuxième jour de la guerre, un petit commandement que j’avais dans l’armée de réserve, un peu d’instruction, un peu de galon et vous êtes les premiers. »

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Le Belleville que Maurice Arnoult découvrit à l’âge de 13 ans (DR).

 

Maurice Arnould :

– « Je me suis évadé. Je suis arrivé là, j’ai retrouvé Alice et la petite boîte marchait bien. C’était au début de 41 et c’est là que je l’ai regardé avec un autre oeil parce que c’est drôle je ne m’étais pas aperçu de ça mais elle est pas mal du tout cette jeune femme dans le fond (rire) (…). Enfin, bref, voilà la connaissance que j’ai fait d’Alice avec qui du reste, je ne me suis pas marié (2) mais je suis resté 60 ans avec elle. » (1)

 

La suite se retrouve dans le dossier 6132 de Yad Vashem (résumé) :

 

– « En 1933, la famille Krolik, des réfugiés juifs de Pologne, s’installe à Paris. Le père, tailleur, avait un modeste atelier dans son appartement à Belleville. A l’été 42, la famille comptait trois enfants de plus. Tous les locataires { du 83 de la rue de Belleville } étaient étrangers à l’exception de Maurice Arnoult. Ce dernier avait quitté son village pour s’installer en ville. En 1937, ce bottier, fils de cordonnier, pour ses 29 ans, avait loué un atelier dans la cour du bâtiment. 
C’est donc le seul Français de l’immeuble. Il vivait en excellents termes avec ses voisins qui faisaient appel à lui quand, par exemple, il fallait remplir des formulaires et autres papiers administratifs. 
Maurice Arnould avait vu avec sympathie la famille Krolik s’agrandir.

Le mercredi 15 juillet 1942, Maurice Arnoult vint voir ses voisins, les Krolik, pour leur proposer de mettre les enfants en sûreté chez ses parents à Savigny-sur-Orge. Le soir même, ayant décousu l’étoile jaune, il conduisit un premier enfant, Joël, chez ses parents. Tous deux empruntèrent les transports en commun malgré les dangers des contrôles et des rafles. 
Maurice Arnoult avait prévu de revenir le lendemain pour les autres enfants à mettre à l’abri loin de Belleville. Malheureusement, la grande rafle de Paris fut déclenchée à 4 h cette nuit-là. Les parents Krolik et leurs deux autres enfants furent arrêtés (3). Quand Maurice Arnoult rentra dans la matinée, il ne trouva plus personne. Ses parents s’occupèrent du petit Joël Krolik avec dévouement et ce, jusqu’à la libération. » (4)

 

Souvenir très précis de Maurice Arnoult quand les parents Krolik se séparèrent volontairement de Joël :

 

– {Il y avait} « Papa, Maman Krolik, deux enfants en bas âge et deux autres plus âgés, c’est-à-dire Joël et sa sœur Rosette. Je l’appelle comme l’appelait son père il ne pouvait pas dire « Ro » : « Rasette », il appelait « Rasette » (…). 
Enfin voilà : le père descend. « Là, je vais t’apporter Joël tout à l’heure » et il sort son porte monnaie. Il me donne 250 francs et je lui dis : « Non, tu peux en avoir besoin toi… ». C’était un homme qui travaillait 12 à 14 h par jour derrière une machine et sa femme à côté de lui, pas de lois sociales, pas de reconnaissance des patrons qui les exploitaient, qui leur donnaient le minimum, des heures et des heures , pas de chômage pour eux, des inconnus. Ca mérite respect ça ! 
Je lui ai dit : « Je ne veux pas de ton argent ». Et c’est là que ça me fait mal, là… Il se met à pleurer. Un homme de 40 ans qui pleure, ça fait drôle. » (1)

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Joël Krolic (5) auquel Maurice Arnoult retira son étoile avant de l’emmener loin des rafles parisiennes (DR).

 

NOTES :

(1) Retranscription d’extraits de son interview par Corynne Melloul, chargée de mission au Comité Français pour Yad Vashem. Travail mené à bien en partenariat avec Radio France et dans le cadre du projet « L’Allée des Justes » : premier corpus européen d’archives sonores sur les Justes. Quelques passages de cette interview sont proposés sur le site du Comité. Cliquer : ICI .
Corynne Melloul recueillit aussi les souvenirs de Maurice Arnoult pour le documentaire : Les Justes. Un film en partenariat avec INJAM Production, réalisation Nicolas Ribowski (2007).

(2) Maurice Arnoult fut brièvement marié avant guerre, son épouse étant emportée par la tuberculose.

(3) Habitant le 83 rue de Belleville, les Krolik ont été d’abord enfermés à Drancy. Le convoi 22 du 21 août 1942 les déporta vers Auschwitz.

(4) Paul (son père) et Fernande Arnoult ont été reconnus comme Justes parmi les Nations pour avoir pris le relais de Maurice.

(5) Une version pour les jeunes de l’histoire de Joël Krolik a été soutenue par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Lire : Béatrice Guthart, Histoires Vraies, Les Justes, Fleurus Presse, novembre 2006, n° 156.